Ecrit en octobre 1999
L’essor des monopoles
Qui peut encore contrer les monopoles ? Ainsi s’interroge Annie Kahn dans « Le Monde » du 12 octobre 1999, quelques jours avant l’annonce d’une nouvelle fusion : celle d’Aerospatiale-Matra, avec Dasa.
Aerospatiale Matra est dirigée par Jean-Luc Lagardère (celui-là même à qui Lionel Jospin a évité une comparution en Justice pour une fraude fiscale portant sur 41 millions de francs, soit 4 milliards de centimes, relire La Mée du 6 octobre 99). Quant à Dasa, c’est une filière de Daimler Chrysler, le géant américano-allemand
« Le feuilleton entre Paribas, la BNP et la Société générale nous a tenus en haleine tout l’été. Mais la trêve des mégafusions a été de courte durée : Accord Elf/TotalFina, fusion Carrefour-Promodès, fusion de Seita et du fabricant espagnol de tabac Tabacalera, achat de Sprint par MCI Worldcom dans les télécommunications, feu vert donné par la Commission Européenne aux fusions d’Exxon-Mobil et de BP Amoco-Arco. Il ne se passe plus guère de jour sans annonce majeure de concentration » résume Annie Kahn.
Selon le Bureau d’informations et de prévisions économiques (BIPE), sur les 18 transactions d’un montant supérieur à 3,5 milliards de dollars (21 milliards de francs) que la France a connues dans son histoire, 12 ont été annoncées en 1998.
Au niveau européen, le nombre total d’opérations de concentration notifiées à la Commission en 1998 a augmenté de 36 % par rapport à l’année précédente, déjà en hausse de 31 % par rapport à 1997.
Enfin, au niveau mondial, les rapprochements entre entreprises, sur les neuf premiers mois de l’année, sont en hausse de 16 % par rapport à la même période de l’an passé, selon Thomson Financial Securities Data.
Les causes de ces concentrations : « les exigences actuelles du marché financier pour l’obtention d’un rapport sur fonds propres de 15 %, contraint les entreprises à des opérations de croissance externe » explique Annie Kahn (en d’autres termes, les puissants fonds de pension américains exigent une rentabilité de 15 % par an !)
Economies d’échelle
Mais d’autres causes sont évidentes : la nécessité d’atteindre une taille critique pour effectuer des économies d’échelle (c’est-Ã -dire des suppressions d’emploi !). Selon le BIPE, une opération sur deux met en jeu deux partenaires du même pays, l’idée étant de créer des champions nationaux aptes à se battre face à la concurrence internationale.
De plus : les technologies numériques estompent les frontières dans l’univers de la communication. Pour développer des services et des contenus, les opérateurs de télécommunications acquièrent des firmes aux compétences complémentaires. C’est la logique de Jean-Marie Messier fusionnant la Générale des eaux et Havas pour donner naissance à Vivendi. Sur les six premiers mois de l’année, près de 3 000 accords de fusion/acquisition ont été négociés entre entreprises du secteur de l’information et de la communication, selon la société d’études Broadview Associates. Ce chiffre est presque deux fois supérieur à celui enregistré durant la même période en 1998.
Pour le commissaire européen Mario Monti, cette course à la taille n’est pas un péché en soit. Reste à savoir de quel poids vont pouvoir peser les citoyens en général (et les consommateurs en particuliers) face à des pouvoirs qui rassemblent les industriels, les distributeurs et ... les moyens d’information !
Cernés !
De plus en plus on a le sentiment que les citoyens sont cernés de toute part. Les négociations de Seattle de l’OMC (organisation mondiale du commerce) aborderont 160 secteurs d’activité qui seront étudiés à travers le seul prisme du commerce. On relève parmi eux la santé ; l’éducation ; le commerce de l’eau ; l’architecture ; l’art et la culture ; l’agriculture ; la distribution, le commerce de gros et de détail ; le bâtiment et les travaux publics, la décoration, l’entretien ; le génie civil et l’ingénierie ; les services financiers et bancaires ; les d’assurances ; la recherche ; les services immobiliers et le crédit-bail location ; les services de communication, les postes, les télécoms, l’audiovisuel, les technologies de l’information ; le tourisme et les voyages, les hôtels et les restaurants ; les services de l’environnement dont la voirie, l’enlèvement des ordures, l’assainissement, la protection du paysage et l’aménagement urbain ; les services récréatifs, culturels et sportifs, dont les spectacles, les bibliothèques, les archives et les musées ; l’édition, l’imprimerie, la publicité ; les transports..
Ces négociations visent seulement à faire de notre réel un marché. On n’y pensera pas le citoyen, on le calculera, à titre de producteur ou de consommateur.