Ecrit le 22 juin 2005
Emprunté au Syndicat de la magistrature
On casse le code et
on casse les juges
« La justice est en crise » dit le Syndicat de la Magistrature.
Ce constat n’épargne pas la justice du travail, une institution bicentenaire, qui a largement contribué à faire respecter autant qu’Ã faire évoluer le Code du Travail et la jurisprudence.
Mais aujourd’hui, le rouleau compresseur des contraintes financières ou prétendues telles aboutit à une casse de cette forme très populaire de justice.
Ces contraintes, introduites par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, aboutissent in fine à remettre en cause le travail des conseillers salariés. S’y ajoute le travail de sape du Medef, que dénonce Mme Françoise de Morsier, conseillère employeur Medef à Bobigny, qui a porté plainte contre l’organisation patronale. Le Medef,
La casse du Code du Travail se manifeste aussi dans ces blocages que connaissent aujourd’hui nombre de conseils de prud’hommes. |
Malaise
Ces derniers mois, on assiste à la multiplication des tensions au sein des conseils de prud’hommes. début avril, les conseillers salariés du Conseil de prud’hommes de Bobigny ont refusé de siéger deux jours durant pour protester contre la dégradation de leurs conditions d’exercice.
Le mécontentement se cristallise principalement autour de deux points :
D’une part l’augmentation des délais de traitement des conseils de prud’hommes qui résulte essentiellement d’un recours de plus en plus massif au juge départiteur. Cet allongement des délais, dans une juridiction dont le contentieux concerne avant tout le licenciement, profite essentiellement aux employeurs.
La deuxième cause de mécontentement concerne le paiement des vacations aux conseillers salariés. La tendance à limiter le paiement de ces vacations a même conduit, à Thonon-les-Bains, à la totale paralysie du conseil de prud’hommes et à la mise en examen, suite à une plainte au pénal, de plusieurs conseillers salariés.
Des conseillers salariés continuent à être payés par leurs employeurs
Il convient de rappeler la relative fragilité du statut des conseillers prud’hommes salariés qui continuent à être payés par leurs employeurs lorsqu’ils exercent leur mission judiciaire, l’employeur étant ensuite payé par l’État.
Lorsqu’ils exercent leur mission en dehors de leurs horaires de travail ils perçoivent une rémunération inférieure au SMIC horaire, soit 6,05 €.
C’est dans ce contexte qu’intervient la crise qui s’est déroulée au conseil des prud’hommes de Villefranche.
Une lettre du premier président et du procureur général de Lyon du 29 septembre 2004 transmise à l’ensemble des greffiers en chef des conseils de prud’hommes du ressort de la cour d’appel de Lyon a donné pour instruction de ne plus indemniser le temps de préparation des dossiers après audience et avant délibéré.
Motifs invoqués :
des dispositions du Code du travail qui ne prévoient rien en la matière et le fait que les affaires fixées devant le bureau de jugement auraient été suffisamment mises en état avant ou pendant l’audience !
Les employeurs
en embuscade
Du coup, le président employeur du conseil de prud’hommes de Villefranche sur Saône, se sentant pousser des ailes, en se prévalant de cette lettre, a adressé à l’ensemble des conseillers prud’hommes de sa juridiction une circulaire par laquelle il leur annonce que le temps passé à la préparation des dossiers ne sera purement et simplement plus indemnisé.
L’ensemble des conseillers prud’hommes salariés ont vigoureusement protesté contre cette décision en signant une pétition qui dénonce une décision « portant gravement atteinte au bon fonctionnement » de la juridiction et entravant « la recherche de la vérité ».
Les signataires ont menacé également de suspendre leurs activités s’ils n’étaient plus indemnisés.
Les conseils de prud’hommes étant administrés de manière paritaire avec une présidence tournante annuelle entre employeurs et employés, la présidence est revenue, à partir du 1er janvier 2005, à un conseiller employé, M. Christian Ritton. Ce dernier, lors de l’audience solennelle de rentrée, a prononcé un discours en forme de réquisitoire à l’encontre de la stratégie du Medef à l’égard des conseils de prud’hommes.
Des menaces à peine voilées de plaintes au pénal
La réaction ne s’est pas fait attendre puisque, quinze jours après cette audience solennelle, le président du conseil de prud’hommes (salarié) a reçu une lettre de rappel à l’ordre extrêmement virulente de l’ancien président (employeur) devenu vice-président.
Il y explique que plusieurs personnalités invitées à cette audience solennelle ont été profondément choquées par le discours « partisan, déplacé et parfois inadmissible de la part d’une personne sensée (sic) représenter l’institution ».
Cette lettre se termine tout simplement par une menace à peine voilée en attirant l’attention du président salarié « sur le risque que pourraient encourir les conseillers prud’hommes qui, en dépit des consignes qui leur auraient été données, persisteraient à réclamer des indemnités pour étude de dossiers après audience, comme en atteste la récente affaire survenue à Thonon les Bains, chacun en connaissant bien les tenants et les aboutissants ».
Lorsqu’on sait que le fonctionnement du conseil de prud’hommes de Thonon est suspendu depuis de nombreux mois suite à la mise en examen de plusieurs conseillers salariés relative au paiement de vacations, et au refus subséquent des conseillers Medef de siéger, le message est clair...
Chefs de Cour
En attendant, le président (salarié) du conseil de prud’hommes de Villefranche-sur-Saône reste engagé dans un bras de fer avec le vice-président (employeur) qui refuse de viser l’état horaire de ses vacations de l’année 2004, année où il présidait le conseil de prud’hommes.
Il a sollicité l’appui des chefs de Cour qui non seulement maintiennent leur position de refus d’indemniser l’étude des dossiers entre l’audience et le délibéré mais encore enfoncent le clou en expliquant que les conseillers prud’hommes salariés qui effectuent un travail posté doivent regrouper leur activité prud’homale sur une seule journée dans le mois pour ne pas bénéficier de l’indemnisation plus favorable de leurs fonctions que leur accorde pourtant le Code du travail, et ce :
« dans une perspective raisonnable de gestion des deniers publics »
Si l’on ajoute à l’analyse de cette attitude, celle tirée d’une propre représentante du Medef de Bobigny, on a l’idée du bras de fer engagé par le Medef, totalement soutenu par le gouvernement, contre le fonctionnement régulier des prud’hommes et, au-delà , contre tout le droit du travail.
Ecrit le 22 juin 2005 :
Extraits du discours prononcé par M.Christian Ritton, président salarié du conseil de Villefranche, lors de l’audience solennelle de rentrée :
" Globalement les chiffres montrent un bon fonctionnement, une activité sérieuse et efficace de notre conseil de prud’hommes .Seul un indicateur est au rouge : .
Il s’agit du nombre de départages qui ont augmenté significativement. De toute évidence, cela révèle un changement d’état d’esprit (...) (départage = appel à un juge professionnel, ndlr)
Pour la première fois depuis cinq ans que j’exerce alternativement les fonctions de président et de vice-président général de ce conseil, j’ai personnellement eu à connaître de ce changement d’esprit suite à un grave dysfonctionnement au sein de notre conseil de prud’hommes (...). Comment analyser, en effet, dans notre juridiction paritaire, la décision du président employeur qui, sans aucune concertation préalable, d’une manière aussi soudaine qu’arbitraire, a décidé de supprimer les remboursements intitulés « études de dossiers » des conseillers prud’hommes ?
Parce que les conseillers salariés font plus d’études de dossiers que les conseillers employeurs et préparent de ce fait mieux les délibérés ! (...). On pourrait alors penser qu’une étude démontrerait que le conseil de prud’hommes de Villefranche aurait vu une augmentation insolente de ses dépenses !
Mais non, que nenni !!! La tendance serait plutôt contraire.
Une démarche
préméditée ....
Mais alors comment expliquer un tel comportement ? Si ce n’est en l’inscrivant dans une démarche plus globale et préméditée. Mon expérience dans une multinationale américaine m’amène à une analyse simple et classique : Imaginez un syndicat d’employeurs largement majoritaire qui n’a d’autres objectifs que de réduire l’influence des conseils de prud’hommes qui, très souvent, sanctionnent ses adhérents ! Imaginez une loi, la LOLF (NDLR : loi organique sur les lois de finances), qui transforme la logique de moyens en une logique de résultats avec des objectifs à atteindre.(...)
Le Medef l’a très vite compris : dans le cadre de ces nouvelles dispositions budgétaires, quel président de tribunal de grande instance, quel premier président de Cour d’Appel s’opposera à une mise en place ainsi orchestrée d’une réduction des coûts au sein des conseils de prud’hommes ? Le syndicat d’employeurs s’engouffre habituellement dans la brèche....
... qui affaiblit
le monde du travail
Imaginez une relation privilégiée de ce syndicat d’employeur (...) avec le pouvoir en place, vous obtiendrez ainsi les conditions :
d’un affaiblissement du code du travail
la possibilité de signer des accords dont l’intérêt pour les salariés serait inférieur aux dispositions du code du travail(...)
que le pouvoir de l’institution européenne s’impose à chaque pays même si, pour certains d’entre eux, la décision entraînait un recul social ;
un projet de loi sur les licenciements économiques qui donne plus de « liberté » aux entreprises et réduit les délais de recours en cas de contestation (...)
un assouplissement des 35 heures pour maintenir le chômage à un fort niveau et rendre ainsi plus malléables les salariés qui ont la « chance » de travailler afin de les amener à accepter des baisses de leurs conditions de travail et de rémunération...
décidément tout est bon pour qu’au nom de la libre concurrence, de la liberté d’entreprise, le monde salarié se voie réduit à une simple variable d’ajustement pour les profits.
Signalons que les bourses européennes prévoient une hausse de 8 % en 2004 après une progression de 12 % en 2003. J’invite chaque salarié ou retraité à comparer avec son augmentation de salaire ou de pension sur ces deux dernières années !(...) La liberté des salariés de recourir à la juridiction prud’homale est sans cesse mise à mal (...) Sans oublier le décret du 20 août 2004 (...) qui impose le recours à un avocat en cas de pourvoi en cassation.
Vers une justice calquée sur l’entreprise privée
Quel salarié gagnant le SMIC peut aujourd’hui déposer un pourvoi ou répliquer à un pourvoi quand on sait qu’il faut débourser au bas mot 3 900 € pour s’adjoindre un avocat spécialisé ?(...) Enfin essayons d’imaginer l’évolution de la justice face aux nouvelles dispositions budgétaires inscrites dans la LOLF (...). Pour apprécier la performance d’un tribunal, le ratio nombre de décisions rendues sur le coût global semble de bon aloi. (...) Nous savons bien que tous les dossiers ne sont pas identiques et que certains sont beaucoup plus gourmands en temps que d’autres.(...) Ajoutons à cette sauce libérale quelques primes individuelles au rendement, indispensable à l’atteinte rapide des objectifs fixés, la mutualisation des moyens, je traduis pour les novices : suppression de postes avec transfert du travail sur les collègues, et vous obtenez le fonctionnement d’une justice calquée sur l’entreprise privée.
Mais, me direz-vous, que va devenir la recherche de la vérité dans cette recherche permanente d’économies ? Je laisse à chacun le soin de l’imaginer...
La loi du marché, la libre concurrence, ne sont que des mots qui servent à imposer le diktat de quelques-uns, laissant des milliers d’autres dans la misère et la précarité. "
Ecrit le 22 juin 2005 :
Les Conseils alsaciens, à nouveau en grève
Une dépêche de l’agence Reuter apprenait le mardi 9 mai 2005 qu’une majorité des conseils alsaciens était à nouveau en grève, ce qui a eu pour conséquence d’annuler les audiences.
Les conseillers salariés protestent contre la baisse des moyens qui leur sont alloués.
« Nous ne le faisons pas de gaieté de cœur car cela pénalise les justiciables, mais nous ne savons plus comment nous faire entendre », a déclaré Pierre Thomann, responsable juridique de la CFDT Alsace et porte parole de l’intersyndicale CGT,CFDT, Unsa.
« Les conseillers salariés - poursuit l’agence Reuter - dénoncent une réduction » de 25 % en moyenne " des dotations versées aux dix conseils de prud’hommes d’Alsace pour le paiement de leurs indemnités et le remboursement de leurs salaires aux employeurs.