(écrit le 23 octobre 2002)
L’avocate et l’accordéon
Il était une fois un président de la République, prénom Valéry, Nom Giscard (dit d’Estaing) qui joua de l’accordéon à la télé. Bravo dirent les bonnes gens, voilà un président accessible aux Français. On ne parlait pas encore de la France d’en bas, c’était alors le temps de la France Profonde. En tout cas, il n’avait pas de chapeau. Et c’est le chapeau qui change tout.
Imaginez-vous qu’un procès vient de se tenir dans la bonne ville de Bergerac, celle qui nous fait penser à un certain Cyrano (de Bergerac), immortalisé par Edmond Rostand. L’homme avait un grand nez et sa tirade est restée célèbre. « C’est un roc ! ... C’est un pic !... Que dis-je, c’est un cap !... C’est une péninsule ! ». L’homme portait à l’époque un chapeau car c’était la mode à l’époque chez les mousquetaires et les gentilshommes.
Or donc, ces jours derniers un procès s’est tenu à Bergerac car, figurez vous, il y a là -bas une avocate, la dénommée Valérie Faure, qui est l’épouse d’un bulgare (comment peut-on être bulgare ? aurait dit Montesquieu) qui est intermittent du spectacle et qui joue de la gadulka, un violon à treize cordes, dans la rue. Et sa femme, Valérie Faure l’accompagne à l’accordéon.
Cela ne plaît pas au bâtonnier de l’ordre des avocats qui, tout bonnement, lui rappelle qu’elle a le devoir de se comporter « avec dignité » ce que, à son avis, elle ne fait pas, puisqu’il y a un chapeau ! Un chapeau que le couple pose devant lui, comme tous les baladins et ménestrels d’antan, comme le faisait Edith Piaf quand elle chantait dans les cours des immeubles de Paris.
Un chapeau ! Mon dieu ! Un chapeau ! N’est-il pas plus digne de demander une faramineuse subvention comme l’a fait Johnny Hallyday à Bordeaux et à Nantes ? Dans cette dernière ville il demandait 220 000 euros !
Or donc, à cause de ce chapeau, se tint à Bergerac, lundi 7 octobre 2002, une audience du conseil de discipline du barreau de la ville. Audience qui, paraît-il, a tourné à la mascarade, dans la grande tradition des spectacles de rue d’autrefois. Me Valérie Faure, qui était accusée de mendicité, avait souhaité qu’il y ait publicité des débats et avait convié ses amis musiciens des rues et la presse. Son défenseur, Gilbert Collard, a demandé qu’elle puisse se livrer à une « reconstitution musicale in situ ». Malgré le refus de la présidente du conseil, Me Zarga de Abreu, Valérie Faure, drapée de sa robe d’avocate, s’est lancée dans un concert endiablé après avoir déclaré « subir un abus de pouvoir » de la part de ses confrères, constituant une violation de la « liberté d’expression ». La salle était hilare, et les membres du conseil ont quitté la salle...
« Depuis cinq ans on a monté un duo, explique l’avocate, on se produit sur les marchés locaux à Bergerac, à périgueux, à Libourne ou à Bordeaux. Je joue pour soutenir Stoyan et lorsque l’on n’a pas de contrat, on joue dans la rue. » Ce qui semble poser problème au barreau bergeracois, c’est que le couple dépose un chapeau, comme tout musicien de rue, pour recueillir la monnaie des passants. Toujours le fameux chapeau.
En 1999, Valérie Faure a déjà reçu un premier avertissement pour « manquement au devoir de délicatesse et de dignité ». Un de ses collègues lui dit qu’il l’a vue dans la rue et que si elle continue, « elle se fera virer de la profession ». Alors elle choisit de porter une perruque et un masque. Mais devant les réactions étonnées du public, elle se sépare de cet accoutrement grotesque et poursuit, comme elle dit, sa « petite activité » avec le plus de discrétion possible.
Mais le mal est fait. Son avocat a beau dire que chacun est responsable de sa vie privée, parler de liberté d’expression, plaider qu’on a le droit de ne pas se comporter en bourgeois, même quand on est avocat, la machine à punir s’est mise en branle. La décision du conseil de l’ordre sera rendue le 13 novembre. La décision du conseil peut aller du simple avertissement à la radiation, en passant par le blâme ou la suspension temporaire.
On peut se moquer de ces pays africains - arriérés évidemment - où une femme est condamnée à la lapidation pour adultère. Mais que penser de pays comme le nôtre - civilisé évidemment - où il est interdit à certaines personnes de jouer de l’accordéon dans la rue. Avec un chapeau.
« Vous lanceriez un défi à l’amour en imposant à une femme de ne pas accompagner son mari musicien des rues quand elle joue de l’accordéon ! » a dit l’avocat de l’avocate ! Celle-ci a rappelé que, lorsque les avocats plaident, ils reçoivent des honoraires, « quand on joue de la musique, c’est la récompense d’un talent. Cela n’a rien à voir avec la dignité ». et elle a remis au Conseil de l’Ordre une pétition ayant recueilli mille signatures, affirmant que ses activités « ne portent pas atteinte à l’image de l’avocat ».
A propos de dignité, vous souvient-il que l’avocat Arno Klarsfeld a posé nu à côté d’une moto dans Paris Match et que l’avocat Jacques Vergès s’est fait photographier dans un bain moussant ? Avec ou sans chapeau ?
(écrit le 23 octobre 2002)
Le coup de gueule d’Eliby :
Plaidoyer pour Maitre Valérie Faure
où es-tu Cicéron ?
Ennemi farouche de la scoliose intellectuelle de notre époque qui voue un véritable culte aux apparences plutôt qu’Ã l’intelligence, certains sujets me révoltent plus que d’autres. Il en est ainsi de cette information (lire l’article précédent) concernant les mésaventures confraternelles de Maître Valérie Faure du Barreau de Bergerac. Moi-même fils du Bâtonnier Lebonnois de la Cour d’Appel de Caen, j’ai, pour la profession d’avocat, la plus grande estime. C’est pourquoi toute déviation éthique dans ce domaine m’insupporte autant qu’elle me peine. où es-tu Cicéron ?
Doit-on remémorer à ces avocaillons petits bourgeois du Sud-Ouest de la France, que le mot avocat provient du latin « Ad auxilium vocati », « ad vocati », appelés à l’aide ou au secours, que l’idéal de l’Ordre est la Justice ; que l’avocat doit se tenir à côté du faible ou de l’ignorant qui ne pourrait soutenir seul sa vérité , que dans la Rome antique la fonction d’avocat - la plus noble de toutes - se devait d’être exercée bénévolement ?
A ce propos, ces avocats des premières heures étaient pour l’essentiel des hommes politiques en premier chef et ils plaidaient gracieusement sur leur temps libre. Il est intéressant de noter que c’est aujourd’hui l’inverse qui se produit et n’est-il pas déplorable de constater que la profession d’avocat serve de prétexte pour l’accession aux fonctions politiques ?
Historiquement et déontologiquement toute notion de profit, de commerce et de rentabilité doit donc être proscrite de cette profession. Dès lors peut-on considérer comme indigne pour une avocate de récolter quelques pièces qui lui sont offertes par des passants sous le charme de ses partitions ? Et si ce viatique lui permettait de plaider gratuitement pour un indigent ?
D’autre part, maître Valérie Faure, agissant ainsi porte aide et assistance à son époux ce qu’exige le code civil de tout citoyen et plus encore des hommes et femmes de loi, Faut-il également rappeler à ses confrères cette loi républicaine de solidarité dans le couple, fondement de la famille et de la société ?
Enfin, cet exercice de la rue, des passants, de leurs regards tantôt méprisants et tantôt compatissants, de cette modestie qui consiste à soumettre à l’appréciation et au jugement d’un public anonyme et sans concession son talent , me semble relever du plus grand des courages. Il est, dans tous les cas, une leçon d’humilité et d’humanité certainement bénéfique à l’exercice de cette profession dont les membres du barreau de Bergerac feraient bien de s’inspirer.
Quant au chef d’accusation qui se résume à « un manquement à la dignité de la profession », il est à craindre que la pauvreté de la sémantique des adversaires de notre avocate musicienne ne leur fasse confondre « notoriété » avec « dignité ».
Réservons, s’il vous plait messieurs, la notion de notoriété aux marques commerciales de lessive ou de cassoulet et restituons à l’Homme la notion d’honorabilité
Eliby