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Maurice Papon
Avec d’autres, Monsieur Badinter demande la libération anticipée de Maurice Papon, au motif qu’il est le plus vieux prisonnier de France. Ceux qui ont suivi cette affaire depuis le début (les révélations du Canard Enchaîné en 1981) savent que c’est parce que ce puissant personnage a pu retarder son jugement grâce à de bons avocats et aussi au peu d’empressement de certains responsables politiques et judiciaires de ces derniers vingt ans.
Cette grâce serait moins choquante si l’individu avait avoué une quelconque responsabilité, assumant son statut de commis de l’Etat prêt à tout dès qu’on le lui demande quand d’autres, on pense au sous-préfet Jean Moulin, firent passer l’honneur avant ; s’il n’avait appliqué avec une constance remarquable « n’avouez jamais ! », la devise de ceux qui croient ne pas devoir rendre de comptes parce que faire les lois dispense de les respecter.
Ce qu’il y a de pervers dans cette polémique, c’est que les responsabilités s’inversent, et que ceux qui veulent que justice se fasse, pour tous, passent pour intolérants et impitoyables, quand justement la pitié manqua à ceux qui firent un aller sans retour dans la nuit et le brouillard. Comme d’ailleurs à ceux que sa police, du temps de la guerre d’Algérie, envoya dans un autre monde et dans la Seine.
Il est intéressant d’observer que cette grâce est réclamée surtout par des présidents de ceci, ministres de cela, hauts représentants de telle ou telle association, tous gens qui, à leur façon, sont d’une élite comme l’était Papon. J’en excepte la grande résistante déportée Germaine Tillon, bien la seule parmi eux à avoir payé, très cher, le droit d’être humaine, le droit de pardonner à la place des familles des victimes (et victimes elles-mêmes de ce deuil interminable). Cet appel fait penser au scandale des prisons, dont on ne s’est inquiété que quand la justice a enfin poursuivi des élus, des PDG, des ministres.
Alors, s’il faut libérer Papon, s’il faut faire preuve d’humanité comme le demande le MRAP, libérons aussi d’autres vieux prisonniers, libérons aussi les malades mentaux qui seraient plus à leur place dans des hôpitaux psychiatriques. Sauf que ceux-là sont des anonymes.
Si je meurs, je veux qu’on m’enterre avec une copie de la fable « Les Animaux malades de la peste », vous savez, celle qui se termine par : Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Et n’oublions pas que Papon fut un maillon de la chaîne qui a contribué à transformer en savon des gens, hommes femmes et enfants, dont le seul tort fut d’être décrétés juifs. Ces gens auraient bien aimé devenir, eux aussi, très vieux.
Pierre Marie Bourdaud
M.Papon a été libéré le 18 septembre 2002
écrit le 23 septembre 2002)
Papon libéré !!
La cour d’appel de Paris a rendu, le 18 septembre 2002, un arrêt de « suspension de peine » en faveur de Maurice Papon, emprisonné à la santé depuis l’automne 1999, condamné à dix ans de réclusion, le 2 avril 1998, pour « complicité de crime contre l’humanité ». De juillet 1942 à août 1944, secrétaire général de la préfecture de la Gironde, il a en effet activement participé à la déportation de près de 1 500 Juifs originaires de Bordeaux, qui s’y étaient réfugiés ou qui avaient été arrêtés en franchissant la ligne de démarcation entre la zone d’occupation et la zone sous contrôle de Vichy. Il n’a pas hésité, en octobre 1942, à faire extraire de leur lit d’hôpital, six juifs atteints de pathologie cardio-vasculaire pour les faire conduire dans le convoi du 26 octobre.
Les avocats de Maurice Papon, Me Varaut et Me Vuillemin, font, depuis l’incarcération de leur client, flèche de tout bois pour obtenir sa libération. Ils ont produit, deux rapports d’experts médicaux qui établissent tous deux que le prisonnier, à quatre-vingt-douze ans, est dans un état de santé fort précaire : pathologie cardiaque et état « grabataire ».(1)
A l’occasion de cette libération scandaleuse, on a appris à la radio que Maurice Papon, qui était dans le quartier VIP de la Prison de la Santé, (2) était bien capable de se rendre à pieds, tout seul, au parloir. Et, de fait, il a quitté, encore alerte, sa prison, dès le mercredi 18 septembre. Ce qui prouve que, comme pour Augusto Pinochet, la liberté est un remède de cheval capable de remettre sur pieds un grabataire à l’article de la mort !
Maurice Papon fut le premier « col blanc » français être jugé selon le statut de Nuremberg établi, en 1945, pour juger des crimes nazis, ce qui aurait pu donner à son procès une valeur d’exemple. Ce le fut, sauf qu’une procédure épique, sans arrêt remise en cause et traînant en longueur à cause d’intempestives interventions politiques, dont celle de l’ancien président François Mitterrand, continue d’entacher ce nécessaire « devoir de mémoire » alors même que celui-ci a contribué de manière décisive à la déclaration solennelle de Jacques Chirac, le 16 juillet 1995, sur la responsabilité de la France dans l’extermination des Juifs à partir de son territoire.
La décision de suspension de peine, est légale par suite d’une réforme du code de procédure pénale. Introduit par un amendement à la loi sur le droit des malades, adoptée le 4 mars 2002, ce nouveau dispositif permet aux magistrats de suspendre la peine des détenus dont « il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention », et ce sur la foi de « deux expertises médicales distinctes ».
On peut cependant se demander si le retour de la Droite au pouvoir - elle qui s’était tant élevé, MM. Seguin et Debré en tête, contre le procès de leur ancien « compagnon », leur ministre du Budget sous Valery Giscard d’Estaing - et l’absence d’échéances électorales à court horizon, n’ont pas favorisé cette libération.
Celle-ci bouleverse les victimes directes de l’ancien complice des nazis, les anciens déportés et bien des honnêtes gens, à qui l’on parle d’impunité zéro et qui constatent une telle mansuétude. Elle permettra cependant d’argumenter en faveur d’une mesure de droit et d’humanité : la remise de peine générale pour d’autres prisonniers âgés ou gravement malades.
(écrit le 9 octobre 2002) :
Papon
Un de nos lecteurs nous écrit : « Maurice Papon est sorti de prison au bout de 3 ans à peine pour une condamnation de 10 ans. Honteuse expertise médicale le jugeant grabataire : nous avons pu constater à la télé que, pour un grabataire, il marchait plutôt bien »
« désormais M. Papon pourra sans remords, couler des jours peinards. Quelle infâme décision pour les familles de ceux qui sont morts en déportation ». Sans retracer la carrière de Papon, notre lecteur insiste sur son passé de PDG de Sud Aviation : « C’est là qu’il va utiliser les méthodes répressives de l’armée pour casser l’influence des syndicats, en l’occurrence de la CGT : isolement des militants syndicaux, regroupement dans des ateliers à l’écart, brimades, menaces, révocations parfois, harcèlement par des chefs d’équipe sélectionnés pour leur combativité antisyndicale, ce qui poussa parfois des syndicalistes au suicide. Dans beaucoup d’autres usines, son » modèle " a été appliqué et est malheureusement toujours en vigueur de nos jours..
En raison des conséquences financières sur leurs familles, une partie de ces syndicalistes a utilisé, en 2002, la loi interdisant la discrimination syndicale et obtenu des compensations financières. C’est une victoire et une garantie contre la crainte des conséquences de l’adhésion syndicale..
On peut parfois pardonner certains faits mais il en est d’autres que notre mémoire ne saurait oublier. "
Paul Chazé