Ecrit le 11 juin 2014
Ne cédez pas au chant des sirènes
Le débat sur la réforme pénale s’est ouvert mardi 3 juin devant l’assemblée nationale. C’est un texte bien timide (voire timoré) n’ayant rien de révolutionnaire ! « Mais c’est en même temps le premier pas d’un changement radical de la pratique judiciaire, conformément aux recommandations du Conseil de l’Europe et à la pratique de la plupart des pays voisins. Des pays qui regardent avec stupéfaction les polémiques françaises sur une peine de probation que l’Angleterre, la Belgique, la Suisse, les Pays-Bas, les pays scandinaves ou le Canada ont adoptée depuis des années » dit Franck Johannès dans Le Monde du 2 juin .[Ndlr : cette peine de probation pourrait concerner 20 à 25 000 dossiers sur les 600"¯000 jugés chaque année par la justice].
« Parlementaires, ne cédez pas aux sirènes sécuritaires. Ne craignez pas d’être politiquement ambitieux, novateurs. Sortir de l’hégémonie de l’enfermement, de la répression à tous crins, désocialisante et inefficace, repenser une peine juste, individualisée, exécutée dans l’intérêt de la société, c’est être fidèle aux valeurs humanistes et de progrès qui nous animent ».
« Ne tombez pas dans le piège qui consiste, pour vos adversaires politiques, à vous taxer de laxistes pour extorquer publiquement votre consentement aux dispositifs qui vous choquaient hier. Oui, il faut abroger les peines planchers auxquelles vous vous opposiez fermement en 2007. Oui, il faut abolir la rétention de sûreté que Robert Badinter, et la gauche unie derrière lui, dénonçait avec force en 2008, » période sombre " pour la justice. Oui, il faut supprimer le tribunal correctionnel pour mineurs, qui juge depuis 2011 en adultes ceux dont on ne doit pas oublier qu’ils sont nos enfants et réaffirmer la spécificité de cette justice par une réforme courageuse de l’ordonnance de 1945.
n’acceptez pas que les termes de ce débat soient confisqués par ceux qui voudraient le réduire à une opposition entre fermeté et laxisme, cet épouvantail politique agité pour paralyser votre action. (...) Non, la gauche ne convaincra pas en disant que cette réforme est celle de la fermeté à l’égard des délinquants, pour la bonne raison que ce n’est pas le propos.
l’ambition de cette réforme est de repenser la sanction pénale, autour d’une finalité : la réinsertion des condamnés dans notre société dans des conditions qui assurent la sérénité de tous. Voilà l’enjeu !
[Ndlr : Pour l’heure, 80 % des condamnés sortent de prison avec leur petit sac de plastique sans aucun suivi (les « sorties sèches »), et même 98 % pour les peines de moins de six mois. Difficile de trouver un logement, plus difficile encore de trouver un emploi. Cette désocialisation est la porte ouverte à la récidive.]
Rien ne sert d’étendre la notion de récidive
« Libérez-vous de cet autre épouvantail qu’est la figure du dangereux récidiviste qu’il faudrait inéluctablement évincer de la société. (...) Il faut cesser de rechercher l’éradication de la récidive, cet objet politiquement rentable, pour enfin et mieux réfléchir à l’infléchissement de parcours délinquants et aux moyens permettant de parvenir à sortir de la délinquance. Ne vous leurrez pas : les décisions des juges sont déjà très fortement déterminées par la lecture des casiers judiciaires, rien ne sert donc d’étendre encore la notion de récidive. Ce n’est pas en créant un tel gadget, par ailleurs lourd de conséquences sur les statistiques de la délinquance, que l’on avancera. La solution est au contraire dans la suppression des obstacles à l’individualisation des peines des condamnés en récidive, ceux-là même qui ont le plus besoin, dans l’intérêt de la société et des victimes, d’un suivi cadrant et adapté à leurs problématiques ».
« Ne vous sentez pas liés par les » arbitrages « qui ont dénaturé la réforme. La justice pénale n’est pas soluble dans le » donnant-donnant « : il est incohérent, inefficace et dangereux de réduire les possibilités d’aménagement des peines des personnes libres à la sortie de l’audience alors que la philosophie du texte est celle d’une exécution des peines dans la cité moins désocialisante, moins infantilisante, plus responsabilisante et, au final, plus sécurisante ».
n’amputez pas la réforme
de ce qui fait sa force
« Ne vous arrêtez pas au milieu du gué, soyez innovants en rendant véritablement opérationnel cet outil de suivi et de prévention qu’est la contrainte pénale. Il faut pour cela donner aux juges la possibilité de la prononcer pour tous les délits et l’enrichir dans son contenu afin que les juges, libérés du carcan carcéral, puissent enfin, avec l’expertise des professionnels de la probation, adapter la peine et le suivi des personnes aux véritables déterminants de leur acte de délinquance ».
« Soyez sans tabou, passez les portes des établissements pénitentiaires et n’amputez pas la réforme de ce qui fait sa force. Au contraire, enrichissez-la des expériences étrangères. Remettez le suivi et la réinsertion au cœur de la peine en éradiquant les ’’sorties sèches’’, ces drames humains. Pour cela, il faut rompre avec l’idée que seuls les détenus méritants doivent sortir avant la fin de peine pour renverser la réflexion : c’est pour protéger la société, les intérêts des victimes que la réinsertion de tous doit être recherchée bien avant la fin de leur peine ».
" c’est au courage politique et à la fidélité à vos convictions que nous en appelons, pour que la justice pénale soit enfin au service de tous.
Signé : ACAT - LDH - SM - SAF - Genepi - OIP - CGT PJJ - CGT Penit - SNEPAP/FSU : SNPES/PJJ/FSU
Le collectif publie aussi un livret sur ’’les idées reçues’’ qu’on peut trouver ici :
http://goo.gl/F4HXoQ
- - La Justice est laxiste .... FAUX
- - Plus la peine est sévère, plus c’est efficace ... FAUX
- - Avec la loi Taubira, les délinquants n’iront plus en prison ... FAUX
- - l’Aménagement de peine, c’est un cadeau .... FAUX
- - les récidivistes sont des gens dangereux ... FAUX
- - la prison, ça sert de leçon ... FAUX
A quoi sert la prison ?
Protection de la société, sanction du condamné, intérêt de la victime, préparation à la réinsertion, prévention de la récidive : tels sont les cinq objectifs fixés depuis 2009 à toute peine privative de liberté. Pour être « efficace », la peine de prison devrait donc remplir le maximum de ses missions.
Pourtant, des conditions difficiles et un enfermement prolongé augmentent l’effet désocialisant de la prison et deviennent donc l’obstacle principal de la réinsertion sociale du condamné, condition sine qua non d’une politique de prévention de la récidive.
La « sévérité » accrue de la peine - par l’allongement du temps d’incarcération ou par le durcissement des conditions de détention : ne répond qu’au seul pilier ’’sanction du condamné’’.
Ainsi, ni le renforcement de l’emprise de l’institution carcérale sur les hommes qu’elle enferme, le durcissement du régime de détention imposé aux personnes détenues ou encore la limitation de l’exercice des droits légitimes des citoyens captifs ne garantit la protection de la société et l’intérêt des victimes.
Jean René Lecerf UMP, soutient la loi Taubira
Jean-René Lecerf, sénateur UMP est défenseur de la loi Taubira, en expliquant : « Concernant le refus du tout carcéral, je rappelle que la loi pénitentiaire dit qu’en matière délictuelle, la prison est la solution de dernier recours. La loi prévoyait un aménagement de peine de manière relativement systématique lorsque le seuil d’emprisonnement ne dépassait pas deux ans pour les primo délinquants et un an pour les récidivistes. Et la loi Taubira revient respectivement à un an et six mois. Alors sur ce point, cette réforme est plus sécuritaire que ne l’était la loi pénitentiaire. Et maintenant on dit : »c’est laxiste« ou »c’est scandaleux". C’est un procès en sorcellerie, ça n’a pas de sens ". Voir ici
Ecrit le 11 juin 2014
La bataille n’a pas eu lieu
La réforme pénale a finalement été adoptée jeudi 5 juin dans la nuit sans grand problème, devant une pincée de députés de l’opposition : la plupart de leurs 500 amendements n’ont même pas été examinés, faute d’orateurs pour les soutenir. En dehors de deux épisodes houleux, le texte de la commission des lois a ainsi été voté dans le calme, les peines plancher ont été supprimées ; la peine de probation : la contrainte pénale : enfin créée. La libération sous contrainte constitue un aménagement de la sanction initialement prononcée. Elle dure jusqu’au terme de la peine et ne la raccourcit donc pas. Cette mesure a été étendue pour éviter les sorties de prison sans accompagnement, améliorer la réinsertion des condamnés dans la société et freiner la récidive.
Même si le projet de loi a été incontestablement durci en commission, afin de louvoyer entre les exigences des ministres de l’intérieur et de la justice, un aussi prompt résultat était inespéré pour Christiane Taubira, qui s’en est « réjouie ». Le texte sera officiellement adopté mardi 10 juin par l’Assemblée nationale. Le sénat doit l’examiner à son tour du 24 au 27 juin.
Pas de prison pour les cols blancs
L’initiative aurait eu de quoi faire parler alors que les scandales financiers se multiplient à l’UMP. Un amendement a été déposé le 2 juin par six députés UMP à l’occasion de l’examen de la réforme pénale portée par Christiane Taubira. Il réclamait la limitation des peines de prison aux seuls « crimes commis à l’encontre d’une personne physique et qui porte atteinte à cette personne directement ». En clair les délits financiers comme les malversations, les escroqueries, le blanchiment d’argent ne pourraient plus conduire derrière les barreaux. Mais la tentative a fait long feu.
Pas de cadeau pour les parlementaires
Henri Guaino n’a pas réussi à échapper à la justice. Les députés français ont refusé, mardi 3 juin, de suspendre les poursuites judiciaires contre Henri Guaino jusqu’Ã la fin de la session parlementaire, fin juin, comme il l’avait lui-même demandé dans une proposition de résolution. L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, devenu député UMP des Yvelines en juin 2012, a été renvoyé en correctionnelle pour « outrage à magistrat » en raison de ses propos contre le juge Jean-Michel Gentil dans le cadre de l’affaire Bettencourt. Il avait accusé en mars 2013 le juge d’avoir « déshonoré la justice » pour avoir mis en examen Nicolas Sarkozy, qui a bénéficié plus tard d’un non-lieu, dans l’affaire Bettencourt.