Ecrit le 12 novembre 2008
Ici, tout est mis en œuvre pour repartir sur ses deux pieds.
là , les dysfonctionnements s’accumulent
jusqu’Ã compromettre l’autonomie des malades. Explications
(un dossier issu de Sciences et Avenir)
La maltraitance des personnes âgées est un thème qui revient d’actualité, surtout après la diffusion du film « les infiltrés » en caméra cachée sur la violence ordinaire dans les maisons de retraite (France 2 mercredi 22 octobre 2008). Le document a choqué, mais sera sans doute vite oublié car, le fond du problème, ce n’est pas l’existence de quelques soignants désagréables, c’est tout un système reposant sur un manque d’effectifs, un manque de formation, des périodes d’attente, de stress, de solitude. Les personnes très âgées, on le sait, sont de porcelaine fragile et il faut les manier avec une grande douceur et une grande technicité.
l’attente sur un lit sans bouger, immobilisé par une perfusion, les orientations inadéquates, les mau-
vaises pratiques, tous ces éléments constituent autant de facteurs d’aggravation de l’état général des malades que de pertes de chances pour les plus fragiles.
Bien sûr, cela touche particulièrement ceux qui ont dépassé les 75 ans. Mais pas seulement. « Plutôt que de fixer un âge, commente Francis Kimtzmann, président du Collège national des enseignants de gériatrie, nous préférons parler de malades gériatriques, c’est-Ã -dire de malades polypathologiques, plus fragiles et qui présentent donc des risques. Ainsi, on peut être concerné à 60 ans, comme ne pas l’être à 80. »
Voici la liste des dégâts qu’entraîne un mauvais parcours hospitalier.
Perte de chance n°1 - Confusion
Quelques heures pris dans la cohue des urgences
et c’est la confusion. Le patient âgé a beaucoup de mal à s’adapter au stress du fait d’un cerveau fragilisé, d’organes sensoriels amoindris et d’un organisme plus sensible à tout type d’agression. Lui ôter ses lunettes, le priver de son dentier, autant de gestes qui aug-
mentent son angoisse et brouillent son esprit. Il va ainsi perdre ses capacités cognitives, en raison d’une défaillance de son fonctionnement cérébral.
Quand l’état confusionnel s’installe, la vigilance est altérée et le langage troublé (recherche des mots et fuite des idées). le patient perd ses repères, notamment les notions de temps et d’espace, et peut même souffrir d’hallucinations visuelles et auditives. Son discours est désordonné et incohérent. A cela s’ajoutent des troubles de l’humeur : anxiété, agressivité et incompréhension des événements.
Perte de chance n°2 : décompensations en cascade et syndrome de glissement
Une affection aiguë et, dès les premières heures d’hospitalisation, tout peut se détraquer chez les patients déjà fragilisés par le vieillissement. Ainsi, l’épisode de crise peut anéantir
l’équilibre précaire qui permettait jusque-là de garder les maladies en sommeil.
d’où une décompensation en cascade de toutes les pathologies. Sont surtout touchés le cœur, les reins et le cerveau. Ainsi, un trouble cardiaque déclenchera une affection pulmonaire, une insuffisance rénale et de multiples infections. Phénomène d’autant plus dangereux que ces maladies s’aggravent par effet boule de neige.
Stade ultime : le syndrome de glissement.« Ce sont des gens qui allaient relativement bien et qui d’un coup, abandonnent tout et démissionnent sur le plan psychologique, commente Francis Kuntzmann. résultat : c’est le corps qui lâche. Il décompense, avec des manifestations de déshydratation et souvent une issue fatale. » Ainsi, ce syndrome, même s’il reste rare - 1 à 4 % des malades âgés hospitalisés "” peut évoluer vers la mort en quelques jours, un mois au plus s’il n’y a pas de prise en charge adaptée.
Perte de chance n°3 : Apparition de l’incontinence
L’usage de couches provoque l’incontinence. Nombreux sont les services, même aux urgences, qui, faute de temps et de personnel pour emmener les patients aux toilettes, les incitent à se soulager dans des changes. Or une fonction non utilisée peut décliner rapidement. c’est ainsi que les patients âgés perdent la maîtrise de leur vessie et de leurs sphincters. d’autant que l’immobilité favorise les infections urinaires. Sans parler des effets psychologiques. Imposer une telle régression, bafouer ainsi le droit à la dignité pousse davantage le patient dans les dédales de l’état confusionnel.
Perte de chance n°4 : Escarres
C’est le cauchemar des gériatres, « la spirale de l’horreur » d’après le Dr Vetel, président du Syndicat national de gérontologie clinique. Et pourtant, il ne suffit
que de deux petites heures pour qu’apparaisse l’escarre chez les patients souffrant de surcharge pondérale et d’hypotension. Cinq heures chez n’importe quel sujet pour que naisse cette plaie due à la pression prolongée des parties molles du corps prises au piège entre l’os et un plan dur (matelas ou chaise) et aggravée par le cisaillement, les frottements et la macération. On a pu dire que l’escarre est une maladie sociale, résultant d’un manque de soins.
Dès lors, poser une perfusion est un bien pour un mal. Sous prétexte de vouloir l’hydrater, on contraint le patient à ne plus bouger, et ainsi à devenir un terrain de prolifération idéale. Très vite, cette plaie, qui touche surtout le sacrum, le talon et le coude, peut passer de l’état de rougeur à celui de nécrose profonde. A ce stade, la cicatrisation prend des mois, voire des années. Il faudra ensuite 5 à 7 jours pour que la plaie apparaisse à la surface de la peau. En dessous, les tissus musculaires sont déjà nécrosés. Car l’escarre attaque d’abord le muscle, plus sensible que l’épiderme.
Dans les jours suivants, se forme l’abcès, puis l’ulcère. Surviennent alors de graves risques d’infection et de septicémie. Toute personne immobilisée est menacée. « Des athlètes handicapés, partis en Australie pour participer aux jeux handisports, en ont contracté lors du voyage en avion, note Marc Berthel, chef de service de gériatrie au CHU de Strasbourg. Ce qui a empêché certains de concourir. Pourtant c’étaient des sportifs musclés et entraînés. »
Sur un patient âgé, en raison de la fragilité de la peau, l’escarre est dévastatrice. d’autant qu’elle s’étendra plus vite en cas d’altération de l’état général ou d’inflammation.
La prévention des escarres demande beaucoup de temps aux soignants (qu’il s’agisse du personnel médical ou de la famille en cas d’hospitalisation à domicile) : favoriser l’oxygénation des tissus (hydratation suffisante, mouvements et promenades si possible), alimentation enrichie en protides et en calories sous contrôle médical, pansements spéciaux, matelas adaptés, changements de position réguliers, etc.
Perte de chance n°5 : Perte de l’équilibre
« Quand une vieille dame est alitée durant quelques jours et que faute de personne ! elle n’est pas régulièrement levée, son centre de gravité est déplacé », commente le Dr Jean-Marie Vetel, président du Syndicat national de gérontologie clinique. « Mise debout, elle part en arrière. En huit jours, il peut y avoir perte de la marche. » Ainsi ses réflexes posturaux disparaissent.
« L’oreille interne ne perçoit plus les inclinaisons de la tête, Les récepteurs du toucher, de la pression des pieds et des chevilles, déshabitués à recevoir des stimuli, n’indiquent plus la position vers le bas. » d’autant que la fréquence cardiaque des plus âgés peine à s’adapter aux changements de position debout-couché, ce qui peut entraîner des vertiges et des pertes de connaissance.
Perte de chance n°6 : Corps dénutri et déshydraté
La déshydratation et la dénutrition menacent très vite le patient âgé, surtout s’il est confus ou atteint de démence. Il ne ressentira ni le besoin de boire, ni celui de man-
ger. « La sensation de soif n’apparaît que plus tard car les récepteurs sont moins attentifs » commente Francis Kuntzmann.
Conséquence il n’absorbera pas assez d’eau, d’autant que ses besoins sont souvent accrus par la fièvre et les régurgitations. Hormis la constipation systématique qui l’accompagne, la déshydratation augmente le débit cardiaque provoquant un risque d’insuffisance cardiaque.
Les personnes âgées sont aussi très vulnérables aux carences alimentaires car les effets du vieillissement réduisent leurs réserves fonctionnelles musculaires. A l’arrivée à l’hôpital, ces réserves sont épuisées par la maladie qui augmente les besoins alimentaires.
A cela, s’ajoute une perte du goût et de l’appétit. Et même du plaisir de manger quand, pour gagner du temps, on mixe l’alimentation des patients alors qu’ils ont encore leurs facultés de mastication Tous les ingrédients sont réunis pour l’installation d’une dénutrition catastrophique.
d’après Bernard Pradines, gériatre à l’hôpital d’Albi (Tarn), « elle entraînera un affaiblissement général, une fonte musculaire accrue, une moindre résistance aux infections et une altération cérébrale ».
Perte de chance n°8 : Difficultés à respirer
l’alitement réduit le tonus des muscles respiratoires, donc les capacités de la pompe. Il favorise aussi l’accumulation des sécrétions bronchiques. Le patient peine à trouver son air. Sur un terrain fragilisé par le vieillissement, il y a risque de décompensation respiratoire.
Perte de chance n°9 : Muscles qui s’atrophient
s’ils ne sont pas sollicités, les muscles fondent, se rétractent, leurs fibres dégénèrent. « Ce sont surtout les muscles posturaux et ceux des jambes qui s’atrophient, note Antonio Giüell, responsable des programmes Sciences de la vie au Centre national d’études spatiales. Chez les personnes âgées, c’est un risque supplémentaire de chutes ». A chaque semaine d’immobilisation, le patient peut perdre 10% de sa masse musculaire, une perte aggravée en cas de dénutrition. Au bout de quelques jours, les articulations se raidissent. « La fibrose des tendons, ligaments et capsules articulaires intervient au bout de 48 heures d’immobilisation », note Lucien Mias. d’autant qu’une mauvaise position entraîne des douleurs intolérables.
Perte de chance n°10 : Os qui se fragilisent
« La décalcification des os intervient au bout de trois à six jours, commente Antonio Güell. On constate alors une quantité anormaIe de calcium dans les urines. Cette déminéralisation est diffuse et majorée chez les sujets âgés. Au bout d’un mois d’alitement, sans être mis debout et même si le patient a été assis dans son lit, la perte de densité osseuse apparaît à l’imagerie. c’est ensuite très dur à récupérer. » Ainsi, les os du talon, la tête du fémur et les vertèbres deviennent de la dentelle, ajourés par les pertes de calcium ; très fragiles donc très cassables. d’où de fortes douleurs et un risque élevé de chute et de fêlure.
Perte de chance n° 11 : Troubles métaboliques
« l’alitement provoque une baisse du pouvoir des lymphocytes T, d’où une fragilité du système immunitaire, note Antonio Giiell. En deux semaines, une personne, quel que soit son âge, devient plus vulnérable aux microbes. De plus, la non-utilisation de la masse musculaire provoque une tendance à l’hyperglycémie. » Enfin, la position couchée ralentit la circulation sanguine, un terrain idéal pour les embolies pulmonaires et les phlébites.
Source : SCIENCES ET AVENIR avril 2003
Maltraitances
La maltraitance des personnes âgées ce n’est pas seulement le manque de soins : c’est toute une attitude consistant à nier à la personne, vieillissante ou en perte de repères, sa qualité d’être humain.
– J’ai connu une maison de retraite, relativement huppée, où les résidents n’avaient pas le droit de manger un fruit dans leur chambre.
– J’ai connu une maison de retraite où les résidents n’avaient pas le droit d’avoir leurs papiers avec eux.
– J’ai connu une maison de retraite où l’on refusait de communiquer aux résidents les résultats de leurs analyses médicales.
– J’ai appris que, dans une maison de retraite, il était imposé aux résidents d’être habillés à 8 h du matin pour venir prendre le petit déjeuner en salle à manger.
On pourrait multiplier les exemples mais on pourrait aussi parler des résidences, comme celles de Châteaubriant, où le personnel, malgré les effectifs insuffisants, fait tout ce qu’il peut pour bien s’occuper des personnes âgées.
Plus d’infirmière de nuit à la Mapa de Châteaubriant