Ecrit le 26 janvier 2011
FORUM des LECTEURS :
l’article de la Mée du 10 novembre 2010 sur les traumatismes des anciens soldats d’Algérie, a suscité de longues réflexions chez un de nos lecteurs qui, in fine, s’est décidé à écrire
Les mondes du silence
– celui des Anciens Appelés d’Algérie qui commencent seulement à parler de leurs vingt ans, là -bas, dans les djebels. « Mon papa mon mari la nuit, il crie, et je ne sais pas pourquoi ». La Mée a bien fait d’en parler récemment.
– celui des Anciens déportés, qui, eux aussi, avaient mis cinquante années avant de faire leur « catharsis » : raconter l’incommunicable, l’indicible. Cinquante années, eux aussi.
– celui dans lequel, peut-être vous-même, êtes enfermé, traînant ainsi un souvenir qui continue à vous démolir mais que, autour de vous, nul ne soupçonne.
« La Torture dont ils ont été les témoins, peut-être les acteurs, vibrionne dans leur mémoire tel un cancer ramené de l’aurès ou de la Kabylie ».
Appartenant moi-même à ces mondes du silence, je les rapproche. En évitant de les comparer, c’est évident. Mais l’octogénaire que je suis ne les a pas encore évacués. Tant il est vrai que les souvenirs enfouis dans nos consciences remontent à la surface avec une intensité et une précision croissantes, à mesure que les années s’accumulent.
Je suis prêtre. J’ai participé à une vingtaine de « missions de renfort » des aumôniers militaires pendant la guerre d’Algérie. Les Aumôneries officielles (Catholique, Protestante et Juive) recrutaient des prêtres, pasteurs ou rabbins civils disponibles pour les fêtes religieuses ou les congés des aumôniers titulaires. « Volontaires, sans solde, à nos risques et périls ». c’est ainsi que j’ai fermé les yeux, dans les djebels, à André Herbert (Nort sur Erdre), Joseph Luneau (La Regrippière ), Cavalan (St Sulpice des Landes) et d’autres encore
Civils, mais habilités à exercer notre ministère provisoirement dans l’armée. Plus libres, en fait, que les aumôniers titulaires, ce qui engageait les soldats ou officiers à nous confier leurs drames de conscience. J’en ai vu pleurer comme des gosses : « Si ma mère savait ce que je fais !... » Car la torture, cela existait. Pas seulement les coups de violence, de vengeance d’un moment. Mais le « SYSTEME » organisé scientifiquement, que la France, longtemps après, a dû reconnaître. Le Général de Bollardière (Castelbriantais, né aux Fougerays), lui, n’avait pas attendu : il avait démissionné et renvoyé ses étoiles et ses très nombreuses décorations au Ministre. Le prix ? Six mois de forteresse !
La déportation ? Trois des miens dans les camps de la mort ( Réseau Buckmaster ). Et moi-même, résistant aussi, harcelé par la Gestapo qui m’avait laissé dans la nature en espérant que j’ajouterais, imprudemment, à leurs dossiers déjà copieux. Les couloirs de la mort, dit-on aux USA. Savoir, chaque matin, que c’était peut-être pour le soir.
Et, pendant cinquante années aussi, le SILENCE. Il aura fallu 1995 (Libération des camps ), pour que les déportés commencent à parler. L’incroyable. L’inimaginable, la stupeur du monde entier devant les squelettes vivants d’Auschwitz ou de Thérézine et de tous les camps nazis. Cinquante ans comme pour les anciens d’Algérie. Les « Mondes du silence » Vous les croisez chaque jour, dans la rue sans vous en douter. Chacun(e) de nous porte son mystère.
Et surtout, peut-être, ces mondes du silence que sont tous les lieux de mort qui perdurent encore aujourd’hui et que la TV nous assène chaque soir. Ou dont le souvenir ronge nos existences.
L’homme sera-t-il donc toujours un loup pour l’homme ?
Heureusement, il y a aussi des hommes de VIE : je pense à ces anciens d’Algérie qui ont fondé une Association pour aider fraternellement une école, un hôpital, une crèche, un Centre de Formation en Algérie-même. Ils y consacrent leur « retraite de Combattant ». ( Pourtant bien mince.) c’est tout un réseau de partage, de relations humaines qui traverse, aujourd’hui, la méditerranée. Un partenariat fraternel avec des Algériens fonctionne allègrement. Le refus de la retraite d’anciens combattants : c’est le refus de la guerre (1). de toute violence. De toute torture.
Le choix de la Paix. « Je recommence à dormir » me dit un ancien appelé d’Algérie . Il aura fallu cinquante années !
Sur les murs du silence, sur les ruines de la guerre, ou du vieux donjon de Châteaubriant, il y a toujours, dit le poète, un oiseau qui chante.
(1) Association d’anciens appelés d’Algérie
mémoires de la guerre d’Algérie
Ecrit le 13 juin 2021
Des hommes (film)
lIs ont été appelés en Algérie au moment des « événements » en 1960. Deux ans plus tard, ils sont rentrés en France. Ils se sont tus, ils ont vécu leur vie. Mais parfois il suffit de presque rien, d’une journée d’anniversaire, d’un cadeau qui tient dans la poche, pour que quarante ans après, le passé fasse irruption dans la vie de ceux qui ont cru pouvoir le nier.
Ce sont des voix off, se chevauchant parfois, qui racontent l’indicible à travers lettres de l’époque et souvenirs. Le sujet est fort, n’escamotant pas la sauvagerie des combats et des représailles, bien que restant dans une certaine « douceur » par rapport à la réalité.