Ecrit le 30 novembre 2011
« La France est en faillite ! » c’est son Premier Ministre qui le dit, et au journal télévisé en plus
c’est une contre-vérité car nous ne sommes ni la Grèce ni l’Italie, et la France aurait, au pire, encore de jolis joyaux à vendre, culturels et industriels, qui intéressent beaucoup d’investisseurs.
Mais c’est aussi une tragique erreur, indigne du second plus haut élu du pays : la parole d’un homme aussi influent est capable de faire arriver ce qu’il annonce car c’est une prophétie (nous n’en sommes pas là ) qui risque de se réaliser d’elle-même : les marchés n’attendront pas pour croire un homme aussi « compétent » et spéculer sur notre avenir, peint en couleurs si sombres par ses propres dirigeants
En proférant de telles inanités, on veut nous culpabiliser d’avoir vécu, paraît-il, si longtemps au-dessus de nos moyens ; rassurer les marchés et les agences de notations ; et faire payer l’ardoise des opérations de 1% de cols blancs, aussi légales que leurs conséquences sont criminelles, par les 99% des autres, qui regardent passer les yachts bien sagement pendant les congés payés. Bien avant la crise, Danielle Mitterand s’insurgeait contre la dictature de la finance.
On nous ressasse tellement d’histoires de crise que les gens, qui ont autre chose à faire pour garder la tête hors de l’eau et n’ont pas le bagage pour comprendre ce qui se passe, refusent maintenant d’en entendre parler : ils se voilent la face, en travaillant toujours plus pour gagner la même chose, voire moins. Serait-ce aussi un peu le but du jeu ? Car tout peut continuer ainsi : paradis fiscaux, évasion fiscale, boucliers fiscaux qui ne disent plus leur nom au fil des sommets internationaux rien ne change : mieux même, les conservateurs font un retour en force dans les sondages, car on se réfugie frileusement sous l’aile de ceux qui, bien que si critiqués, ont le mérite qu’on sait à quelle sauce ils nous mangent depuis si longtemps.
Et l’Etat a bien du mal à faire entrer l’argent qui lui est dû : et lui fut si utile pour renflouer ces mêmes banques, quand leurs grosses affaires eurent mal tourné.
Pourquoi confier aux banques ...
Par conséquent, pourquoi confier aux banques le soin de financer les Etats alors que l’Etat est toujours chargé, au final, de se porter garant pour celles qui lui prêtent l’argent grâce auquel il les a sauvées ! Aujourd’hui, on paie les intérêts sur les intérêts des intérêts, spirale infernale et insoluble : la preuve, on a effacé 50% de la dette grecque, pour l’instant : qui faisait le bonheur des banques jusqu’Ã ce que la rapacité du système dont elles bénéficient tue la poule aux œufs d’or et fasse (enfin) un trou dans leur caisse.
Or, il fut un temps (jusqu’au début des années 1970), où l’Etat se finançait lui-même, et n’avait donc pas d’intérêts à verser sur le financement de ses dépenses. Bien sûr, la situation a dégénéré car les gouvernements ont manipulé cette manne pour se faire réélire, par exemple en créant à grands frais des emplois publics pour faire artificiellement baisser le chômage juste avant les élections : et devaient ensuite appliquer des politiques d’austérité pour contrôler l’inflation provoquée par de si « généreuses » mesures.
Le pendule est donc parti en sens inverse, et on interdit depuis à l’Etat de mettre la main dans la caisse, pour bien séparer les prêteurs des emprunteurs. C’était en principe louable, mais c’était remettre le sort de la nation entre les mains d’intérêts privés, des banques, plus soucieuses de leurs dividendes que du bien public.
De toute évidence, le pendule est allé maintenant beaucoup trop loin : la crise actuelle est due en grande partie à l’absence de contrôles, de régulations du privé par l’Etat, et on a laissé la finance devenir folle et nous embarquer tous dans son grand casino et ses pratiques de « cavalerie », pour fuir en avant et retarder l’échéance. Et maintenant que l’orchestre ne joue plus, on constate qu’il n’y avait jamais eu assez de chaises musicales pour tout le monde : les moins rapides à s’asseoir (ceux qui ne savaient même pas qu’ils participaient à ce jeu) doivent maintenant payer la chaise des plus malins, ceux qui ont joué l’argent des contribuables et des petits épargnants sur des produits de plus en plus « dérivés » de toute réalité économique.
Le système actuel fait en ce moment la preuve qu’il est urgent d’en changer. On ne peut plus le respecter car sa logique consiste à pressurer les peuples pour leur faire rendre gorge, et de plus en plus rapidement : certes, les Grecs par exemple étaient payés 14 mois sur 12, ne paient toujours pas leurs impôts, organisent l’évasion fiscale d’une énorme économie parallèle et ont menti sur l’état de leur économie [ndlr : avec les conseils des banques !]. Cela aussi doit changer. Mais le temps de la finance (la nanoseconde) n’est pas celui des réformes sociales et politiques (des années).
Demain la guerre ?
Les conditions infligées au peuple grec ressemblent à s’y méprendre à celles endurées par l’allemagne, sommée de payer les dommages de guerre au temps de la République de Weimar (1923). Comme ce pays ne faisait pas partie d’une union monétaire comme actuellement, il a essayé de s’en sortir en payant ses dettes en monnaie de singe, en imprimant à tout-va des Marks : de ce fait tellement dévalués qu’il en fallait une brouette pour acheter le pain (hyperinflation : inévitable en Grèce si ce pays se fait jeter de l’euro et doit rembourser en drachmes des dettes astronomiques en euro !). Les Grecs et tous les autres peuples qu’on voudra soumettre à une austérité aussi brutale que soudaine n’auront plus rien à perdre à se révolter et les banques, qui auront tout perdu, auront, en plus de leur crimes financiers, le sang des révoltés sur les mains. Ou bien elles nous mèneront à une guerre, encore une autre, et plus généralisée.
La guerre c’est la seconde solution traditionnelle du capitalisme (la première étant l’hyperinflation), pour résoudre ses contradictions et relancer l’économie par l’effort de guerre et les destructions.
La guerre serait le symptôme ultime de la maladie du système : déjà , les multinationales sont des personnes morales ( !) qui présentent tous les symptômes d’un dangereux psychopathe (voir la vidéo, « The Corporation »)
- - Totale indifférence aux sentiments des autres : irrespect des employés ici, et des enfants du tiers monde.
- - Incapacité d’entretenir des relations durables : elles profitent des exemptions fiscales qu’offre un pays pour les attirer, et s’en vont ailleurs quand il faut commencer à payer les taxes.
- - Totale indifférence pour la santé d’autrui et de l’environnement (« externalités » : ce n’est pas leur job de s’inquiéter de la pollution qu’elles causent, leur seul objectif c’est le profit, et à l’Etat : à nous les parties prenantes : de nettoyer derrière elles)
- - Malhonnêteté permanente pour acquérir plus de profits ; refus de se conformer aux normes sociales et de respecter les lois
- - Incapacité à ressentir de la culpabilité
Les marchés maniaco-dépressifs
Quant aux marchés, ils ont tout du maniaco-dépressif bipolaire : ils ne connaissent que l’euphorie et la panique et passent brutalement de l’un à l’autre, tellement le système amplifie les mouvements de capitaux et l’humeur des investisseurs : dont la plupart ne font que suivre ceux qui, pensent-ils, savent ce qu’ils font. Et comme les assurances sur les produits dérivés assurent des milliers de fois le même risque (contrairement à votre assurance auto qui est la seule à assurer une seule fois chaque accident avec votre voiture), chaque perte se répercute des milliers de fois sur le système.
Sommes-nous, dans un tel contexte, encore en démocratie ? Et n’avons-nous pas perdu tout esprit rationnel ?
La réponse est évidente : ceux que nous avons élus pour nous diriger n’ont plus qu’un souci : ne pas encourir les foudres d’agences de notation qui se comptent sur les doigts d’une main, ne sont pas élues et ont fait la preuve de leur incompétence (ou malhonnêteté ?) en ne révélant pas ce qu’elles savaient avant la crise des subprimes : elles l’ont donc aggravée en la retardant, ce qu’on paie tous avec la crise actuelle. Or, notre sort dépend de ces quelques « experts » car les taux d’intérêt qu’appliquent les banques à notre Etat augmentent chaque fois que ces évaluateurs nous donnent une mauvaise note.
Dans les mains des robots
Cette infantilisation des sociétés civiles trouve son apothéose quand on sait que 50% des transactions en Europe sont effectuées par des robots qui vendent et rachètent toutes les nanosecondes, dégageant à chaque fois quelques centimes qui finissent à ce rythme par faire des milliards. Le sommet de l’absurde est atteint par les Etats-Unis où ce sont 90% des transactions qui échappent au contrôle direct d’un être humain. Notre sort est donc remis aux circuits électroniques de machines créées par quelques hommes à leur image : ils en ont fait leurs dieux, et il est indispensable d’apaiser leur courroux : nous nous comportons comme les anciens Mayas, qui abreuvaient du sang des victimes sacrifiées dans leurs temples, un soleil qu’ils craignaient de ne plus voir se lever. Sommes-nous si supérieurs à ces peuples primitifs ?
Nous nous sommes mis en devoir d’apaiser la colère « des marchés », entités pour le moins abstraites tellement elles sont diluées, autant dans les portefeuilles de tous les Dupont titulaires d’une assurance-vie que de ceux d’un Soros gourou de la finance. Et c’est du sang et des larmes, qu’on nous promet pour bientôt, celui de tous les exploités du monde, que nous déversons religieusement dans les coffres des nantis. Ce qui est d’autant plus injuste que les dettes de notre Etat sont détenues en grande partie par des investisseurs étrangers, outre par certains d’entre nous ; mais nous serons les seuls à souffrir de l’austérité imposée pour rembourser ces gros intérêts, dispensés, eux, de subir les conséquences des « risques » (garantis par l’Etat) qu’ils se targuent pourtant orgueilleusement de prendre.
On pourrait continuer ainsi encore longtemps à dénoncer les failles du système globalisé. Certes, il a produit une grande prospérité : pour une infime minorité (les pays développés), et même, reconnaissons-le, pour la majorité des plus pauvres : mais eux n’ont croqué que les miettes ; et aux dépens de la justice sociale la plus élémentaire et de l’environnement mondial.
La main invisible du marché
L’économie et la finance sont matières trop sérieuses pour les laisser dans la main invisible du marché, c’est-Ã -dire les abandonner aux exactions tout à fait visibles des requins. Il est urgent que l’Etat impose la répartition des pertes sur les rentiers aussi (taxe Tobin, taxation réellement proportionnelle au patrimoine de chacun, etc.) et réforme le système des banques, pour que celles qui prennent des risques inconsidérées soient suffisamment petites pour qu’on puisse les abandonner seules à leur triste sort, sans plus risquer de mettre nos économies en péril pour les en tirer* On ne sera ainsi plus obligés d’offrir le luxe d’un filet de sécurité à des banques incompétentes : mais devenues si grosses qu’on ne peut plus se permettre de les lâcher car elles nous emporteraient dans leur chute. Elles n’ont donc de privées que le nom, car elles privatisent effectivement leurs profits quand tout marche comme elles veulent, mais sont assurées du soutien inconditionnel des contribuables du monde entier pour mutualiser leurs pertes et c’est bien pour cela qu’elles se permettent de pousser le bouchon si loin.
*Note : ce que garantissait le Glass Steagal Act aux Etats-Unis : décrété suite à la Grande dépression de 1929 et que les ultralibéraux, Reagan en tête, se sont empressés de priver de toute efficacité entre les années 1970 et 1980 : avec les dégâts qu’on paie depuis 2008.
On trouve ces idées, entre autres, dans la vidéo, « The corporation »
Ecouter aussi les émissions sur France Inter de Daniel Mermet, « LÃ -bas si j’y suis » tous les après-midi à partir de 15h), de Alexandra Bensail « On n’arrête pas l’éco, on n’arrête pas l’éco » (tous les samedis à partir de 9h) et, sur France Culture, diverses émissions économiques.
Chez les « Economistes atterrés » : http://inventin.lautre.net/livres/economistes-atterres-extraits.pdf
Je ne suis pas économiste et sans doute d’autres plus qualifiés ont-ils relevé des erreurs dans cet article. J’aimerais donc que les lecteurs, amateurs comme moi et ceux qui ont des compétences particulières, viennent enrichir le débat.
Le moral des Français
Selon l’INSEE (institut national de la statistique), en novembre 2011, l’opinion des ménages sur leur situation financière personnelle passée et future recule. Celle sur leur capacité à épargner dans les mois à venir baisse également.
Les ménages sont nettement plus nombreux à anticiper une augmentation du chômage (+10 points). De même ils craignent une inflation en forte hausse.
Les exploités se rebiffent !
Chine : un millier d’ouvriers d’un sous-traitant d’Apple et d’IBM dans le sud du pays ont fait grève pour protester contre des heures supplémentaires imposées, des accidents du travail et des licenciements, selon une ONG (organisation non-gouvernementale)
Voir aussi : La mémé, le Chômeur et le Robot