Ecrit le 21 mars 2012
Tuerie nocturne
Le 11 mars 2012, un sergent américain est sorti en pleine nuit de sa base militaire près de Kandahar, il est entré dans trois maisons et a tué de sang froid 16 villageois endormis, dont 9 enfants. Récemment, six militaires américains ont été abattus par leurs collègues afghans, après l’incinération d’un Coran quelques jours plus tôt par d’autres soldats américains dans la base de Bagram.
La situation en Afghanistan s’aggrave, dans un climat de défiance de la population contre les Américains et plus largement contre les troupes étrangères. « Il n’y a pas de champ de bataille, il n’y a aucun sanctuaire, aucun moment de répit où la vigilance peut-être levée. Le soldat voit des ennemis partout, femmes et enfants compris. Cela entraîne forcément des troubles individuels, mais aussi collectifs » écrit Catherine Gouë sel dans l’Express du 13/03. Après dix ans de guerre en Afghanistan et huit ans de guerre d’Irak, les troupes américaines sont épuisées, les soldats américains effectuent des périodes de 15 mois. Certes le taux de survie des soldats s’est considérablement amélioré, mais au prix de quelles mutilations ? Et, lorsqu’ils rentrent au pays, les vétérans trouvent moins de travail que les autres. De plus les troubles post-traumatiques, qui touchent 20 % des soldats sont minimisés (pour réduire la pension qui est versée aux personnes !). Pourtant, au cours de ces derniers mois, on a observé plus de morts par suicide parmi les soldats et les vétérans que de morts sur le théâtre des opérations militaires.
Sortir du merdier afghan ?
La question : « Faut-il sortir du merdier afghan ? » est très complexe, elle exige de prendre en compte de nombreuses données et de faire un détour par l’histoire et la géographie.
C’est ce qu’explique, ci-dessous, Jean-Maurice Derrien, qui a été inspecteur du travail, notamment dans la région de Châteaubriant (1970-1975), puis expert du Bureau international du Travail (BIT), en charge du travail des enfants et de la formation des inspecteurs du travail dans une cinquantaine de pays en santé et sécurité du travail ; il a notamment écrit « Le travail des enfants en question(s) ? » aux Editions L’Harmattan en 2008.
Afghanistan L’histoire récente, d’abord
Le pays a été sous domination soviétique
pendant 10 ans (1979:1989) puis conquis par les talibans. Les armées occidentales sont intervenues après le 11 septembre 2001, le commandant Massoud ayant été assassiné le 9 septembre. Elles ont réussi à chasser les talibans et à réduire l’influence d’Al Quaida, jusqu’à la mort de Ben Laden. Je pense que leur intervention était nécessaire pour éviter que le pays ne serve de base stratégique de combat pour les islamistes radicaux, mais doit-elle se prolonger au-delà de ces 10 ans ?
La géographie
L’Afghanistan est entouré par l’Iran, une dictature islamiste féroce, par le Pakistan, une « fausse démocratie » , dominée par l’armée et par les islamistes, et au nord par des pays islamistes de l’ancienne URSS. Le pays peut-il espérer devenir une démocratie avec l’aide des armes occidentales alors qu’il est entouré de pays musulmans pour lesquels Islam et démocratie sont incompatibles ?
Il est probable que lorsque les armées occidentales auront quitté l’afghanistan en 2014, les talibans reprendront le pouvoir et imposeront de nouveau la charia et l’interdiction de l’école pour les petites filles. Le mollah Omar, chef des talibans, (dont on ne sait pas s’il est encore vivant) crachait son mépris des femmes en 1997 : « De par sa nature même, la femme est un être faible et vulnérable à la tentation. Si on la laisse sortir de chez elle, hors de la surveillance de son père, de son frère, de son mari ou de son oncle,elle aura vite fait de se laisser entraîner sur la voie du péché (...). Une femme qui quitte son foyer pour aller travailler entre forcément en contact avec des hommes qui lui sont étrangers. Comme le montre l’expérience des pays occidentaux, c’est le premier pas vers la prostitution. La burquaa empêche les hommes de connaître l’apparence et même l’âge d’une femme. Ainsi la tentation disparaît purement et simplement. Les femmes n’ont plus à se soucier de leur aspect extérieur puisque personne ne les verra. Elles peuvent donc développer leurs ressources spirituelles, au lieu de subir le triste sort des femmes occidentales transformées en poupées peinturlurées et en objets sexuels » (source : Le Monde, 8/ 2/1997)
Les armées occidentales laisseront aussi les tribus afghanes se déchirer entre Pachtouns (majoritaires) et les tribus du nord (Tadjiks, Ouzbeks, Turcomans, etc.). La guerre civile est très probable entre les « seigneurs de la guerre » qui favoriseront la culture du pavot pour se partager ses revenus fabuleux. Actuellement nous finançons indirectement les talibans et les guerres civiles dans la mesure où une partie des soldats et des policiers qui sont formés par les militaires occidentaux passent très rapidement avec armes et bagages chez les talibans.
Devons-nous pour autant maintenir nos armées occidentales dans ce pays avec tous les coûts humains et financiers (des milliards de dollars) que cela implique ? Je ne le crois pas ; il nous faut quitter ce merdier le plus vite possible (« Fous pas ton pied dans cette merde » disaient les opposants à la guerre d’Algérie dès 1954).
On n’impose pas la démocratie, l’arme au poing
Pour moi, on n’impose pas la démocratie et les droits de l’homme l’arme au poing. Les milliards dépensés dans cette guerre qui s’éternise seraient mieux utilisés si on
négociait avec le gouvernement afghan actuel :
– la construction d’écoles où seraient accueillis sans discrimination les petites filles et les garçons, les femmes et les hommes (analphabètes à plus de 80%) ;
– la construction de centres de santé où serait notamment promue la contraception ;
– la création d’emplois décents pour les femmes ;
– la reconversion des champs de pavot en cultures vivrières pour lutter contre la faim ;
– la lutte contre la corruption, immense, énorme, qui touche de haut en bas toute la société ;
– la défense inflexible des droits de l’homme, de la femme et de l’enfant, conformément aux conventions des Nations Unies et de l’OIT que le pays a ratifiées.
La réalisation de ces engagements serait le meilleur rempart contre le retour des talibans et des guerres civiles. Cela implique que le Pakistan cesse son soutien militaire, idéologique et diplomatique aux talibans afghans et donc qu’il s’engage dans une coopération sincère avec l’Inde, son ennemi (quatre guerres entre eux), qui, elle, soutient le gouvernement afghan.
La lutte culturelle
Cela implique aussi que les pays occidentaux remplacent leurs armes par la lutte culturelle contre les islamistes radicaux, contre la soumission (Islam veut dire « soumission » ) à Allah, aux chefs, aux mâles ; par le combat sans concession pour les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant devant les Nations Unies, devant le tribunal international de La Haye, devant un tribunal international des droits de l’homme, de la femme et l’enfant, tribunal qui reste à créer et qui condamnerait sévèrement toutes les atteintes à ces droits, y compris en excluant les Etats fautifs des instances internationales, ONU, OIT, OMS, FAO, etc.
Si toutes ces mesures échouent et que les talibans reprennent le pouvoir, nous ne pourrons plus rien pour les empêcher de se déchirer et de tenter d’exporter leur croisade islamiste. Il nous restera à nous protéger, à boucler nos frontières, à installer un cordon sanitaire autour de l’Europe n refusant notamment l’arrivée dans l’UE de la Turquie, porte d’entrée de tous les islamistes d’Asie et d’Afrique.
Il ne nous restera plus qu’Ã lutter farouchement contre les trafiquants et les consommateurs de la drogue qui fait vivre l’afghanistan, ses paysans, ses mafias et ses seigneurs de la guerre. Tant qu’il y aura un marché de la drogue auprès des jeunes européens et américains, il y aura des guerres pour contrôler ce marché fabuleux.
Un autre marché
est possible
Un autre marché est possible ; un rapport vient de révéler les immenses richesses minières du pays ; elles sont actuellement inexploitées et fort convoitées par les Chinois et les Russes. On peut passer un deal avec le gouvernement actuel : nous retirons nos armées, nous vous aidons avec nos technologies modernes à exploiter vos ressources minières, à condition que vous engagiez à lutter fermement contre la corruption et à défendre les droits de l’homme, de la femme et l’enfant.
Le pari peut être tenté ; il serait exemplaire, car s’il fallait défendre par les armes les droits de l’homme et la démocratie contre toutes les dictatures, les totalitarismes, l’islamisme radical et la bêtise, il faudrait porter la guerre en Iran, en Syrie, en Somalie, en Chine, au Vietnam, en Corée du nord, en Birmanie, à Cuba, au Venezuela, en Biélorussie et dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.
Je ne crois pas que la guerre soit la solution ; je miserais plutôt sur la lutte culturelle et idéologique pour la promotion des valeurs humanistes des droits de l’homme, de la femme et de l’enfant et sur le renforcement des pouvoirs des instances internationales, ONU et tribunaux internationaux.
Travail des enfants, le prix Nobel de la Paix pour Malala et Kailash