Ecrit le 17 septembre 2014.
Quel parent ne s’est jamais demandé s’il n’y avait pas d’autres façons de faire avec son enfant ? En ce qui me concerne, mon aventure de mère [de trois enfants] a été jalonnée de nombreuses prises de conscience et pas toujours des plus simples
Dans beaucoup de discours, l’enfant est soi-disant au centre des préoccupations des adultes. Mais les moyens employés ne mettent-ils pas les enfants au cœur d’une organisation sociale décidée par les mêmes qui la gouvernent ???
Or, point de voix d’enfant pour rappeler les tourments causés par un monde qui refuse de plus en plus de reconnaître l’enfance comme une exclusivité qui se dérobe au fur et à mesure que nous entrons dans le monde des adultes.
Ceux-là même, qui demandent que les enfants « intègrent » les règles du jeu des « grands », connaissent peu les ’’règles’’ inhérentes à l’enfance. D’emblée, le contrat semble déséquilibré. Cela me fait du bien de pouvoir le dire !!
Voix au chapitre
En revanche, cela n’aura aucune incidence sur ce qui s’est dit sans « nous », parents de ces enfants, alors que nous abordons la rentrée sans avoir pu avoir voix au chapitre dans la nouvelle organisation des rythmes scolaires au Primaire Ne parlons même pas du manque de voix au chapitre pour les enfants eux-mêmes Quelle singulière façon dans notre pays, que celle de nos élites qui décrètent et discourent sur les meilleures méthodes pour mener nos enfants vers l’autonomie alors qu’ils ne recueillent ni les impressions ni les bonnes idées directement auprès de ces derniers intéressés ??? J’ajoute que les enfants ont bien des idées et des voeux à exprimer.
A moins que nous préférions maintenir nos enfants dans une posture passive en « attendant » que le droit de vote leur donne le droit de « donner » leur voix à quelqu’un..... comme un simple consommateur-subordonné en droit civique.
Eh oui, je sais que personne n’aime se sentir « consommateur » en termes de règle du jeu, et pourtant que suis-je en ce moment, si ce n’est une mère réduite par ma voix muette, en simple « usagère » des nouveaux services que l’élite a décidés sans moi, pour l’éducation scolaire de mes enfants. ? Ce n’est pas en étant de simples consommateurs de services que nous éduquons nos enfants à utiliser leur libre-arbitre. Ce que je veux dire par là , c’est que si nous nous contentons de rendre nos enfants performants dans leurs études sans comprendre ce qui les anime profondément, nous risquons de passer à côté de quelque chose de fondamental pour eux et pour nous.
Juste un exemple : que se passe t-il pour un jeune enfant au moment de son entrée dans la lecture, s’il ne dépasse pas la notion d’effort pour connaître le vrai plaisir de lire ?? On s’en doute.... C’est donc d’abord pour « ménager » le plaisir du contact avec les livres, comme nombre de parents, que j’ai « baigné » mes enfants dans l’univers des histoires et des documentaires, mais avec comme priorité : le plaisir partagé.
L’autonomie, la vraie c’est quand l’enfant découvre l’accès à ses « moteurs intérieurs ». J’aimerais me faire porte-voix de ce postulat...... Car, je me demande souvent si les adultes que nous sommes prennent le soin de prendre en considération tout ce que le métier d’élève mobilise chez l’enfant afin qu’il en intègre les tenants et les aboutissants. Pas étonnant que sa « disponibilité intérieure » soit saturée à la mi-journée. Et que les moments de récré ou de sortie d’école soient des moments de pure décompression voire « décompensation »....avec des effets parfois inverses à ceux escomptés
Intéressant que de pouvoir se questionner sur ce qu’on a l’habitude de ne pas remettre en question.
Pour nous, adultes, grandir signifie « quitter le monde de l’enfance ». Alors qu’on pourrait envisager que les adultes puissent apprendre à communiquer avec le mode « compatible » -
enfant. L’éducation perdrait en « violence » ce qu’elle attribue à quelque chose de « normal » ou plutôt « normé », et qui en fait est un abus de pouvoir, pour s’outiller en « habiletés » appropriées aux réalités de l’enfance.
Apprendre
Mes enfants m’ont toujours fait comprendre qu’ils étaient habités par l’envie d’apprendre. Mais à chaque rentrée je dois tenter de convaincre par des formulations attrayantes qu’ils ont beaucoup à apprendre ... beaucoup ....et que l’école sert à ça. Mais au fond je me mens, car derrière le mot « apprendre » se cache un miroir brisé : ce miroir me renvoie la faille immense séparant le « apprendre » de l’enfant et celui de l’adulte. Le « apprendre » tel qu’il est, « vivant », en chacun de nos enfants depuis leur naissance, n’est sûrement pas le même que le « apprendre » tel qu’il est conçu par nos méninges d’adultes. et les programmes des technocrates !
Je me suis posé bien d’autres questions encore. notamment, comment me faire comprendre face aux divergences entre un enfant et moi ? J’ai entre autres « bataillé » pour que les enfants soient à l’heure à l’école. Bataillé pour qu’ils se couchent à temps. Bataillé pour que leurs dents soient brossées après chaque repas. Bataillé pour que la leçon du soir soit apprise. Tant de batailles menées..... et en cadence avec les changements d’heures dans l’année, avec les rythmes scolaires ou ceux du « temps libre », les rythmes décalés, les rythmes alternés, les rythmes arythmiques (ceux des enfants, les miens .). A force de me batailler, je me suis rendu compte que c’était moi qui avais quelque chose à apprendre d’eux.
Je n’y suis pas arrivée toute seule. Par des lectures, des rencontres , des temps d’échange et de remise en cause, j’ai compris que ce je pensais être une évidence pour tout le monde n’était qu’un ’’carcan d’adultes’’. Car, pour mes jeunes enfants, sans espace de « jeu » ou d’imaginaire dans la relation, par la parole le regard ou l’intonation, pas de rencontre possible entre mes exigences d’adulte et leur univers d’enfants.... Mais alors, à partir du moment où je pouvais devenir une enchanteresse afin de transformer le trivial en aventure du quotidien, mes enfants jouaient le jeu de la routine avec plaisir et délectation. Tout allait bien aller, pour toujours.... Hum. C’était sans compter avec un dénouement moins idyllique de notre histoire : c’est que je me transformais parfois aussi en terrible dragon ou en sorcière terrifiante . sans même que je puisse décider de mes métamorphoses Effroyable contradiction : vouloir faire au mieux et voir ses plus beaux rêves réduits en cendres !
Offrir un degré de liberté
C’est que moi aussi il me fallut apprendre encore. Apprendre en toute confiance. Sans peur de me sentir « réduite » ou dévalorisée, ou « mésestimée » Apprendre que les émotions et les sentiments font partie intégrante de toute relation et que la qualité de la relation dépend du degré de « bienveillance » engagé.
Deux femmes : A. Faber et E. Mazlish m’ont aidée. Elles ont publié le fruit de leurs recherches ou leurs expériences recueillies lors d’ateliers de communication parents-enfants, afin de permettre à d’autres parents d’élaborer de vrais outils de communication et de se sortir d’impasses avec leurs enfants. Une des idées essentielles souligne que nous n’entrons en véritable communication que si nous savons d’une part exprimer nos émotions du moment, et d’autre part si nous offrons un degré de liberté, aussi réduit soit il, à notre interlocuteur.
Grâce à l’initiative de « Parents Autrement » à Châteaubriant, à quelques parents, nous expérimentâmes une série d’ateliers sur la communication parents-enfants. Et j’appris à ce moment-là à nommer les états émotionnels qui, de ma part ou de celle de mes enfants, « bloquaient » la relation verbale entre nous.
J’appris à exprimer mes attentes sans les « détourner » en expression d’ordre ou d’injonction. J’appris à trouver des alternatives pour proposer des issues aux conflits. J’appris à faire circuler la parole entre nous tous. Quelle déception pour moi, vous comprenez sûrement maintenant, que notre ministère de l’Education Nationale ne se saisisse pas de tels outils
Loin de s’en intéresser, l’élite ignore les outils qui répondraient à nos besoins humains d’être entendus et pris en considération.
J’aimerais maintenant vous parler de mes deux garçons. Tous deux sont musiciens. L’apprentissage de la musique conjugue rigueur et sensibilité. Et la musique, elle, ancre le musicien dans un ensemble de règles complexes. En même temps, elle exige du musicien qu’il puisse en quelque sorte se « débrancher » du reste du monde. Car pour être musicien, il faut savoir être seul. Etre soi-même. Et quand enfin il peut jouer « à l’aise », il doit se laisser traverser par sa musique. Il se laisse alors habiter tout entier.
Parallèlement que devrait-on espérer d’une éducation ? En tant que parent, je crois que chaque enfant est porteur d’un monde unique, aux intonations particulières. Nous parents, souhaitons qu’il se réalise tout entier Quel autre chemin possible que celui de l’accompagner, tel qu’il est, à travers ses apprentissages ?
Accompagner chaque enfant vers son ’’projet’’, tout en accueillant ce qui forcément nous bouscule et parfois nous éloigne de notre « raison » ou de notre bonne cause parentale
Le pouvoir des mots
Après la naissance de l’aîné, j’ai aimé lire les livres de Françoise Dolto. Et encore aujourd’hui, je constate que « tout est langage » chez l’enfant. Et si nous apprenions, nous, adultes, à en décoder le sens.. ? Comment, dans ce cas, ignorer le véritable pouvoir des mots, ces ’’masters’’ du langage humain ? Mots qui construisent ou mots qui dévalorisent. Mots qui permettent d’exprimer nos intentions. Mots qui habillent de décence les pulsions. Mots qui rendent compte de nos sentiments invisibles. Mots qui enchantent ou mots qui désolent Pouvoir des mots. Je me suis rendu compte souvent que le pouvoir des mots est tellement grand chez un adulte, qu’il peut devenir une sorte d’abus de pouvoir. Et malheureusement pour moi, je me suis rendu compte que par un simple mot, je pouvais transformer une simple phrase en un reproche. De tout petits mots se glissent inconsciemment dans nos phrases comme pour appuyer une mise en garde par exemple..... Et notre message se détourne de son objectif (informer) et devient un poids émotionnel pour nos enfants qui peuvent répondre par le conflit. Les mots sont des petits programmes intégrés à nos humeurs, et qui peuvent à la longue peser sur l’équilibre émotionnel de nos enfants. Et surtout qui les privent du droit d’être différents, de s’émanciper, de prendre du large face à nos « définitions » d’adultes qui limitent l’autre.
Bref, la rencontre de ce groupe de parents m’a permis de découvrir que les mots et l’art de manier les mots, grâce à une forme de communication (la plus ’’juste’’ possible), permettaient d’arriver à des échanges parfois habiles et efficaces avec mes enfants, même en cas de ’’crise’’ et sans peur de causer des ’’dommages collatéraux’’. Et avec une vraie dynamique « vertueuse ».
Plutôt que de se renfrogner en s’entendant dire « arrête de bouder », l’enfant se libère quand il peut entendre que l’adulte reconnaît sa frustration ou sa déception. Et il lui est ensuite possible de faire place à une émotion plus légère : la spirale vertueuse peut s’enclencher par ça !
Les enfants sont des êtres, des êtres intrinsèquement capables ! « Les miens » me rappellent qu’adulte j’ai dû me dégager progressivement des injonctions qui m’étaient faites afin de trouver une issue personnelle, au lieu me conformer aux exigences des plus « grands » que moi dans ce monde... « grands » qui ont failli me faire croire que j’étais toute petite et insignifiante... !! Je retrouve aujourd’hui, le sens de l’essentiel, en me remettant à l’écoute de ces sagesses d’enfants, dépositaires d’un savoir qui « bat » au plus près du cœur du monde vrai. Et je m’inspire de leur bon sens en vivant l’instant présent et déployant mes ’’habiletés’’ au mieux dans cet instant du présent, sans remords pour ce qui est déjà du passé et sans crainte de ce qui se fera mais n’existe pas encore Également, en habitant mon corps comme eux, au lieu de me laisser envahir d’idées volatiles, et de craintes pour ce qui me dépasse En m’inspirant de mon plus jeune enfant qui joue et me parle de ses jeux sérieusement, car jouer est un jeu sérieux quand on est enfant, et le jeu enseigne qu’on peut reproduire les règles à l’infini, ou bien les changer, de préférence en mieux.
Lucie C.
Les livres de A. Faber et E. Mazlich :
- - Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent.
- - Parler pour que les enfants apprennent à la maison et à l’école.
- - Cultivez le bonheur dans votre famille.
- - Frères et soeurs sans rivalité.
Editions du Phare