(écrit le 29 janvier 2003)
Et vive la ploutocratie
« Il faut aider les riches » : c’est le discours que tiennent George Bush, présidents des Etats-Unis, Jacques Chirac (qui pense que l’économie de marché est in des fondements de l’Europe), Francis Mer (Ministre de l’économie), Ernest-Antoine Seillière (président du Medef) et tous les économistes libéraux du monde. Voici quelques points de vue et commentaires à ce sujet.
Jean-Pierre Raffarin, dans une expression malheureuse, a popularisé l’idée d’une France d’en-haut et d’une France d’en-bas. On dit qu’il regrette bien cette formule facile !
Cette semaine, la Mée a collecté divers articles sur « les riches », au risque d’être accusée d’appeler à la « lutte des classes » , à la « politique de l’envie » (comme dit Paul Krugman dans un article du New York Times Magazine, repris par le Courrier International du 9 janvier 2003).
Et, de fait, par « pudeur », nombre de personnes évitent de parler de cette fracture sociale (sur laquelle Chirac s’est fait élire) qui va grandissant et qui a de profondes répercussions économiques, sociales et politiques.
Mirif’hic !
Aux Etats-Unis, depuis 30 ans, les inégalités se sont fortement aggravées, avec une incroyable concentration des revenus et des richesses dans quelques mains. C’est ainsi, par exemple, que Jack Welch, ancien président de General Electric a gagné 123 millions d’euros en l’an 2000, principalement sous forme d’actions et de stock-options, ce qui lui a fait 68 000 000,00 F par mois (cela permettrait de vivre à 12 500 SMICards pendant un an). A lui seul, il pourrait payer les salaires de tous les salariés de Châteaubriant pendant un an.
Pour s’en tenir à la France, La Mée a déjà expliqué comment Ernest Antoine Seillière, le patron des patrons, a gagné 222 fois le SMIC en l’an 2000, comment Jean-Marie Messier (patron de Vivendi) a gagné 3685 fois le SMIC en 2001, et comment Jean-Luc Lagardère, patron de presse, a gagné la même année 1496 fois le SMIC. Des salaires mirifiques à vous en mettre plein les mirettes pour pas un sou !
Ces « grands patrons » ont-ils toujours perçu des salaires mirifiques ? Eh bien non. Selon Paul Krugman, le salaire moyen annuel aux Etats-Unis a progressé de 10 % en trente ans, tandis que la rémunération annuelle des 100 PDG les mieux payée est passée de 1,3 millions de dollars à 37,5 millions de dollars, ce qui fait une progression de 2885 % en trente ans !
La main invisible
Qu’est-ce qui explique les rémunérations astronomiques des grands patrons ? Leur valeur ? Même pas ! C’est « le système » : aux USA le chef d’entreprise nomme les membres du Conseil d’Administration et décide des nombreux avantages accordés aux administrateurs.
« Ainsi ce n’est pas la main invisible du marché qui décide de la rémunération des dirigeants, mais c’est la poignée de main invisible échangée dans la salle du Conseil d’Administration » dit Paul Krugman.
Les revues économiques essaient de désamorcer cette bombe de l’inégalité, en faisant croire que, si « l’élite » gagne beaucoup d’argent, en réalité sa part de gâteau est petite. Mais ce n’est pas vrai : aux USA, 1 % des ménages touchent 14 % du revenu total !
L’appât du gain
« Les partisans d’un système dans lequel certains s’enrichissent énormément se sont toujours appuyés sur l’argument suivant : l’attrait de la richesse constitue une grande motivation » dit encore Paul Krugman.
« Mais plus on apprend ce qui se passe dans les entreprises américaines, moins on est convaincu que ces mesures incitatives ont effectivement encouragé les patrons à travailler dans notre intérêt à tous » dit-il encore. Les récents scandales Enron, Worldcom et autres ont montré au contraire comment l’appât du gain a ruiné des millions de salariés et retraités américains. (il en est de même en France).
Le plus grave c’est la mise en péril de la démocratie : quand celle-ci se fait formelle, quand elle n’est plus qu’une apparence, quand les plus riches contrôlent la presse (en France la presse écrite est concentrée dans les mains de Lagardère . En Europe 3 ou 4 grands groupes font la loi et l’opinion. Les télévisions sont souvent privées et quand elles sont publiques, elles dépendent de la publicité). Quand les plus riches orientent ainsi l’opinion publique en faveur des mesures économiques qui défendent les intérêts de « l’élite », alors un pays est en danger. Quand l’homme du peuple n’a plus qu’un horizon bouché, quand l’engagement politique semble inutile parce que seuls les plus riches voient leurs intérêts défendus, alors on peut craindre tous les extrémismes. Ce ne sera même pas un communisme à la mode ancienne (qui, même s’il n’a pas réussi, avait au moins le désir d’être au service du peuple). Ce sera un extrémisme dictatorial où les plus pauvres et les classes moyennes n’auront plus qu’Ã se taire. Retour à l’Ancien régime ?
La pauvreté est héréditaire
Il est né d’une famille pauvre qui n’a pas pu l’aider. Il est allé de foyer en foyer, rarement dans une famille d’accueil. Il a connu très jeune les difficultés de la vie et n’a eu ni l’envie ni le soutien pour s’intéresser à des études. Dès 14 (ou 16 ans), il est entré en apprentissage, fier de gagner quelque argent, heureux de sa force physique toute neuve. Nul ne lui a dit qu’il fallait ménager son dos. Nul ne l’a poussé à passer un CAP et à acquérir une formation reconnue. Il est allé de petit boulot, en boulot mal payé, d’intérim en travail précaire. Le manque d’argent l’a empêché d’acheter la maison de ses rêves. Il n’a pas pu fonder un foyer stable et a noyé dans un alcool facile un océan de déceptions et de solitude. Un accident de voiture, un retrait de permis, toujours plus de difficulté à trouver un travail stable. Et toujours la nécessité de tirer le diable par la queue. A l’âge de la retraite, il n’a perçu qu’une certaine proportion de ce qu’il a gagné dans sa vie. De la naissance à la mort, la pauvreté l’a poursuivi, sans aucun espoir raisonnable d’en sortir. Et s’il a pu fonder une famille, il a reproduit, avec elle, le cercle vicieux de la pauvreté. Tant il est vrai que la pauvreté est héréditaire.
Les statistiques le confirment : le secret de la richesse, c’est d’avoir des parents riches. Selon le New York Times, prenez une famille américaine dans les 10 % les plus modestes. Les enfants, une fois adultes, auront 31 % de « chances » d’être dans la même catégorie que leurs parents et 51 % d’être dans la catégorie légèrement au-dessus.
A l’autre extrémité de l’échelle sociale, dans une famille faisant partie des 10 % les mieux lotis, les rejetons auront 30 % de rester parmi ces privilégiés et 43 % d’être parmi les 20 % les plus riches du pays.
Une étude internationale effectuée par deux chercheurs suédois et finlandais, a montré que la reproduction économique est, contrairement aux idées reçues, particulièrement forte aux Etats-Unis. Seuls deux pays ont une « mobilité économique » aussi faible : l’Angleterre et l’Afrique du Sud.
(d’après le Courrier International
du 9 janvier 2003)
Ecrit le 29 janvier 2003
Il faut aider les riches
La Mée a lu, dans Le Monde du 12 janvier 2003, une lettre d’un économiste américain qui signe « Tom » et qui dit tout de go : « Mais quand allez-vous abandonner votre vieille morale qui vous pousse à vous porter constamment au secours des faibles, des blessés et des pauvres ? Non qu’il ne faille plus les plaindre et leur accorder votre commisération ; cela vous regarde personnellement (...) »
« Mais la politique publique, elle, doit comprendre que, dans l’économie moderne, il faut s’y prendre tout autrement. Il faut aider les riches ! »
« Oui, les riches ! Il faut que l’Etat les soutienne, leur accorde attentions, faveurs et de considérables baisses d’impôts. Pensez efficacité, pour une fois. Aujourd’hui, la classe capitaliste est celle qui investit, qui innove, qui prend les risques et qui élève la croissance. Et cette croissance plus forte, la société dans son ensemble en profite, y compris les pauvres ».
« Ils ont des miettes, dites-vous ? Soyez réaliste : ce sont des miettes certes, personne ne le nie, mais ces miettes sont supérieures à celles que reçoivent les pauvres des politiques d’aides que vous vous acharnez à maintenir en Europe. A vouloir à tout prix s’occuper des plus nécessiteux, on se prive d’une dynamique de croissance forte et l’on enfonce tout le monde, y compris, finalement, les pauvres. »
Le pire c’est que ce discours est véhiculé largement, aux USA et en Europe, par les médias (lesquels médias sont aux mains des puissances d’argent : comme ça la boucle est bouclée, on reste entre gens de bonne compagnie).
Nombreux sont les Américains qui croient que, vivant dans le pays le plus riche du monde, ils s’en portent forcément tous mieux ! hélas ce n’est pas vrai ! Il suffit de comparer avec la Suède, pays le mieux loti en matière de démocratie et d’Etat-Providence :
– Les Suédois vivent trois ans de plus que les Américains
– La mortalité infantile en Suède est moitié moindre qu’aux Etats-Unis
– L’illettrisme est moins répandu en Suède qu’aux Etats-Unis
– Les Suédois prennent plus de vacances que les Américains.
– La famille médiane suédoise jouit d’un niveau de vie à peu près comparable à celui de son homologue américaine. Les salaires sont même plus élevés en Suède et si la pression fiscale est plus forte, elle est compensée par une couverture médicale et des services publics généralement meilleurs.
– Les familles suédoises appartenant aux 10 % au bas de l’échelle, disposent d’un revenu de 60 % supérieur à celui de leurs homologues américaines
– Très peu de Suédois (6 %) connaissant la grande pauvreté, contre 14 % des Américains
Mais les Américains (du moins ceux qui font l’opinion publique) ne veulent pas entendre ces vérités de peur que l’on essaie de prendre aux riches pour donner aux pauvres.
42 % pour 1 %
Toujours dans Le Monde du 12 janvier 2003, l’économiste « Tom » entonne un refrain connu : « notre pays est devenu aujourd’hui l’hyperpuissance qu’on sait. Nous investissons des fortunes dans la recherche, dominons toutes les technologies de pointe, monopolisons les meilleurs artistes (sic !!, ce sont au moins les plus chers), les meilleurs sportifs et savants de la planète. »
Mais le même économiste reconnaît que « Le plan de soutien de »la croissance et l’emploi« annoncé par George W. Bush » va favoriser les riches. « que 42 % des 647 milliards de dollars sur dix ans du plan Bush vont aller au 1 % des Américains les plus riches. Qu’un ménage qui gagne 1 million de dollars épargnera 32 000 dollars et qu’un autre, sans enfant, vivant avec 21 000 dollars ne touchera que 47 dollars. Que la suppression totale de l’impôt sur les dividendes, mesure-phare du plan va profiter aux très gros actionnaires ». Il n’en conclut pas moins qu’il faut aider les riches.
Les riches prennent les pauvres en otage
Chaque vache européenne reçoit de l’Union Européenne une moyenne de 2 euros par jour (cela s’appelle la PAC, politique agricole commune), soit davantage que ce que près de 2 milliards d’humains réussissent à gagner.
(2 euros par jour, ça fait 600 euros par mois. En France le SMIC mensuel est à 820 euros, et le RMI est à 405 euros)
« On n’en déduira pas qu’il vaut mieux être une vache en Europe qu’un humain en Afrique, mais qu’un peu d’humanité devrait obliger à questionner les politiques menées en ce domaine » dit le journaliste Daniel Cohen, dans Le Monde du 21 janvier 2003. Et ce qu’il dit s’applique aussi aux farmers américains généreusement subventionnés par leur gouvernement.
« On pourrait également réfléchir au fait qu’au sein de la population humaine, les dépenses consacrées à se soigner varient dans un rapport de 1 à 700 entre les plus pauvres et les plus riches : les pays les plus pauvres consacrent moins de 5 euros par an à leur santé, les dépenses des pays les plus riches pouvant atteindre 3 500 euros ».
Les pays les plus riches, en liant les subventions aux agriculteurs aux volumes qu’ils produisent, incitent à accroître les volumes au-delà du souhaitable. En revendant leurs excédents sur les marchés mondiaux, les producteurs européens et américains, dépriment les cours des produits alimentaires, poussant à la ruine des millions de paysans des pays pauvres.
De même en fin d’année 2002, les pays riches ont bloqué l’accès aux médicaments génériques susceptibles de soigner le cancer, l’asthme ou le diabète dans les pays pauvres (Selon l’organisation mondiale de la santé, 125 millions des nouvelles victimes de l’asthme vivront dans les pays pauvres, mais leur permettre l’accès aux médicaments génériques c’est diminuer les profits des laboratoires pharmaceutiques des pays riches : ça ne se fait pas, voyons !).
« Il est évident que les critiques qui sont dirigées contre les lobbies pharmaceutiques ou agricoles débouchent rapidement sur une dénonciation plus large des profits qui sont ainsi engrangés » conclut Daniel Cohen qui souhaite que nos démocraties prospères cessent de prendre les pays pauvres en otage.
180 millions de chômeurs
180 millions c’est le nombre sans précédent de chômeurs que compte la planète, en hausse de 20 millions par rapport à début 2001, selon l’Organisation internationale du travail. 550 millions de personnes sont sous-employées (gagnant au plus un euro par jour).
Ecrit le 12 janvier 2005 :
Le repentir du pécheur
Voici (traduit de l’anglais), le genre de courrier qu’on peut recevoir par internet :
Dear Friend,
Mon nom est ANDRE LUCAS, commerçant à Durban, Afrique du Sud. Je suis atteint d’un « Esophageal cancer » et je n’ai que peu de mois à vivre, selon des experts italiens. Je n’ai rien fait de particulier dans ma vie, sauf mon travail. Je suis très riche. Je n’ai jamais été généreux, j’ai même été très hostile aux gens et soucieux seulement de mon travail.
Mais, maintenant, je regrette. Je crois que Dieu me donne la chance de changer de vie. Dieu m’a appelé et m’a demandé de donner un peu de mes biens à ma famille et à des amis.
J’ai décidé de donner aussi à des « charity organization in Algeria and Rwanda » . Mais ma santé se dégrade vite. J’ai demandé à des membres de ma famille de distribuer de l’argent en Somalie et en Ouganda mais ils ont refusé et pris l’argent pour eux-mêmes.
Je dispose de 9 millions de dollars, déposés aux USA. Je voudrais vous demander de m’aider à les transférer vers votre propre banque et de les distribuer à des organisations de charité. Prenez contact avec moi, il y aura 15 % pour vous.
Dieu soit avec vous.
Oh quelle belle histoire, la maladie, le repentir du pécheur, la charité... Comment ne pas aider un homme riche et mal portant qui veut faire le bien autour de lui ?
Voilà ce qui arrive aux personnes qui veulent ainsi l’aider : en échange d’un hypothétique magot, l’André Lucas en question demande de lui envoyer quelques centaines d’euros, pour débloquer l’argent de la banque, pour payer un intermédiaire, pour des frais de ci et des frais de là . Une centaine d’euros, multipliée par quelques gogos, cela fait vite une petite fortune ... que l’homme gardera pour lui ! Attention donc aux escroqueries, même parées de belles intentions ! L’argent facile et généreux, ça n’existe pas.