Ecrit le 4 novembre 2009
Le blé noir et l’anophèle
« Que fais-tu de celui-là ? ». Je compris qu’il s’agissait de moi. Je ne pensais pas faire partie de la vente aux enchères, je n’étais pas à vendre ! En réalité, je n’en étais pas très loin, j’étais « à louer ».
Henri-Louis Orain n’avait pas encore 17 ans, son père l’a loué pour 10-12 heures de travail quotidien pour 350 francs de l’époque, soit 0.53 € par mois. « Je pris mon baluchon qui était bien maigre et je suivis l’homme ». La scène se passe à fégréac en 1936.
Dans le livre qu’il vient de publier (2e édition), Henri-Louis Orain raconte son enfance malheureuse. Oh il n’était pas battu ! Il vivait dans une famille de 9 enfants, sol en terre battue, sans électricité bien sûr, mais avec « le service d’eau » : dans la pièce unique une poche argileuse se remplissait à la saison des pluies. Elle occupait une place autour de la table et il fallait sans cesse écoper pour la vider. Mais ce ne sont pas ces conditions matérielles qui sont les plus pénibles.
Un père violent, aussi bien envers les animaux qu’envers certains de ses enfants. Une mère très soumise, totalement dévouée à son mari, très travailleuse. Mais aucun des parents ne s’est soucié de l’avenir des enfants. « Jamais un mot affectueux ne fut prononcé, ni par l’un des parents, ni par l’autre. Les seules paroles étaient des ordres à exécuter et le monologue s’arrêtait ». Et avec ça, la faim et les humiliations répétées, les vêtements inadaptés, les poux, et puis la faillite familiale, la vente aux enchères des maigres biens de la famille « les instruments aratoires, la charrette, le char à bancs, les herses, le rouleau () » et jusqu’aux animaux.
Ainsi se termine la première partie de ce livre où l’on redécouvre la vie de l’époque : la soupe de lait, les galettes de blé noir, les « groues », le pain de ménage qui levait dans les « gèdes », la soupe à l’oignon, les quelques carrés de chocolat et l’orange de Noë l. Mais aussi les commerçants ambulants, le premier livre (vers 8-9 ans), le premier pull-over (vers 13-14 ans), le ramassage des pommes de terre et des betteraves, la récolte des pommes à cidre, la traite des vaches et la récolte du blé noir.
Henri Louis, fut donc « loué » à un voisin. Ce fut finalement une chance : « Je travaillais dur, bien sûr, mais l’ouvrage terminé j’étais traité comme le fils de la famille, j’étais enfin reconnu comme une personne, et nulle nourriture ne m’était mesurée. Je pouvais aussi parler avec chacun des cinq membres de la famille, ce qui pour moi constituait un grand changement . Je leur en suis reconnaissant ».
Dès ses 17 ans, Henri-Louis décide de s’engager dans la Marine. Echec : constitution physique trop faible. Mais six mois plus tard, il est accepté, le 13 mai 1937 et choisit une formation d’infirmier. « c’est à partir de cette formation de base, tout en la complétant et surtout en l’orientant et en la spécialisant par un effort personnel volontaire, tenace, soutenu et sérieux pendant de longues années, que je m’en suis sorti ». Ainsi s’achève la deuxième partie du récit, avec la période de guerre, la fuite vers la zone libre, et l’embarquement vers l’algérie. En 1942 Henri-Louis, ayant terminé son engagement de 5 ans dans la Marine, accepte de rejoindre Rabat en tant qu’infirmier.
Lui, le « petit rien » est chargé de la lutte contre le moustique responsable du paludisme : l’anophèle. Il n’a que 22 ans et tout à apprendre à ce sujet. Après une période de formation, il est affecté, au Maroc, au lazaret d’Oujda où étaient concentrés les malades contagieux. Il raconte l’état lamentable des patients, la gangrène, les opérations sans anesthésie, le typhus et le débarquement des Américains apportant avec eux un insecticide puissant : le DDT, tuant les poux responsables du typhus.
Après la guerre, Henri-Louis, au sein de l’OMS (organisation mondiale de la santé), se consacre à la lutte contre le paludisme, en étudiant dans les livres mais aussi lors de nombreux stages et surtout sur le terrain, en Turquie, en Algérie ou ailleurs. A l’oasis de Biskra « nous fumes assaillis par des centaines de moustiques ». Henri Louis Orain réussit à identifier une nouvelle espèce de moustique et à mettre au point un système bio-dégradable et non nocif, capable de détruire les œufs et les larves de moustiques dans les gîtes de reproduction : les excavations autour des palmiers-dattiers.
Dans cette dernière partie de son livre, Henri Louis Orain détaille cette lutte sans merci, avec des explications simples et claires pour tout le monde.
En résumé : un livre passionnant, l’histoire d’un petit campagnard presque analphabète à 17 ans, devenu conseiller technique puis consultant à l’OMS, en raison de son travail et de sa passion d’apprendre.
Des champs de blé noir à l’action humanitaire internationale -
Ed l’Harmattan - Edition 2009 - prix 22 euros.
Quelques appréciations de lecteurs
Une merveilleuse histoire vraie, absolument étonnanteR. B.Un livre intéressant à tous points de vueA.B.Style alerte et agréable à lire ;on ne s’ennuie pas une minuteM. H-L.Un travail de mémoire époustouflantG. O.Acte de courage et de simplicité,mais aussi de générosité et de foiS. M.Un fabuleux parcours personnel et professionnelD. A.Style direct, simple et sobreJ-C. L.Quelle vie passionnante !R-M. P.Récit bien construit, agréable à suivre,plaisant par son style et émouvant par sa sincéritéH. A.Rien n’est exagéré, amplifié ou édulcoré. Un écrit vraiS. E.L’on ne sait qui féliciter le plus de l’homme au destin si particulierou de l’écrivain qui a su si bien décrire sa vie et son travailA. T.Absolument passionnant !M. R.Un précieux témoignage sur la vie paysannedans la première moitié du 20e siècleM. et R. S.Un incroyable et formidable parcours de vieM-A. B.L’on retrouve l’homme social, humain, avec le sourireC. F-D.
Ecrit le 14 décembre 2011
68 ans de bonheur
Henri Louis Orain aime son épouse depuis plus de 68 ans, d’un amour fort et sincère. Aujourd’hui, à l’automne de leur vie, il le dit, une fois de plus, à travers ce magnifique ouvrage. Un livre tendre, qui prouve qu’un couple uni peut vivre heureux, dans la fidélité l’un à l’autre pendant près de sept décennies, malgré une vie mouvementée qui les a amenés à voyager et à déménager plus souvent qu’Ã leur tour et malgré la terrible maladie d’Alzheimer . dédié à tous ceux qui, comme lui ...
HL. Orain
Pour Christiane, 68 ans de bonheur
9,75 €
Editions L’Harmattan