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(écrit le 18 juin 2002)
Les entreprises font-elles la loi à Bruxelles ?
Telle est la question que pose Simon LORY dans une longue étude publiée par la Revue ALTERNATIVES ECONOMIQUES de juin 2002, étude dont voici des extraits qui sont particulièrement importants .
Mais tout d’abord qu’est-ce qu’un LOBBY ? Qu’est-ce que le LOBBYING ? Selon le dictionnaire Robert Historique : « Lobby, emprunté à l’anglo-américain lobby, signifie : personnes qui fréquentent les couloirs d’une Assemblée législative pour influencer ses membres dans leurs fonctions officielles et par extension groupe de personnes représentant des intérêts particuliers. La Revue des Deux Mondes décrit en 1857 une réalité américaine : des courtiers parlementaires se tenaient sur l’escalier de marbre de l’édifice ou dans le vestibule, »the lobby« ; aussi appelle-t-on communément cette compagnie interlope Le Lobby ... »
Bruxelles compte 10 000 corrupteurs putatifs
« Près de 10.000 personnes (écrit Simon LORY) font profession de défendre des intérêts particuliers auprès des institutions européennes. Leur travail : influencer la Commission, le Parlement et les représentations permanentes des Etats membres. Cette activité de lobbying est considérée comme légitime à Bruxelles où elle est perçue comme la condition d’un dialogue efficace entre la société civile et les décideurs publics. Une reconnaissance qui établit au grand jour ce qui s’opère souvent plus discrètement ailleurs, et notamment à Paris où les grands céréaliers, les labos pharmaceutiques et les industriels de l’armement n’ont pas la réputation de rester inactifs ».
Il est d’ailleurs bien connu qu’en France même, il existe des députés et des partis dont les bureaux d’étude sont au MEDEF et qu’il existe également des « députés DASSAULT » pour ne citer que cette firme. C’est d’ailleurs le lobbying actif des betteraviers et des bouilleurs de cru du Nord qui fit chuter Pierre MENDES-FRANCE .
Il faudrait pourtant rappeler, explique Simon LORY, que contrairement aux pays anglo-saxons et à l’Amérique : « Avec une action politique menée à des fins économiques, la légitimité du lobbyinq pose des questions fondamentales du point de vue de la démocratie. En France, il est souvent assimilé à des pratiques obscures, à la limite du trafic d’influence. Parce que la conception de la République, héritée de la Révolution, enferme la représentation dans un dialogue directif exclusif entre les citoyens pris individuellement et leurs élus, cette conception s’est construite dans le combat contre le corporatisme féodal, les corporations étant les interlocutrices du pouvoir royal pour toutes les affaires économiques ». Il est bien évident qu’en France il n’y a plus de corporation toute puissante, plus de FNSA, par exemple !
L’affaire ENRON, remarque Simon LORY, a illustré le poids et les effets négatifs des grandes entreprises sur le système politique américain (...). Bien des exemples montrent qu’aux Etats-Unis, et ce n’est pas nouveau, il est possible pour une compagnie ou un groupe d’intérêts, « d’acheter » une loi. A la différence (note Simon LORY) que la Commission est un organe politico-administratif, dont les membres peuvent évidemment être corrompus, mais n’ont pas besoin de lever des fonds pour financer des campagnes électorales.
Pourquoi ? Ca se pratique dans certains pays européens ? Pas en France tout de même ?
C’est le fric qui manque le moins
De plus (ajoute Simon LORY) les lobbies industriels ont accès aux moyens financiers considérables des grandes entreprises. Les autres groupes d’intérêts, syndicats (regroupés dans la Confédération Européenne des Syndicats), ONG (regroupées par exemple dans Solidar), associations de Consommateurs, de malades .... sont loin de disposer de moyens comparables. Et les loyers faramineux du quartier européen de Bruxelles dissuadent plus d’une association citoyenne d’assurer une représentation permanente.
Alors les Institutions Européennes parlent de faire un peu de ménage dans leurs relations avec les groupes de pression, mais seulement un simple coup de plumeau. Il n’est pas question de couper les ponts avec des interlocuteurs si propres sur eux « Le lobbying pratiqué par certains cabinets est parfois très agressif - dissimulation d’intérêts industriels sous couvert d’associations citoyennes, utilisation abusive de la carte de presse, etc ( .... ). La Commission souhaite que les groupes de pression offrent des garanties d’ouverture et de représentativité. D’où un ensemble de mesures depuis 1997 : accréditation pour l’accès au Parlement (européen), mise en place d’un répertoire des groupes d’intérêts distinguant les organisations à but non lucratif des cabinets professionnels de relations publiques, rappel des fonctionnaires européens à leurs obligations en ce qui concerne la réception de dons ou l’exercice d’activités après la cessation de leurs fonctions européennes, lignes de conduite minimales pour les groupes de pression et appel à une auto. régulation (!!!) »
La crème du MEDEF
Mais qui sont ces fameux lobbies en Europe ? Toujours selon ALTERNATIVES ECONOMIQUES, « La table ronde des industriels européens (ERT) est le principal lobby des entreprises en Europe . Elle choisit par cooptation 46 dirigeants des plus grandes firmes européennes : Jean-Louis BEFFA (Saint-Gobain), Bertrand COLLOMB (Lafarge), Thierry DESMAREST (Totalfinaelf), Jean-René FOURTOU (Aventis), Alain JOLY (Air liquide) gérard MESTRALLET (Suez), et Louis SCHWEITZER (Renault) en sont membres. De son côté, le Transatlantic Business Dialogue (TABD) qui regroupe de grandes entreprises européennes et américaines, est dirigé conjointement par James SCHIRO (PDG. de Pricewaterhousecoopers) et Michael TRESCHOW, (PDG d’Electrolux). Les multinationales américaines ont aussi leur lobby auprès de Bruxelles : le Comité Européen des Chambres de Commerce Américaines (AMCHAM). Les pharmaciens (European federation of pharmaceutical associations, EFPIA), les constructeurs automobiles (Association des constructeurs européens d’automobiles, ECEA) ou les Industriels de la Chimie (European chemical industriel council, CEFIC) sont parmi les plus actifs . Il y a aussi les petits jeunes qui montent comme EUROPABIO, le lobby des Biotechnologies »
La lobbycratie a-t-elle balayé la démocratie ?
Quand on sait que plus de 80 % des décisions parlementaires (députés et sénateurs) consistent à entériner les textes préparés et décidés par la Commission Européenne de Bruxelles, simple organisme technocratique désigné et non élu, (souvent avec la caution discrète des gouvernements européens), on mesure à quel point l’exercice de la démocratie ne dépasse désormais guère la simple sinécure en France (et en Europe).
On pourrait comprendre que les grandes organisations citoyennes, et les syndicats professionnels ouvriers et patronaux soient consultés préalablement et à titre technique. Mais quand on constate en outre que la plupart des décisions sont prises sous la pression directe du grand patronat, français, européen ou international, on peut parler de fumisterie, voire de farce sinistre, mais pas de démocratie, encore moins de citoyenneté .... ou de République !
J.G. (d’après Simon Lory)
Revue « Alternatives Economiques » de juin 2002 - Numéro 204 - 3,50 €