(écrit le 8 mai 2002)
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Les urnes en ont décidé : la honte du premier tour est en partie effacée. En examinant attentivement les résultats du deuxième tour, on peut constater ceci, pour la seule ville de Châteaubriant :
– Davantage de votants :
1er tour :6428
2e tour :7100 soit + 672
Cela s’est ressenti un peu sur les procurations (105 au 1er tour et 199 au 2e tour), mais il est net que davantage d’électeurs se sont déplacés personnellement.
– Un peu plus de « blancs ou nuls » :
1er tour 235
2e tour 353 soit + 118
– Davantage de suffrages exprimés
1er tour 6193
2e tour 6748 soit + 555
– Le Pen a perdu des voix :
1er tour 820
2e tour 800 soit -20
– L’extrême-droite aussi a perdu des voix :
1er tour 976
2e tour 800 soit -176
On peut donc considérer qu’il y a un potentiel « Le Pen » bien accroché, et qu’une grande partie des électeurs « protestataires » ont abandonné le vote extrémiste pour se porter sur Chirac. Les résultats de l’arrondissement de Châteaubriant sont plus contrastés. Juigné-les-Moutiers (avec 20,75 % à Le Pen au 2e tour) et Ruffigné (20,62 % au 2e tour) ont le triste privilège d’être les deux communes de Loire-Atlantique à avoir donné le plus de voix au Front National. Soulvache qui avait placé Arlette Laguiller en tête (18,23 % au 1er tour) a donné cette fois 17,59 % à Le Pen. Mais Louisfert qui avait donné 20,16 % à Le Pen au 1er tour) est revenue à 18,25 % ce qui est encore énorme.
– La Gauche a choisi la République :
La mort dans l’âme, mais la République au cœur, la Gauche a massivement voté Chirac. Elle est la seule à avoir manifesté dans les rues, aux yeux du monde entier, son rejet viscéral de l’extrême-droite. Elle aurait bien voulu manifester, lors du vote, quelques « signes de détresse » (comme de voter avec des gants) mais la mise en garde du Conseil Constitutionnel l’a fait réfléchir. Certains électeurs ont cependant voté Chirac en fermant les yeux, ou en mettant un bulletin plié petit, mais c’était juste pour se donner le courage de voter Chirac (qui reste, malgré sa victoire, un « supermenteur » qui a refusé de s’expliquer devant la justice sur toutes les « affaires » qu’il traîne avec lui). Cependant le juge Halphen et le député Arnaud Montebourg ont appelé à voter Chirac.
En réalité, la Gauche n’a voté POUR LA REPUBLIQUE. Elle a été sensible à divers signaux qui lui étaient donnés comme ce sondage (en principe sur 100 000 personnes), réalisé sur internet, qui donnait, la veille du deuxième tour, 27 % à Le Pen !
Ne pas prendre le risque de mettre en péril la République : la Gauche a la satisfaction de voir, à Châteaubriant, qu’il y a eu 555 suffrages exprimés de plus et que, cependant, l’extrême-droite a reculé de 176 voix. C’est une réalité qui correspond à ce qui s’est passé au niveau national et Jacques Chirac devra en tenir compte, non pas seulement en paroles, mais dans les actes concrets.
Lettre à Chirac
Un certain nombre de lettres sont parties de Châteaubriant, adressées au président de la République, et lui disant en substance ceci :
" Au second tour de l’élection présidentielle j’ai voté pour battre l’extrême-droite. Pour que cette victoire soit définitive, je vous demande :
– de remettre en vigueur la devise de la République : « Liberté, égalité, fraternité »
– de redonner les moyens de leurs missions à l’école républicaine, laïque et gratuite, et aux autres services publics, sources de solidarité et de cohésion sociale
– de remettre l’économie au service des hommes
– de développer une Europe sociale
– d’annuler la dette du Tiers Monde et de régulariser les sans-papiers
– et d’écouter toutes les autres revendications portées par les mouvements sociaux qui demandent une autre mondialisation, basée sur la solidarité, le respect des autres et de la planète.
Grandes lignes
Voici les grandes tendances de ce scrutin du 5 mai 2002, analyse empruntée en partie à l’éditorial du Monde :
Pour la Droite une victoire embarrassante. Entre les deux tours, les dirigeants de Droite n’ont pas souhaité suivre la Gauche dans l’appel à un front républicain. Le succès de celui-ci les met dans une situation inconfortable, comme si la victoire leur était confisquée.
Pour la Gauche, une défaite en forme de revanche, et un camouflet à Arlette Laguiller qui avait appelé à voter blanc. Mais entre une mobilisation de refus - celui de l’extrême droite comme ennemi commun - et une remobilisation de soutien à un programme, il reste un énorme travail de campagne à réaliser pour parvenir à surmonter les divisions du premier tour : le Parti Dominant (PS) va devoir apprendre à respecter les autres composantes de la Gauche plurielle, se retrousser les manches et aller sur le terrain.
Pour le Front National un sévère revers, il baisse en suffrages exprimés par rapport à son potentiel de premier tour et ne progresse pas en voix. Mais il est bien présent et peut encore, par exemple lors de triangulaires, faire éclater tout le système démocratique français.
La bataille des législatives sera donc importante. Y aura-t-il enfin un débat d’idées, un choix donné aux Français sur des programmes bien définis ?
Vu du Cameroun
Les éditorialistes camerounais commentent à n’en plus finir « le séisme Le Pen ». Dans une sorte d’ironie jouissive, ils sont unanimes à se féliciter de ce que l’irruption au second tour de Jean-Marie Le Pen révèle au monde entier la France que leurs compatriotes, émigrés ou de passage, côtoient chaque jour, celle du racisme larvé, des tracasseries policières et administratives. Sous le titre « Du cinéma en Gaule », le billettiste le plus virulent du journal indépendant Le Messager éreinte collectivement les Français et leur classe politique en empruntant à une métaphore pour le moins scatologique : « Quand un pet échappe en public à un adulte sans esprit, il ne sait où donner de la tête ; il se fait tout petit, avec des airs de s’excuser pour un acte éminemment biologique et naturel. Dans son for intérieur, il n’en est pas moins heureux de se sentir soulagé par ce dégazage non provoqué... »
Pour l’éditorialiste, ce ne sont ni les « bougnouls », « voleurs du pain et de la citoyenneté », ni les « fantômes » du nazisme, qui ont voté Le Pen, mais de « bons » Français...
Matin brun
Un petit livre à destination des grands et des petits : signé de Franck Pavloff, il se nomme Matin brun. C’est l’histoire de deux bons copains qui obéissent scrupuleusement aux ordres de « l’Etat national » : il faut d’abord tuer les chats qui ne sont pas bruns. C’est pas trop grave car les chats prolifèrent. Et puis, un jour, il faut aussi faire piquer le chien parce qu’il n’est pas brun... Et les ordres se succèdent. Un jour on apprend que c’est un délit d’avoir eu, dans sa vie d’avant, un chien brun... CHEYNE éditeur . Prix 1 €
L’escroc et le facho
Un lecteur nous écrit : « j’ai suivi vos bons conseils, voilà ce que j’ai envoyé à l’Elysée » :
Il me fallait choisir, mon cher Jacquot,
_ Entre un escroc et un facho...
A ton avis, lequel ai-je pris ?
Le moins pire, c’était toi, pardi...!
Mais souviens toi bien
Que je n’oublierai pas comment
Tu as fait pour arriver à tes fins.
Et sache également
Que le prochain bulletin, en Juin,
Ce ne sera certainement pas le tien...
82 % pour la République,
moins de 20 % pour Chirac
C’est un gigantesque raz-de-marée qui a balayé les velléités fascisantes qui avaient dangereusement émergé au premier tour des présidentielles, le 21 avril 2002, où moins de 20 % des électeurs ont dit oui à Chirac. En revanche, le 5 mai 2002, plus de 82 % des électeurs ont dit Non à Le Pen et OUI A LA REPUBLIQUE.
La nuance est de taille : la première fois c’était le classique premier tour des présidentielles, la deuxième fois ce fut en fait la manifestation d’un Peuple levé en masse pour défendre la République et les Libertés, et rien d’autre. Et le Peuple n’acceptera pas que quiconque, une fois de plus, lui confisque sa victoire ou détourne la signification de son geste.
Moins d’une heure après la publication des premiers résultats, d’habiles débatteurs (ou bateleurs) se sont précipités, sans pudeur aucune, sur les écrans de télévision, pour dire qu’ils avaient compris le message (dont ils s’estimaient les seuls destinataires et les seuls interprètes) et qu’Ã partir de dorénavant, qu’on les laisse faire, et qu’ils raseraient gratis, anticipant sur les prochaines élections législatives où les citoyens décideront souverainement de l’Assemblée Nationale et donc du Gouvernement qu’ils se choisiront démocratiquement ... pour autant que les sondeurs ne s’en mêlent pas et que les médias ne décident pas à leur place ...
La Gauche affirme avoir compris elle-aussi. Mais qu’a-t-elle compris au juste ? La République et la Gauche ont des affinités naturelles, historiques, non pas exclusives mais privilégiées. Face au danger de triangulaires comprenant le Front National, il apparaît comme une évidence indispensable que la Gauche se présente unie aux prochaines élections législatives.
Mais unie sur quoi ? Sur quelles valeurs essentielles, sur quels retours aux sources (quand on sait que les classes populaires l’ont abandonnée pour Le Pen ou Laguiller), sur quelle régénération, sur quelle refondation ?
La Gauche ne peut pas ne pas répondre, par exemple, à l’écart grandissant des revenus entre les citoyens, au problème des retraites (notamment aux exigences de l’Europe libérale à cet égard, telles que souscrites à Barcelone), ou encore au coup d’arrêt à porter à la politique effrénée de privatisations.
Il ne reste que quelques semaines (décisives) pour définir des orientations politiques et, au moins, amorcer des réponses.
J.G