(écrit le 28 mars 2001)
(témoignage et réflexion de Gilles Philippot - Agriculteur à Treffieux - élu du collège associatif au Conseil de développement du Pays de Chateaubriant)
(Gilles Philippot a été élu Conseiller général en janvier 2004)
Etranger chez moi
De retour sur ma commune natale à 28 ans pour m’y installer, après une scolarité et une entrée dans la vie professionnelle qui m’en avaient éloigné, j’ai ressenti l’impression bizarre d’être étranger tout en étant de retour chez moi, ma vision avait changé et ma perception du regard des autres aussi. La vie locale avait continué, j’en étais resté à mes souvenirs de jeunesse et aux échos de l’actualité communale que me faisaient partager mes parents. La vie sociale avait son rythme, ses habitudes, ses codes, il fallait aller à sa rencontre pour reconstruire des liens, recroiser des regards, réduire cette distance dans la relation que l’on attribue trop souvent à tort à de la « fierté ».
L’intégration passe par la rencontre et par l’action bénévole, les gens s’intéressent à vous si vous vous intéressez à eux et si vous êtes sensible à la vie associative locale. C’est à travers le club de foot que j’ai redécouvert les codes du quotidien, les gestes familiers, les sujets de conversation, qui symbolisent l’appartenance à une même communauté de vie. En prenant en charge l’entraînement et en participant à la vie du club j’ai pu observer combien les associations sportives sont un fort vecteur de l’identité communale , c’est souvent le premier lieu d’intégration pour les nouveaux arrivants . On y perçoit les potentialités comme les limites de ceux qui composent la population. En dehors de l’objet premier de la pratique d’un sport, c’est un lieu d’éducation populaire intéressant, en contact avec la frange jeune de la commune. L’affirmation de bon nombre de valeurs est possible à travers le sport : le sens du collectif, le respect de l’autre, la maîtrise de soi, le goût de l’effort... peuvent être développés avec un peu de pédagogie et d’exemplarité. On peut aussi les laisser dériver vers une culture de clocher, une obstination du résultat et donc vers des comportements sociaux préjudiciables : individualisme, agressivité, chauvinisme, intolérance...
Cette expérience fut très enrichissante au niveau humain notamment dans la fonction éducative que je tentais de donner à mon rôle , mais les relations bien qu’amicales restaient somme toute superficielles et je souhaitais accompagner le club sans y devenir indispensable, la difficulté à trouver un successeur a fini par me démotiver.
L’ouverture par l’animation culturelle .
L’association culturelle est un bon complément du club sportif pour la vie sociale avec la particularité de pouvoir ouvrir les esprits à la dimension artistique et culturelle. Avec quelques personnes motivées, nous avons créé une association pour proposer des rendez-vous divertissants aux habitants. Soirées cabarets, veillées jeux de société, jeux de plein air, rallye vélo, débats, spectacles comiques se sont succédé pendant quelques années dans un esprit très convivial. Ce fut aussi l’époque de quelques organisations interassociatives et intercommunales pour élargir la base du bénévolat et expérimenter des formes de coopération nouvelles.
L’engagement associatif doit s’exprimer dans l’action collective et doit préserver l’enthousiasme. Comme pour beaucoup de choses, créer, bâtir, est plus motivant que la répétition d’actions déjà rodées. La pérennité passe donc par le renouvellement des responsables, un souffle nouveau était nécessaire à l’association et il a tardé à venir. L’engagement dans des responsabilités fait peur, il crée des obligations et dans une commune de 600 habitants les personnes locomotives sont déjà très sollicitées. Par contre les réseaux de gens disponibles pour le coup de main, pour une implication ponctuelle existent et sont la force du milieu rural. La faible densité de population réduit également la taille des groupes d’affinités dans lesquels on peut développer une forte complicité et produire de la réflexion innovante. C’est ce constat qui m’a poussé à développer la relation interassociative et intercommunale et à militer pour la cause associative.
L’engagement à l’échelle du canton, voire du pays, change de nature, il dépasse les frontières naturelles de la proximité communale, de l’intérêt direct. Il prend aussi un sens plus politique puisqu’il amène à se soucier de gens que l’on ne connaît pas et que l’on ne croisera peut être jamais. Cet engagement est aussi de nature militante puisqu’il repose sur une volonté de participer à la construction et au développement d’un tissu social riche de qualité et d’attractivité et propice à l’épanouissement des personnes, il rejoint et croise mon engagement syndical à la Confédération Paysanne
Graines d’automne
Affiche créée par le Studio Renard
Il est indispensable de développer la réflexion et l’action collective pour sortir de l’ordinaire, pour innover au lieu de suivre.
Le festival Graines d’automne (15 associations sur 7 communes ) est un exemple fédérateur d’initiatives rurales. Cet événement de 15 jours est par lui même un gros moteur de la dynamique d’animation du secteur de Nozay. Il permet d’impliquer et de réunir autour de lui des acteurs très différents les uns des autres par l’âge, les centres d’intérêts, l’origine géographique, la situation professionnelle . Cela lui vaut d’être à la base de nombreuses rencontres (30 personnes à la dernière réunion du collectif ) et on y retrouve la nécessaire convivialité dans la préparation comme dans le déroulement de l’événement. C’est un moyen d’ouverture à d’autres horizons, à d’autres populations, un moyen de préparer le milieu rural à assimiler les évolutions culturelles qu’engendrera l’exode urbain que l’on pressent déjà dans certaines de nos communes. C’est entre autre à travers l’événement culturel qu’il est possible de construire et d’affirmer l’identité d’un pays dynamique et ouvert et d’une population chaleureuse .
Des moyens humains et matériels
La Maison des jeunes, Maison pour tous, structure intercommunale créée à Nozay en 1973, joue un rôle majeur dans l’animation et le développement socioculturel du canton. (...) Son conseil d’administration est un lieu de représentation ouvert où citoyens, associations, élus et animateurs peuvent définir en concertation les axes d’une politique d’animation correspondant aux attentes de la population. Un budget fortement soutenu par les collectivités, une équipe de 7 permanents, un statut associatif et une relative indépendance politique constituent des atouts majeurs .
Parmi ses fonctions auprès des associations : le soutien aux bénévoles, l’accompagnement dans les projets, sont des réponses aux difficultés que l’on rencontre souvent pour pérenniser certaines actions (Graines d’automne par exemple, mais aussi tout ce qui concerne le public jeune ). C’est un levier pour agir au présent et pour penser l’avenir, c’est un lieu par définition de démocratie participative. Favoriser la participation, susciter l’engagement restent des défis à relever dans une société où le comportement « consommateur » est très marqué. Le milieu rural est propice à l’imagination, à l’action, les paysans ont su par le passé, construire des réponses collectives adaptées à leurs besoins et favorables au développement, aujourd’hui c’est du secteur associatif que peut venir un second souffle. L’exode urbain, l’arrivée de nouveaux paysans (d’origine familiale non agricole) la fin du modèle et de la pensée unique en agriculture draineront des acteurs ruraux imaginatifs et soucieux de se réapproprier leur environnement et leur avenir . Il y a de la « pensée sociale » qui s’élabore et qui s’expérimente en campagne comme l’a démontré la réussite du Forum des initiatives en 1999 à Nozay.
Une nouvelle pratique de la démocratie.
Le pays de Châteaubriant s’est doté d’une charte et d’un conseil de développement dont un des collèges représente le milieu associatif. C’est donc à ce titre qu’avec trois autres représentants je participe à la définition de la politique de développement qui sera mise en œuvre sur le pays . Les commissions sont organisées par champs d’intervention, j’aurai plus particulièrement à suivre celui regroupant : associations, culture, loisirs, sport. Rendez-vous dans quelques années pour mesurer les effets de cette participation et la vitalité du tissu associatif
Face aux élus et aux représentants de l’économie, la société civile, à travers le mouvement associatif, saura-t-elle créer les conditions d’un renouveau dans les rapports qu’entretient le citoyen avec la politique ? Il y a toute une organisation à bâtir pour en arriver là , mais le défi est passionnant .
Signé : Gilles Philippot
Ecrit le 10 novembre 2004
Cultivons le nous
Le festival Graines d’Automne s’est terminé il y a deux semaines. La question qui me hante est « comment résumer cet événement ? ». Pour ceux qui se sentent peu intéressés par mes pérégrinations cérébrales parfois tortueuses, je vous conseille d’aller directement au dernier paragraphe. Pour les autres, accrochez-vous, on décolle !
Le Nous
« Cultivons le nous ! » mérite une explication. « le nous » est à entendre au sens du collectif : Graines d’Automne est coordonné par un collectif qui regroupe une vingtaine d’associations (donc essentiellement des bénévoles) de la région de Nozay.
Ce « nous » est aussi une revendication : « Etre un trait d’union entre les gens, entre la culture des gens et la culture pour les gens, telle est l’ambition de Graines d’Automne. Nourrir l’échange et la découverte, rechercher la proximité et la convivialité (...) » disent les organisateurs dans leur édito.
Cet événement a été réfléchi et nourrit aussi la réflexion sur le territoire, la culture, l’identité en milieu rural : « Un territoire existe réellement pour sa population quand celle-ci s’y identifie d’une façon positive et valorisante, d’ou l’importance des actes fédérateurs qui rassemblent. L’identité territoriale c’est du passé, du présent, du futur commun que s’approprient les habitants. Quand le territoire n’a pas d’objet fédérateur naturel lié à l’histoire ou à la géographie, le support culturel est un bon moyen pour mobiliser les gens dans l’action et dans la construction d’un projet commun (on crée alors la base fédératrice). Le festival GRAINES D’AUTOMNE a apporté depuis 1996 de la consistance » identitaire « à la Com. Com. de NOZAY, il est devenu une référence forte, vue de l’extérieur, et un support valorisateur pour l’image de la région. Le festival étant proche des gens, il suscite une adhésion naturelle. » (extrait des textes disponibles sur le site internet).
Nous en sommes à la 9e édition et effectivement, ce festival a changé l’image de cette région en instituant un moment fort de rencontres et d’échanges sur le territoire. Ce « nous » est tellement présent qu’il est difficile de citer une personne ou une association tant le collectif est riche !
L’attachement à la rencontre se traduit aussi dans l’organisation des soirées souvent gratuites avec « participation gourmande » demandée. Partager un gâteau ou des crêpes après un concert de Simon Nwambeben, quel bonheur !
Le nombre de veillées et d’animations augmente chaque année avec une fréquentation quasi maximale partout et surtout un brassage de public allant de la petite enfance au grand âge !
Cette année, la résidence l’Odyssée (Foyer de Jeunes Travailleurs de Nozay) a organisé une soirée (les résidents demandent depuis « quand est-ce qu’on recommence ? ») et la commune de La Chevallerais a clôturé la quinzaine par une journée riche de diversité : balades avec « tirage » de bateau, exposition sur la BD rurale, jeu sur les objets anciens ( j’ai pu mesurer mon degré d’ignorance), concert de gospel dans une église pleine à craquer, vente à la criée de l’affiche du festival à la sortie du concert ... et enfin pot de clôture en présence du maire qui a fait preuve d’humour et de poésie dans son discours.
Je ne pourrai pas tout citer (quoique ...) mais le COLLECTIF semblait très content de cette nouvelle édition.
Culture ou culture ?
Il s’agit bien de culture et ce mot fait toujours débat. Alors citons des définitions. Jacques Rigaud, auteur d’un rapport pour la Documentation Française appelle culture « la relation de l’homme aux grandes œuvres de l’art et de l’esprit, au patrimoine de la civilisation ». C’est l’acception reconnue le plus souvent par le ministère de la Culture. Mais on peut prendre la définition ethnologique qui parle de la culture comme de « l’ensemble des faits et des pratiques politiques, religieuses et sociales caractéristiques d’une société ».
La question est alors « où se situe Graines d’Automne ? ». Il serait prétentieux de ma part de donner une réponse unique mais j’ai un avis (qui peut mériter un débat). Graines d’Automne est sur les deux versants : a priori la soirée « mémoire Paysanne » est un bon exemple de la définition ethnologique. Cette soirée s’appuyait sur deux films sur le travail et les luttes syndicales dans le monde paysan (années 30 et 60), ensuite sont venus les témoignages dont celui de René Philippot puis des chansons issues des luttes agricoles.
A côté de cette soirée, il y a aussi eu des visites d’ateliers d’artistes, des concerts ou spectacles parfois dans des lieux insolites ou chez des gens. Et aussi un concours de soupes ! (ceux qui étaient présents se sont régalés)
J’espère que j’ai réussi ma démonstration. Graines d’Automne fait de la culture sous toutes ses formes et veut que nous, citoyens, soyons des acteurs ou des diffuseurs de notre propre culture.
Les nombreux articles dans la presse, les trois reportages sur France3 et le dossier consacré par télérama (n°2681) en 2001 sont la preuve que cet évènement bouge,, bouscule le territoire.
Dernier paragraphe
Pour finir, je dirai simplement que Graines d’Automne c’est génial ! Merci à vous tous les bénévoles et aussi aux quelques salariés, continuez de nous enchanter, faites un bon bilan et préparez une 10e édition pleine de surprises pour l’année prochaine.
Petite dernière chose : certaines de ces associations organisent aussi des manifestations ou spectacles tout au long de l’année (une vingtaine quand même) réunis sous l’appellation « Spectacles de la Pierre Bleue ». Allez-y, foncez !
Renseignements : OTSI de la région de Nozay : 02.40.79.34.61 et retrouvez la programmation sur internet www.cc-nozay.fr et n’oubliez pas l’indispensable www.grainesdautomne.org
Signé : Tetro Bavar