Ecrit le 16 janvier 2013
Comme tous les Français, en ce début d’année 2013, je suis ballotté dans le débat « mariage pour tous ». Les prises de position, les articles, les manifestations se suivent et occupent les médias, les langues, les plumes et les jambes. Chacun défend et argumente sa vérité qu’il estime être la vérité, universelle, définitive, indispensable et nécessaire à la survie de notre espèce, notre société, notre civilisation (la meilleure ?)
Les religions monothéistes (catholique, protestante, juive, musulmane) semblent les plus impliquées dans le combat pour défendre la formule traditionnelle de la famille nucléaire : un homme et une femme pour faire des enfants (avec, derrière, la condamnation de l’homosexualité que l’on va chercher dans les textes sacrés ; et le maintien de la domination masculine multi-millénaire) Mais, comme on risque de tomber dans l’homophobie condamnée actuellement par nos lois et comme il est difficile pour des croyants au Dieu créateur de ne pas reconnaître que c’est Dieu qui a créé dans la nature ces orientations homosexuelles, on se replie sur des arguments anthropologiques pour condamner le mariage entre personnes de même sexe.
c’est là où le débat est biaisé car j’ai lu les anthropologues et leur position de scientifiques n’est pas celle que les religions prétendent : l’institution du mariage n’a pas été réservée partout et toujours à des hétérosexuels et orientée uniquement vers la procréation.
Je me sers d’un petit article synthétique rédigé par Françoise Héritier[1], en mars 2005 dans la revue Informations sociales n°122, intitulé « Quel sens donner aux notions de couple et de mariage ? ». Elle s’appuie sur un ensemble d’anthropologues internationaux pour rappeler que le mariage a toujours eu pour but « une alliance durable, non pas entre des personnes mais entre des groupes sociaux, des familles, des » maisons « une alliance pacifique porteuse d’intérêts multiples, économiques, politiques et sociaux entre deux groupes qu’elle rend solidaires et qui vont désormais s’entr’aider » (p.10)
La procréation et l’hétérosexualité ne sont donc pas les fondements, l’essentiel de l’institution du mariage même si la formule hétérosexuelle et procréatrice s’est imposée parce qu’elle avait quelques avantages secondaires :
- 1- « elle renforçait l’alliance par l’ajout des liens de consanguinité ; cette alliance peut donner naissance à des enfants qui feront d’autant plus perdurer l’alliance entre les groupes que, pour eux, les familles respectives de leurs parents devenues alliées, représentent toutes deux à des titres divers leur famille consanguine. A partir de l’alliance, on a fabriqué de la consanguinité. Les alliés, qui étaient peut-être des adversaires autrefois, se retrouvent ainsi dans la position mutuelle de grands-parents des mêmes petits-enfants ».
- 2- « elle simplifiait les problèmes de filiation car le mariage conférait aux enfants leur caractère de légitimité ».
- 3- « elle maintenait la domination masculine liée au contrôle du pouvoir exclusivement féminin d’enfantement des deux sexes ».(p.14) Le matriarcat primitif ne plaisait pas aux mâles qui ont découvert leur rôle dans la procréation et institué le patriarcat agressif et dominateur qui semble avoir la vie dure : les religions ont du mal avec les femmes et les homosexuels et réservent les pouvoirs sacrés aux « vrais » hommes.
- La marche vers l’égalité, le partage du pouvoir et de la décision entre hommes et femmes, entre citoyens, les progrès des techniques et outils pour améliorer la nature, l’humaniser : prévention et réparation des ratés, des accidents (handicaps, maladies, fléaux naturels) permettent des évènements positifs en améliorant la qualité de vie humaine, la progression des liens sociaux et pacifiques. Rallumer des guerres pour défendre un type particulier de famille que personne ne veut supprimer mais seulement élargir, rappeler son essentiel qui est l’alliance pacifique, semblent alors incohérent et dommageable à l’aventure humaine menacée par des dangers autrement sérieux et d’une actualité brûlante (réchauffement climatique, montée des inégalités, de la pauvreté et de la violence).
signé : Hervé Drouard, docteur en sociologie
réaction de lecteurs
Le texte d’Hervé Drouard a été soumis, avant publication, à quelques personnes :
Première réaction :
« Pour moi le débat est biaisé sur un autre plan : on fait l’amalgame entre une question de droit et une question de morale. Personnellement, je m’en tiens à l’article premier de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, établissant de façon inaliénable que les hommes (et les femmes) »naissent et demeurent égaux en droit".
Partant de là , peut-on accepter que le droit (au mariage ou à autre chose..) exclut une partie du corps social, quel qu’il soit ? peut-on encore parler de démocratie lorsque l’accès aux droits fondamentaux est refusé au nom d’arguments moraux ? La loi vient en effet organiser la société pour pallier les désaccords liés aux visions divergentes du monde, et pour éviter la loi du plus fort et établir un minimum de cohésion sociale. Au nom de quoi la morale de certains devrait-elle constituer une entrave au droit des autres ?
Il y a bien des choses qui heurtent ma propre morale et qui sont pourtant inscrites dans la loi, et je reste libre d’en penser le plus grand mal. C’est MA liberté de conscience.
Le droit n’est pas une obligation, et le mariage pour tous ne lèse personne. Personnellement, je me moque du mariage en lui-même, ce n’est qu’une institution normée (et récente si j’en crois les historiens). Mais pourquoi celles et ceux qui souhaitent entrer dans cette norme sociale ne pourraient-ils pas le faire ? qui suis-je pour prétendre faire obstacle à leur choix de vie ?
Ce qu’il y a derrière tout ce triste charivari, j’en ai bien peur, c’est l’homophobie qui avance masquée ...
Ne pas accepter qu’il puisse y avoir d’autres morales que la mienne relèverait d’un déni de la pluralité, et donc d’un déni de démocratie.
Liberté, égalité, fraternité ?
Deuxième réaction :
Autrefois on mariait des enfants pour réunir deux lopins de terre, ou deux royaumes. Il n’y avait guère d’amour là -dedans. Dans l’école où je suis il y a quatre enfants ayant la même maman mais quatre papas différents ! ça on n’en parle pas. La société a changé. Et si on parlait d’amour ?
Troisième réaction : pétition
Je viens de lire et signer une pétition en ligne : « Trop c’est trop ! »
Il s’agit d’une action des chrétiens progressistes dénonçant les prises de position de la hiérarchie catholique.
(extraits de cette pétition) : « Rappelons que les évêques n’ont aucun droit à parler au nom des catholiques, qu’ils n’ont jamais consultés. L’épiscopat dit vouloir un débat sur ce sujet pour faire entendre l’opinion publique française, alors qu’il ne tient aucun compte de l’opinion publique dans l’Eglise catholique, ni sur ce sujet, ni sur aucun autre. En effet, les chrétiens, catholiques ou d’autres confessions, sont divers dans leur approche de cette question comme des autres questions de société, et nombre d’entre eux étaient présents à la manifestation du 16 décembre 2012, sous la banderole » Juifs, chrétiens, musulmans, croyants, pour le mariage pour tous ".
Rappelons aussi qu’aucune parole de Jésus dans l’Evangile ne donne d’indication sur ces problèmes de société : la seule urgence, la seule exigence, c’est l’amour du prochain, signe de l’amour de Dieu. () Et nous tenons à saluer les chrétiens « de base » qui, dans les paroisses ou d’autres lieux, mettent activement et discrètement en œuvre l’amour du prochain le plus démuni.
Il faut dire aussi à quel point les homosexuel-le-s sont blessés, humiliés par des arguments qui, tout en prétendant récuser l’homophobie, font d’eux des égoïstes prêts à saper les bases de la société en n’écoutant que leurs propres désirs. Ces caricatures, qui se multiplient à la faveur des appels à la manifestation, sont autant de douleurs pour ces personnes, et en particulier pour celles et ceux qui sont chrétien-ne-s et se sentent encore et toujours rejetés, comme se sentent rejetés beaucoup de parents chrétiens d’enfants homosexuels. Certaines interventions dans les paroisses ont fait beaucoup de mal. (...)
Mariage pour tous
Un sondage réalisé par l’institut CSA montre que 57% des catholiques sont opposés au fait d’aborder ce sujet dans les écoles, collèges et lycées. Un taux qui fluctue à l’intérieur de la grande famille des catholiques pour descendre à 49% chez les pratiquants réguliers.
Globalement 54% des Français estiment que l’organisation, dans les établissements scolaires, de débats entre élèves et professeurs sur le mariage pour les couples homosexuels serait une mauvaise chose, près de la moitié de ceux-ci considérant même que ce serait une « très mauvaise chose » (25%). []
Interrogés spécifiquement, les catholiques ne sont pas plus favorables à cette initiative que souhaitait voir se développer le secrétaire général de l’enseignement catholique, Eric de Labarre dans les 8300 établissements qui accueillent 2 millions d’élèves. []
Avis juridique de Maître Eolas
- Première partie : http://www.maitre-eolas.fr/post/2012/11/19/Du-mariage-pour-tous
- Deuxième partie : http://www.maitre-eolas.fr/post/2013/01/22/Du-mariage-pour-tous-%282e-partie%29
- Troisième partie : http://www.maitre-eolas.fr/post/2013/05/11/Du-mariage-pour-tous-%283e-partie%29-%3A-apres-la-bataille
Douze ans de mariage gay en Hollande : un bilan terrifiant
Mariage : deux siècles d’évolution
Note du 12 avril 2013
Projet de loi adopté par le sénat
« Nous avons souhaité ouvrir le mariage civil et républicain aux personnes de même sexe, sans créer un sous dispositif spécifique car nous estimons nécessaire de rassembler et non d’exclure une population au seul motif de sa sexualité. Nous souhaitions attribuer les mêmes droits protecteurs à tous les couples et leur permettre de choisir les modalités de leur union » dit Michelle Meunier.
Note du 24 avril 2013
Loi adoptée par 331 contre 225
Ultime séance houleuse à l’assemblée, ce 23 avril 2013. Sur les bancs du public, quelques excités s’agitent. « Sortez les ennemis de la démocratie », exige le président.
Place au vote. Sans surprise. 331 pour, 225 contre et dix abstentions. A gauche, on applaudit à tout rompre en scandant « égalité, égalité ». Sur le banc des ministres, Christiane Taubira est ravie.
A droite, c’est le dépit et la frustration, après cinq mois d’une bataille parlementaire parfois virulente, illustrée hier encore par Hervé Mariton (UMP) accusant la gauche « d’avoir allumé la mèche indigne de l’homophobie ».