Ecrit le 5 janvier 2005
18 ans au Québec, Récit de Manu Halet
Un de nos fidèles lecteurs, ancien élève du Lycée Guy Môquet, a décidé de partir au Canada. Il commentera de temps en temps son séjour dans La Mée.
Le rêve
désireux de voyager, j’avais choisi le Canada pour entreprendre mon premier véritable séjour dans un pays étranger. Pourquoi le pays à la feuille d’érable ? Parce que j’y avais des adresses sûres, dont des proches de ma famille à Montréal, et que je sais qu’il est plus facile de commencer un tel séjour dans sa langue maternelle, que ce soit pour établir des contacts ou pour trouver du travail.
Un problème de taille se posait tout de même : comment obtenir rapidement un permis de travail, afin de subvenir à mes besoins financiers pour un séjour d’une durée théorique de 8 mois. En « surfant » par hasard sur Internet, j’ai trouvé le site de l’Ambassade du Canada en France (www.amb-canada.fr) : dans sa rubrique « Visas et Immigration », il propose à tout Français âgé de 18 à 35 ans de participer au « Programme Vacances-Travail » qui permet, moyennant quelques formalités administratives pas très compliquées et bien expliquées, d’obtenir un visa de travail pour une durée maximum d’un an.
L’avantage de ce programme : il ne demande aucune qualification particulière. Le Canada regorge de petits boulots (rémunérés 300 $ par semaine en moyenne, soit 200 €), les loyers mensuels sont relativement faibles comparés à la France (aux environs de 400 $ canadiens à Montréal, soit à peu près 250 €), tout en proposant beaucoup de possibilités de co-location et peu de formalités administratives.
Le Canada a besoin d’immigrants, surtout dans les métiers du bâtiment (qui sont donc très bien rémunérés). Pourquoi ne pas profiter de ces facilités pour découvrir un autre continent ?
Le grand départ !
J’espérais ne pas payer cher mon billet d’avion, j’ai donc cherché les meilleures offres, encore une fois sur internet. Grâce aux compagnies charter (Vols desservant une ligne occasionnellement), j’ai trouvé un billet aller simple Paris-Montréal pour « seulement » 230 Euros. Une semaine après ma commande de billet, me voilà parti, le 23 novembre 2004, destination Québec !
Langue de bœuf
Après un vol de 7 h sans histoire (mais non sans intérêt par exemple le survol du Groenland et ses immenses étendues blanches), je pose pour la première fois le pied sur un autre continent que l’Europe. Le passage aux douanes se passe sans problèmes, malgré la peur qu’ils découvrent la langue de bœuf (préparée avec amour par ma grand-mère) que j’apporte pour mon « oncle germain », venu me récupérer à l’aéroport, friand de cette spécialité française qu’il n’arrive pas à imiter au Canada (Bœufs aux hormones, ingrédients très chers ou introuvables ...).
Enfin, me voici à Montréal. Je me suis pincé pour savoir si je rêvais, mais non ! Premières impressions, le sentiment de retrouver les paysages de films américains : des immeubles immenses poussant comme des champignons partout aux alentours, de grandes avenues se croisant toujours à angle droit, des commerces florissants à tous coins de rues, un mélange de toutes les langues et couleurs de peau du monde. A une exception près : pas de coups de klaxon intempestifs de la part des automobilistes. A la différence de ce que l’on peut croire des Américains, mais aussi de ce que l’on sait sur les Français, les Québécois semblent très courtois et respectueux sur les routes, même par temps de neige qui commence à recouvrir toute la ville d’un épais manteau blanc. Il est tombé dernièrement 30 cm en une seule nuit. Le froid aussi commence à se faire sentir, surtout au coucher du soleil, mais tous me préviennent que ça n’est rien pour le moment comparé aux - 40° qu’il fera aux mois de janvier et février. Il est nécessaire que j’achète une grosse moumoute en perspective !
L’aventure
Après avoir passé une dizaine de jours à découvrir Montréal, je me lance dans ma première aventure « extrême » : bûcheron à la hache mal aiguisée sur des sapins de 20 m au milieu d’une forêt québécoise. Je me suis retrouvé dans ce coin perdu en ayant rencontré son propriétaire à l’aéroport qui m’y a invité pour l’aider au travail et me faire découvrir « Le vrai Québec ! ». J’ai pris un plaisir fou à me jeter dans 50 cm de neige vierge et y laisser ma trace, j’ai glissé sur les lacs gelés, j’ai préparé des tipis à la mode traditionnelle, je me suis perdu pendant 3 h dans la forêt avant de retrouver une route ..., mais je me suis rendu compte aussi que j’aurais fini par m’ennuyer ici après quelques semaines. J’ai besoin de contacts humains, c’est ma source de vie, et je n’en ai pas eu beaucoup là -bas. Le patron, Marcel, était très sympathique mais sa femme était terrorisée à l’idée que je passe du temps avec ses filles, et restait peu communicative. En plus de ça, tout le monde s’en allait le soir, je restais seul dans mon chalet avec pour seule compagnie le vent, mes livres et mon stylo !
J’ai décidé de retourner à Montréal, pour assurer la suite de mon séjour financièrement et « humainement ». Ma stratégie : emmener un CV dans chaque restaurant qui se présentait à ma vue. Cela a porté ses fruits en 3 jours : j’ai trouvé du boulot à la plonge dans un restaurant qui ne prépare que des pâtes, de formes et saveurs différentes avec plein de sauces, à la volonté du client. De plus, je suis bien payé, car ils offrent 2,50 $ de pourboire pour chaque heure travaillée en plus du salaire minimum qui est de 7,50 $ l’heure.
Le Français comme ambassadeur de la tolérance
En dehors du boulot, je vadrouille dans les rues de Montréal ! Au fil des jours, je m’habitue rapidement à cette nouvelle vie et découvre l’univers multiculturel de la ville. Armé de mon calepin et de mon stylo, je questionne quelques personnes au hasard des rues et des transports en commun [simples d’utilisation, très bien desservis et de bonne qualité par ailleurs]. Le témoignage de Aaron, immigré venant du Surinam, m’a paru révélateur de l’état d’esprit québécois. Il se dit « Heureux de pouvoir vivre et se déplacer tous les jours à Montréal sans que jamais quelqu’un vous insulte du regard. Le principal problème que j’ai rencontré à l’époque a été d’apprendre le français, nécessaire si l’on veut avoir une vie sociale ici, car les Québécois sont très attachés à cette langue et rejettent l’anglais, bien qu’ils le parlent presque tous couramment. »
Je remarque tous les jours cet attachement au français, avec, par exemple, la phrase « Je me souviens » (Cette expression est la devise du Québec) inscrite sur toutes les plaques d’immatriculation des voitures québécoises, ou encore le refus des anglicismes bien connus chez nous. Ici on parle de « magasinage » au lieu de shopping, « de fin de semaine » au lieu de week-end ou « de courriel » à la place d’e-mail. Quel plaisir de faire 8000 km et de se retrouver dans une région où notre langue est reconnue comme fierté nationale, de pouvoir échanger des sentiments profonds sans barrière de langue avec des personnes d’un autre continent. Malgré tous les essais des Britanniques d’empêcher la prolifération du langage de l’ennemi n°1 lors des conquêtes coloniales, les Québécois ont toujours refusé de se soumettre, souvent au prix de leur propre vie. En tout cas, je lève mon chapeau à ce peuple unique qui a pu montrer que l’attachement à une culture est plus puissant que l’utilisation de la force.
C’est ainsi que j’achève le premier récit de mes aventures canadiennes. J’espère pouvoir vous faire partager du bon temps en ma compagnie, et reste impatient de vous divulguer mes futures expériences.
J’apprécierai quelques mots et vos réactions sur : manu.halet@caramail.com.
Ecrit le 26 janvier 2005
Nous avons laissé Manu à la joie de ses premières expériences au Canada (Relire La Mée du 5 janvier 2005). Depuis, il a trouvé un logement « pas cher du tout grâce à des connexions amicales. 1 cuisine, 1 salon, 2 chambres, tout meublé,douche WC... De plus, la proprio m’a laissé un lecteur DVD, et une télé, génial pour le passionné de cinéma que je suis ! ». Voici la suite de ses découvertes :
Salut à tous
Depuis Montréal la blanche, je vous transmet les dernières nouvelles de cette expérience sans précédent dans mon existence.
Le froid englobe la cite montrelaise en même temps que l’ensemble du Canada, tout en recouvrant ce dernier d’un épais manteau neigeux. Pour le moment, les températures extrêmes se font ressentir par à -coups seulement. En effet, le thermomètre peut tout aussi bien indiquer 7 degrés le lundi et se retrouver à - 25 le lendemain. Cela pose un gros problème avec la neige qui fond pour créer de grandes surfaces de gadoue, ce que les Québécois appellent la « sloche », qui se retrouve gelée et qui crée le lendemain un verglas affreusement glissant. Je me suis ramassé la tronche un bon nombre de fois au début, mais toujours sans gravité hormis le petit air ridicule que l’on a ensuite ... Heureusement, celui-ci ne tue pas, et me fait plutôt rire aux éclats.
J’ai donc commencé la vie dans mon appartement depuis maintenant 2 semaines. Celui-ci s’avère très fonctionnel, bien décoré, et je m’entends bien avec la propriétaire. Le tout à un prix dérisoire comparé à ce qui se fait à Montréal. C’est vraiment une nouvelle chose pour moi de me retrouver livré à moi-même, devant préparer mon magasinage (Shopping en francais), mes repas, mon budget... Bref, c’est riche en enseignements et ça se passe plutôt très bien, malgré les quelques oublis de la vie de tous les jours.
Le travail s’avère aussi se passer très bien, je deviens le maître incontesté du lavage des assiettes creuses. Bons horaires (Je me réveille au plus tôt à 8 h 30), une équipe d’une vingtaine de jeunes tous sympathiques, un bon salaire, le nombre de repas gratuits à volonté (En plus, leurs pâtes sont divinement bonnes, tout comme leurs sauces) et ils me font aussi faire un bon nombre d’heures (38 cette semaine, 20 la semaine prochaine). Vu que mon projet est d’avoir de l’argent pour partir vers Vancouver, ça s’annonce plutôt bien. Je projette aussi de partir vers la ville de Québec au mois de mars.
Grâce au travail, entre-autres, je fais de bonnes rencontres et commence à faire de belles soirées, mais je dois avouer que vous me manquez tous. Pour le premier de l’an, j’étais invité à une adresse loin de tout, et vu l’état des routes et des trottoirs ce jour-là à Montréal, j’ai préféré passer mes festivités presque seul dans ma nouvelle demeure... J’attends avec impatience de vos nouvelles.
Vous pouvez m’écrire à Manuel Halet,
6621, 14e Avenue
Montreal ,Qc,H1X 2W5
Ou encore me téléphoner au
(011) 514 727 5044, manu.halet@caramail.com
Longue vie à vous et bonne chance !
Ecrit le 9 février 2005 :
A la découverte de la belle province
L’aventure continue à la découverte du Nouveau Monde, depuis presque trois mois. Tout se passe pour le mieux à l’instant où je vais tenter, grâce à la Mée, de vous faire partager quelque peu certaines de mes expériences.
La nouvelle vie en solitaire
Depuis le 27 décembre, j’ai emménagé dans un bel appartement entièrement meublé, d’environ 50 m2, refait à neuf comme s’il n’attendait que moi pour le faire vivre. Livré à moi-même, je prends plaisir à organiser mes journées « comme un grand » : faire les courses, la cuisine (Je me révèle spécialiste de la tartiflette), le ménage, la vaisselle (Maudites assiettes !) et tout ce que cela implique encore. J’ai aussi fait un premier pas vers l’identité québécoise en plaçant mes revenus à la « Caisse Desjardins », banque coopérative et résolument indépendantiste.
J’avais par ailleurs entamé une chasse au reblochon qui s’est avérée fructueuse après un long moment de vaines recherches (environ 1 mois), le bon fromage restant assez rare et cher. L’alcool, notamment le vin, est aussi relativement coûteux, tout comme les cigarettes ou encore les tomates. Cependant, les biens de première nécessité (Lait, beurre, pâtes, riz, viande...), les loyers, l’électricité, l’essence, sont beaucoup moins chers qu’en France, ce qui permet aux Québécois de bénéficier d’un meilleur pouvoir d’achat que nous, toutes valeurs confondues. J’ai même été surpris de voir le bon état de mon compte en banque, dû entre autres à la bonne santé de notre monnaie européenne, après deux mois de dépenses parfois inutiles. En ce qui concerne mes finances, je peux compter sur un budget me permettant de vivre sans problèmes grâce à mon travail de « Boss Boy » (Homme à tout faire, hormis la cuisine) au restaurant dans lequel je suis embauché. Les conditions y sont d’ailleurs très agréables : environ 25 heures par semaine, très bons horaires, équipe de travail sympathique, repas de bonnes pâtes gratuits et à volonté, ainsi que les pourboires, redistribués équitablement à tous les employés chaque semaine, toujours intéressants.
Un hiver rude et instable
Je n’aurais jamais pu imaginer avant de venir ici ce que l’on ressent confronté à une température frisant les - 40°C , il faut la vivre pour connaître cette sensation. Premièrement, on bénit la chaude moumoute qu’on a eu la bonne idée d’acheter avant ces jours-là . Ensuite, on évite de fumer une cigarette à l’air libre, car tout contact prolongé de la peau avec l’atmosphère devient très douloureux, surtout pour le bout des doigts, et on s’efforce de trouver un abri au chaud pour attendre le bus afin de ne pas rester l’épaule congelée sur un feu de signalisation... Un phénomène surprenant est de sentir l’extrémité de ses narines geler lorsque l’on inspire l’air à cette température, donnant une sensation de se sentir fourni en excréments nasaux. Paradoxalement, le thermomètre peut indiquer un fier 0° dès le lendemain, soit 40° de différence en un seul jour. Le vent venu tout droit du nord est le principal facteur des grands froids secs.
Le Québec se trouve être à un emplacement géographique abritant parmi les plus grandes variations de température sur terre entre un hiver rude de décembre à mars (Pouvant friser exceptionnellement - 60°C) et un été chaud de juillet à septembre (atteignant facilement 40°C). Ces conditions climatiques uniques sont propices au verglas, et mettent à mal les infrastructures routières de Montréal et sa belle province. Les incessants gels et dégels que subit le goudron rendent, paraît-il, les routes très dangereuses à la sortie de l’hiver, car peuplées de nids de poules où pourraient nager plusieurs canards.
Pour moi, simple usager des trottoirs, l’aventure se révèle de même semée d’embûches. Après quelques chutes improvisées sans gravité aux regards de tous, hilares mais compréhensifs, j’apprivoise le bitume verglacé tel un animal sauvage, le regardant toujours dans les yeux avant d’y poser mon soulier.
Heureusement, les « cols bleus » , sortes de cantonniers en bleu, veillent au bon fonctionnement de la ville, chargés d’éradiquer neige et verglas. Leur travail est essentiel à la communauté, certainement plus qu’en France, étant donné les contrastes climatiques qu’abritent ces deux régions, encore plus accentuées si l’on compare le pays de la Mée avec le Québec. Entreprise publique, la STM (Société des Transports de Montréal) doit faire face à des revendication salariales en lien direct avec ces emplois stratégiques.
Une société paradoxale
Il y’a d’un côté un Etat omniprésent, c’est à dire très actif dans l’économie de la province, possédant un certain nombre de monopoles économiques avec notamment l’électricité (Hydro-Quebec), les alcools de qualité (SAQ : Société des Alcools du Québec), le gaz ou encore le marché de l’eau. Le système de santé est gratuit (Ce qui n’empêche pas sa déchéance certaine, avec des hôpitaux peu nombreux, surchargés et en demande constante de personnel. Il n’y a pas de médecins généralistes, il faut aller aux urgences pour soigner une bronchite, d’où des infrastructures surchargées et désorganisées), les médicaments sont remboursés, il y a un salaire minimum fixe (malgré 8 % de chômage), et un équivalent au RMI français, paraît-il facile à obtenir.
Les fonctionnaires sont nombreux, et les syndicats très puissants (celui de la STM, par exemple). Il y a en ce moment trois grèves majeures au Québec, avec d’abord les joueurs de hockey (Sport national au Canada), en conflit depuis six mois avec leurs présidents de club, puis viennent les employés de la SAQ, depuis plus de deux mois et enfin les acteurs de théâtre de Montréal il y a quelques semaines. Pourtant voisin du libéralisme sauvage américain, je prends plaisir à voir que nos cousins sont râleurs et orgueilleux, tel tout Français qui se respecte...
Il y a d’un autre côté un pouvoir donné aux entreprises d’embauche précaire, comme l’emploi que j’ai trouvé. Mon employeur a le droit de m’embaucher aussi vite qu’il peut me licencier, moyennant peu d’indemnités, créant des inégalités criantes entre une classe moyenne plutôt aisée et un pourcentage assez conséquent de gens en situation précaire. Un tel emploi convient parfaitement à ce que je fais, mais ne suffirait pas décemment à une famille.
Avec plein d’autres choses encore à vous faire découvrir en ma compagnie, j’attends avec impatience de vous divulguer mes prochaines expériences.
Manu
LÃ -bas on parle le français
Au Québec, province canadienne, toute société de plus de 99 personnes doit avoir un « Comité de francisation ». Il s’agit de lutter pour le maintien de l’usage du français, ce que d’aucuns qualifient de « souverainisme » alors qu’il n’est que respect de l’histoire de la province.
Cela conduit parfois à des absurdités, comme ces médecins et infirmières ne parlant pas suffisamment la langue de Molière à qui l’on a retiré leur licence de travail alors que, dans le même temps, le Canada est en pénurie dans les professions médicales.
En janvier 2005, le taux de chômage au Québec était de 8,4 % (en baisse de 0,2 point par rapport à l’an dernier) [en France le taux de chômage est 9,9 %].
Pour 2005, les perspectives d’emploi sont bonnes :75 000 postes seront disponibles (retraite) et 60 000 emplois seront créés. Le Québec a des besoins en main d’œuvre, particulièrement dans les bars et brasseries (peut-être à cause du conflit dabs la ligne nationale de hockey)
Le Canada recherche des salariés qualifiés. Avis aux amateurs qui n’ont pas peur de s’expatrier.
Ecrit le 23 février 2005 :
Québec : racines religieuses
et grève d’étudiants
L’un de nos jeunes lecteurs, Manu Halet, a entamé un voyage au Canada. Voici la suite de ses différentes expériences dans cette partie du globe à la fois si proche et si lointaine de la France.
Une vie plutôt
mouvementée
Un nouveau mois vient de s’écouler (celui de février) dans cette nouvelle année qui à mes yeux vient à peine de commencer. Mon périple à la découverte de nos cousins d’outre atlantique se poursuit avec toujours autant d’enthousiasme de ma part, et après les repérages nécessaires à l’immersion dans cette nouvelle culture, mes deux pieds se sont bien ancrés sur les rives du Saint-Laurent, fleuve principal et berceau de toute civilisation dans la belle province, accueillant notamment Montréal et Québec sur son lit. Il m’est aisé dorénavant de suivre les multiples nuances à notre Français hexagonal du ’’dialecte’’ québécois, de bien me repérer dans la grande ville qu’est Montréal ou encore d’assurer un budget convenable à ma nouvelle vie.
Rémunéré aux alentours de 500 $ canadiens (environ 350 €) pour deux semaines de travail, soit environ 35 h par semaine, mon quotidien plutôt mouvementé ne m’autorise que peu d’économies, mais me permet de subvenir à mes besoins, tant festifs que nécessaires. Cependant, je doute qu’un tel emploi rémunéré au salaire minimum (7,45 $ l’heure, soit 5 €) puisse permettre à un individu installé avec sa famille de vivre décemment ici, d’autant que les loyers à Montréal ont connu une récente flambée des prix. Il ne faut pas espérer non plus avoir son dimanche ou une législation légiférant un nombre d’heures par semaine. En Amérique du Nord, on peut travailler 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.
’’Vive le Québec libre,
Vive le Québec sans Charest’’
Le gouvernement provincial en place, emmené par Jean Charest, premier ministre et libéral convaincu, n’apparaît pourtant pas décidé à réduire ces inégalités criantes entre une classe moyenne aisée et une population toujours plus démunie et moins encadrée socialement, et semble plutôt opter pour un clivage toujours plus conséquent entre riches et pauvres. Un exemple : il a été décidé de ne plus verser de bourses aux étudiants, et de fonctionner avec un système de prêts à faible taux remboursables à la fin des études. Cette réforme coupe 103 millions de $ (75 millions d’€) du budget québécois prévu pour cette aide aux moins riches, nécessaire si l’on veut parler d’égalité des chances dans l’ascension sociale des individus, et donc de démocratie.
Toujours prêt à défendre la cause militante et anti-libérale, je me suis retrouvé, grâce à un heureux hasard, passer la première nuit de grève étudiante dans un établissement scolaire du centre de Montréal, où j’ai pu à souhait interroger toute cette « gagne » (groupe, équipe) en colère.
« Cette grève générale et illimitée est notre seul moyen de protéger nos acquis et de contester cette régression sociale à peine dissimulée », note David, étudiant en arts appliqués. Et Christian de rajouter « Charrest est un crosseur » (arnaqueur), l’un des slogans les plus utilisés au travers des mégaphones militants.
Solidaire du mouvement, j’ai aussi pris part au débat au petit matin, au travers d’un discours caricatural scandé dans un amplificateur vocal en mémoire de Charles De Gaulle qui, en 1967, avait clamé haut et fort dans les rue de Montréal « vive le Quebec libre, vive le Quebec Français ! ». Je considère le rire comme la meilleure arme de révolte, et cette expérience unique autant qu’hilarante toute une nuit durant fut réellement enrichissante.
Aujourd’hui, le mouvement touche plus de 40 000 étudiants à travers la Nouvelle France, et ceux-ci semblent bien déterminés à ne pas céder, quitte à annuler le passage des diplômes de fin d’année. Quel plaisir de voir cette culture contestataire bien de chez nous de l’autre côté de l’Atlantique.
Des origines ancrées dans le catholicisme
Le Québec est une région puisant de fortes origines dans la religion catholique. En témoigne le nombre de rues, villes, fleuves ou encore lacs possédant le prénom d’un Saint. A Montréal, il y a par exemple la rue Sainte Catherine. Elle sépare le cœur du centre-ville d’est en ouest et constitue la principale artère commerciale de la ville. Elle s’orne de magasins, de restaurants, de centres commerciaux et de théâtres. Une des meilleures façons de prendre le pouls de l’activité montréalaise et de sa foule bigarrée est d’arpenter cette fantastique et éclectique avenue. Passons les rues Saint Urbain, Sainte Thérèse et autres pour voir qu’une grande partie des villes et villages de la Belle Province sont aussi dénommés au prénom d’un religieux : Saint Alexis, Saint Adolphe, Sainte Aurélie, Saint Clément, Saint Guy... Il fallait bien à l’époque contrer les Anglo-Saxons Protestants avec de tels procédés en marquant sur le territoire l’omniprésence du catholicisme. Ce dernier a d’ailleurs largement contribué à faire perdurer cette culture francophone au Québec, dans l’éternel combat d’influence franco-anglais.
Ce rapport à la religion se ressent également dans le langage de nos cousins. En effet, contrairement à nos jurons ’’hexagonaux’’ affichant pour la plupart des connotations sexuelles (m..., enc..., co..., put...), les canadiens français jurent par des ’’hostie’’, ’’chris’’ et autre ’’tabernac’’, beaucoup plus jolis et connectés à l’histoire à mon goût que nos pâles insultes. Est-ce le fait que ce peuple a lourdement rejeté la religion dans les années 60 ?
D’une société très religieuse et conservatrice, accordant une toute puissance aux prêtres qui poussaient les femmes à faire autant d’enfants que possible tout en encourageant le pouvoir paternel, la population a marqué son refus de maintenir ces traditions obsolètes quant au contexte international par des révoltes envers le pouvoir en place et une occupation des églises qui a baissé de moitié en quelques mois. Il est étrange de voir maintenant des églises transformées en centres commerciaux ou même en universités. On parle alors de ’’Révolution tranquille’’, où l’émancipation des femmes et la rationalité (par opposition à la religion) ont connu une évolution sans précédent, tel le jour et la nuit, pour faire du Québec d’aujourd’hui un fief d’athéisme et de liberté.
Changement de
programme !
J’avais pour optique au début de mon périple d’aller vivre à Québec (La ville) pour quelques mois, mais ma situation est tellement enviable à Montréal que je vais sans doute y rester plus longtemps que prévu, d’autant que je commence à tomber amoureux de cette ville. Je vais ensuite vraisemblablement aller voir ce qui se passe chez le voisin américain, ce qui me permettra de voir de mes yeux ce que c’est réellement , et de vous raconter, comme à l’accoutumée mes expériences, mes colères, mes rires et mes analyses.
A bientôt pour de nouvelles aventures.
Manu Halet
Pour m’écrire :
manu.halet@caramail.com
Ecrit le 18 mai 2005 :
Printemps canadien
Après 4 mois passés à Montréal et beaucoup de projets concernant la suite de mes aventures, avec l’arrivée du beau temps, j’ai finalement opté pour la solution de facilité et me suis dirigé vers Québec, capitale de la belle contrée.
Aujourd’hui, me voilà en colocation à Sainte-Foy, ville de la banlieue de Québec, à 20 minutes de mon travail, où j’ai décidé de continuer de caresser mes assiettes creuses afin de m’assurer un soutien financier. Si je veux me permettre un petit bilan de mon périple montréalais, je peux me vanter de bien savoir m’y orienter, d’y avoir créé un bel univers de relations sympathiques et d’être très bien renseigné sur l’emplacement de ses meilleurs bars.
J’y ai laissé mon très bel appartement, et vous invite à contacter sa propriétaire sur son courriel à fredetiefry@yahoo.ca si jamais l’idée de découvrir Montréal et ses environs vous tentait, pour un loyer de toutes façons moins élevé qu’Ã l’hôtel, et tous les avantages d’un logement bien meublé et bien situé.
Québec
Mes premières impressions concernant la ’vieille ville’ après y avoir passé deux semaines sont celles d’une cité beaucoup plus ’européanisée’ que sa petite soeur (Montréal ayant dans l’histoire été créée après Québec) distante d’environ 250 km vers le sud.
On peut s’en rendre compte en effet grâce à son architecture qui traduit le modèle traditionnel français pour les bâtiments les plus vieux, son passé militaire symbolisé par les nombreux canons placés en direction du Saint-Laurent, ou encore ses églises immenses et construites en matériaux durs, vestiges de la toute puissance du catholicisme, contrairement aux églises protestantes sobres et moins imposantes plus présentes à Montréal.
Le château Frontenac (hôtel de luxe datant de 1892) qui domine la ville de ses formes imposantes peut donner l’impression d’une « histoire ».
Moins peuplée que Montréal, Québec (abritant avec son agglomération environ 900 000 habitants) doit aussi faire face à des transports en commun moins efficaces, absence de métro oblige.
J’ai à ce sujet fait l’expérience d’emprunter un mauvais bus, ce qui m’a permis de réaliser une extraordinaire visite de la zone industrielle, qui s’est avérée peu originale comparée à ses consoeurs européennes.
Perdu sur un grand boulevard desservi seulement 2 fois par jour, j’ai heureusement vu la lumière grâce à un pompiste, Etienne, qui a accepté de me raccompagner chez moi avec son char (voiture), et m’a, par la même occasion, traduit l’état d’esprit des habitants de la capitale provinciale en se définissant comme un ’Villageois avec pleins de cartes de crédit’. Villageois pour traduire la camaraderie qui semble les lier (Tout le monde se connaît, ça parle dans les bus) et donc un environnement peu individualiste, les cartes de crédit pour caricaturer les portefeuilles québécois, semblant toujours prêt à éclater sous une multitude de paperasses diverses.
Une période de crise ?
Je parlais dans mes articles précédents des différentes et récurrentes grèves effectives au Québec depuis le début de mon voyage.
La situation va toujours en empirant, car après les joueurs de Hockey, les vendeurs de vin, les acteurs de théâtre et les étudiants, les professeurs et autres emplois liés à l’éducation s’en mêlent. Ils contestent tous la politique menée par le gouvernement provincial en place, libéral, qui a succédé au Parti Québécois (PQ) en 2002.
Ce dernier est le mouvement pro-indépendance du Québec au Canada, et l’instigateur du referendum pour la souveraineté en 1995, où malheureusement pour Bernard Landry, chef de file actuel de ce parti, le ’non’ s’est révélé vainqueur pour 50,6 % des voix, soi un écart de seulement 1,2 % avec les partisans du ’oui’.
Par ailleurs, le gouvernement fédéral, libéral également, en place depuis une bonne quinzaine d’années, et emmené actuellement par Paul Martin, Premier Ministre du Canada, doit faire face aujourd’hui à un scandale tonitruant qui éclabousse tout son environnement politique. Couramment appelé ’Scandale des commandites’, il est la découverte d’une politique de surfacturation de services au gouvernement canadien par des agences de publicité, proches de politiciens libéraux.
Le Canada se retrouve maintenant dans une situation où beaucoup de gens remettent en question la légitimité du gouvernement et ne lui font plus confiance à cause des allégations de corruption.
Ces ’magouilles politico-financières’ vont vraisemblablement marquer l’apogée du règne des libéraux au gouvernement fédéral, tout en préparant un tapis rouge à l’arrivée des ’péquistes’ (PQ) au gouvernement provincial du Québec, toujours aussi fervents défenseurs de la souveraineté de leur belle province, et bien déterminés à organiser un nouveau référendum dès que possible.
Personnellement, un Québec indépendant m’apparaît comme un beau projet, culturellement parlant d’une part, mais aussi économiquement en tenant compte que l’eau supplantera bientôt le pétrole comme réserve naturelle de prédilection, et que cette région abrite à elle seule 16 % des réserves en eau potable de la planète.
Pour l’instant, bon nombre d’entrepreneurs nord américains se servent grassement dans cet ’or bleu’, sans que nos cousins puissent en bénéficier étant donné les lois fédérales en place.
Les taxes sont aussi l’un des sujets qui motive le Québécois à vouloir son propre État, vu que pour chaque produit acheté, il paye 7 % du montant pour le Canada ( la TPS) tout en payant 7,5 % pour le Québec ( la TVQ), et ne voit en retour que peu de fonds fédéraux lui étant accordés.
Mais la parade est trouvée : ici, on indique toujours le prix détaxé, le montant réel n’est affiché qu’Ã la caisse, d’où pour ma part plusieurs surprises quand je n’y étais pas habitué.
Le règne de la publicité
Par contre, je ne m’habitue pas, et ne m’habituerai sans doute jamais, aux médias québécois infestés de publicités de toutes sortes. Le quotidien le plus lu ici se nomme ’Journal de Montréal’, qui est un stéréotype de sensationnalisme et de désinformation des actualités mondiales, agrémenté d’un bon tiers de ses pages en ’réclame’, propriété de Québécor, une entreprise privée qui possède aussi plusieurs chaînes de télévision (Voir ci-après) basées sur le même principe que leur journal phare.
Quand vous visionnez un film sur TQS ou TVA, il faut s’attendre à le voir coupé une bonne quinzaine de fois par des messages publicitaires, dont 5 fois lors des 10 dernières minutes vu que c’est à ce moment que les téléspectateurs sont les plus attentifs. Même les chaînes publiques comme Radio-Canada ou RDI fonctionnent de la même façon, pour montrer à quel point cette société est pervertie par le règne du néo-libéralisme.
Cependant, deux médias me semblent sortir du lot : un quotidien, ’le devoir’, très complet et critique à souhait, ainsi qu’une chaîne de télévision, télé-Québec, qui coupe quant à elle ses films « seulement » trois fois et qui affiche une grille de programme que l’on pourrait comparer à celle de Arte en France, c’est à dire plus culturelle et moins sensationnelle. Malheureusement, comme sa grande soeur européenne, peu de gens ont l’idée de se brancher sur ce canal.
Question programmes, les Québécois ne sont pas épargnés par la télé-réalité, ils nous achètent d’ailleurs régulièrement tout nos fleurons français de ce concept ridicule. J’entends régulièrement la jeunesse parler de ’Star Académie’,’ Ile de la tentation’ et autre ’Popstars’, très dangereux à mon goût car ils donnent une fausse idée de la réussite... Radio-Canada a aussi racheté le concept de « Tout le monde en parle », présenté par Guy A. Lepage, le créateur et acteur au Québec de la série « Un gars, une fille », alors que TQS a jeté son dévolu sur « C’est mon choix ». Je ne m’étonne pas qu’ensuite ils considèrent la culture hexagonale peu attirante...
Ce voyage reste en tout cas toujours aussi passionnant de mon côté, et j’espère pouvoir vous en faire profiter grâce à la Mée, que je remercie par ailleurs de permettre à toutes et à tous tel que moi de s’exprimer au travers d’un réel hebdomadaire et de s’adonner au plaisir qu’est le journalisme.
Pour le prochain article, vous aurez le droit en exclusivité à mes premiers pas sur le sol des États-Unis, et aux différentes expériences qu’un tel périple peu comporter.
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