Écrit le 07 octobre 2015
« Je n’attends plus que le goudron et les plumes. Ou la bouse et et les cornes, faudra voir » dit Fabrice Nicolino qui a publié, en septembre 2015, un livre qui ne plaira guère à l’agriculture industrielle. Oh que non ! Son titre : « Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture », aux éditions Les Échappés.
Ce livre devait sortir en janvier 2015. Et puis a eu lieu la tuerie à Charlie-Hebdo. Fabrice Nicolino lui-même a reçu trois balles, et prend encore de la morphine. Mais le 3 septembre 2015 avait lieu, à Paris, une manifestation agricole : « 1000 à 1500 tracteurs ont bloqué le périphérique parisien pour obtenir des aides encore plus massives que celles qui sont déjà accordées aux éleveurs. Il va sans dire que je comprends le désespoir des paysans acculés, endettés, souvent conspués. Je les comprends, mais pardi, je ne partage aucun de leurs points de vue. Je vais donc, une fois de plus, me faire mal voir. Très » dit-il.
Son livre n’est pas un hymne à un monde révolu mais une charge charge virulente contre la Fnsea (fédération Nationale des Syndicats Agricoles), contre les scientifiques de l’Inra (Institut national de recherche agronomique), les ingénieurs du génie rural, des eaux et des forêts (Igref), tous guidés par une fois aveugle dans le progrès technique. En s’adressant à Raymond, paysan imaginaire né en 1920, l’auteur livre une analyse percutante.
« J’ai bien compris, dit-il, que les campagnes pouvaient, devaient être changées. Aucune structure ne doit rester trop longtemps dans la poussière du temps. J’en suis bien d’accord. Mais fallait-il vraiment ravager ? ». Le remembrement avait pu exister et remodeler au passage quelques centaines de milliers d’hectares, « mais ce qui commence dans les années 50 est une révolution des paysages et un incroyable hold-up sur les terres () L’histoire de ce colossal désastre technocratique reste à écrire, et ne le sera peut-être jamais ».
« Bien sûr ! bien sûr, dit-il encore, le remembrement a, au passage, amélioré quantité de situations injustes, parfois infernales. Ce n’est pas le principe du mouvement qui est en cause, mais ses objectifs et son déroulement » et il raconte l’histoire de Georges Lebreuilly, un petit paysan de la commune de Geffosses (Manche) qui s’est battu avec succès en 1983 pour sauver 80 km de haies menacées par un remembrement. Trente ans après on constate les ravages de la disparition des fossés, petites digues en terre, mares et haies qui coupaient le vent et retenaient les eaux. Et on subventionne les re-plantations.
Certes, « la productivité a été dopée de façon stupéfiante », mais s’est accompagnée d’un usage massif de pesticides et de manipulations génétiques, notamment dans le domaine de l’élevage et l’on en constate aussi les ravages.
« Ce livre est un appel au sursaut. On ne vient pas à bout d’un système aussi enraciné en soufflant dessus », même si le vent a commencé à tourner. « Les Français ont envie de manger des produits de qualité, pas farcis de pesticides, d’antibiotiques ou d’hormones » et demandent « une agriculture qui respecte enfin les sols, les eaux, la santé des humains et des organismes vivants ».
Et Raymond ? Il se méfiait des pesticides, trouvant que c’était une manière d’empoisonner la terre et le monde. Il passait pour un arriéré ne voyant pas plus loin que le bout de son nez. Mais la suite lui a donné raison.