Ecrit le 1er mars 2017
Par ici la monnaie !
Un jour la municipalité de Châteaubriant a décidé de soutenir le commerce local. Elle a donné 500 € à un menuisier qui devait lui fabriquer un chariot mobile pour ses expositions. Le menuisier s’est rappelé qu’il avait déjà acheté du bois dans un magasin de la ville, il s’est donc empressé de payer sa dette. Le magasin, lui, arrivant en fin de mois, a offert une prime de 250 € à chacun de ses deux salariés. Le premier s’est rendu dans un magasin de prêt-Ã -porter et a acheté une veste. Le second, qui mariait son fils, a versé un acompte sur la salle de restaurant. Le magasin de prêt à porter, qui avait une dette vis-Ã -vis du menuisier, s’est empressé de rembourser 250 €. Quant au restaurant, il a pu enfin commander au menuisier la fabrication d’une table de desserte pour 250 €uros.
Mais finalement la municipalité a renoncé à son chariot et le menuisier a rendu les 500 € qui lui avaient été versés. Dans cette histoire, les 500 € ont fait tourner l’économie locale. Histoire un peu simpliste sans doute mais montrant comment l’argent local peut aider au développement local.
En réalité ça ne fonctionne pas comme ça parce qu’il y a les banques, et les aggios, et les pénalités Il y a pourtant des petits malins qui ont créé des monnaies locales, qui tiendront congrès les 14-15-16 avril 2017 à Gonfreville.
Monnaies locales
Il y a une quarantaine de monnaies locales en France dont Héol à Brest, SoNantes à Nantes, ce sont des monnaies citoyennes, complémentaires de l’Euro. Cette création a été rendue légale grâce à l’article 16 de la loi Économie Sociale et Solidaire (ESS), votée en juillet 2014. La loi reconnaît donc les monnaies locales complémentaires comme titres de paiement dès lors que ceux-ci sont à l’initiative de structures relevant des acteurs de l’ESS (1).
HEOL par exemple, existe depuis 2012. Elle est acceptée par un réseau d’une centaine de structures regroupant producteurs, commerçants, artisans et prestataires de services qui respectent une charte avec des principes environnementaux, sociaux et économiques. Elles contribuent ainsi au bien-vivre ensemble sur les 89 communes du Pays de Brest.
Heol, c’est une démarche citoyenne pour devenir des consom’acteurs, cultiver la convivialité et l’éthique dans les achats. c’est partager ses bons plans, participer au développement économique de son territoire, connaître de nouveaux commerces près de chez soi et consommer des produits de qualité... c’est une monnaie papier en billets de 1, 2, 5, 10 et 20 Heol, adossée à l’euro : 1€uro = 1Heol. Elle est gérée par une association.
A Nantes, il existe SoNantes, une monnaie numérique. Les échanges en SoN se font par carte ou par Internet (donc pas de billets). Elle est gérée par SoNao, filiale du Crédit municipal de Nantes, établissement public à but non lucratif.
Des initiatives associatives
Dans la très grande majorité des cas, et contrairement à l’exemple de SoNantes, ce sont des associations qui lancent l’idée. « L’objectif est avant tout d’ordre symbolique. Les personnes veulent faire évoluer notre façon de consommer et de changer notre système d’achat », précise Jérôme Blanc, économiste. Mais qui dit associatif ne dit pas forcément absence de régulation. « Pour créer une monnaie, il faut qu’il y ait un contrôle. C’est l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), liée à la Banque de France qui s’en charge », explique Jérôme Blanc.
Pour créer un moyen de paiement complémentaire et le mettre en circulation, il faut entre quinze et vingt mois, selon l’économiste. « La démarche la plus compliquée est de constituer un noyau dur de personnes d’accord pour utiliser une nouvelle monnaie. Il faut ensuite récolter des fonds pour avoir une réserve et ensuite imprimer, dans la grande majorité des cas, la monnaie sous forme papier », raconte Jérôme Blanc.
En France, la principale difficulté n’est pas de créer une monnaie mais de la développer. « Il est compliqué de convaincre un nombre important de prestataires », indique Jérôme Blanc. En moyenne, les monnaies locales complémentaires réunissent 414 utilisateurs et 86 prestataires. Ces projets ont donc une portée relative.
Face à la désertification des petits commerces, à la délocalisation, au chômage, ou encore à la perte de liens sociaux, la monnaie peut-être un moyen de se réapproprier l’économie et de la rendre plus humaine. En effet, la monnaie locale permet de construire et de préserver l’intégrité d’un territoire et de s’ouvrir aux autres en échangeant ses richesses sans se mettre en danger. Le but n’est pas de concurrencer la monnaie nationale mais de créer une monnaie complémentaire qui puisse pallier les déficiences du système monétaire actuel devenu incontrôlable, en ces temps de crises économiques.
Ainsi, une fois la monnaie mise en place, les particuliers peuvent acheter des bons d’achat en monnaie locale (1€ = 1 unité de monnaie locale). Ces bons sont acceptés par les professionnels adhérents. Les euros convertis en monnaie locale constituent un fonds de garantie placé dans une banque éthique pour soutenir des projets s’inscrivant dans l’esprit de la charte. Ainsi, l’économie locale est dynamisée, les liens sociaux retissés et l’évolution de conscience favorisée.
Une monnaie fondante
Une monnaie locale n’est pas faite pour être thésaurisée, elle doit circuler, ravivant les échanges locaux, donnant alors un coup de fouet à l’économie locale. Soutenir l’emploi local et éviter les délocalisations est un bénéfice indirect attendu en lien avec la mise en place d’une monnaie complémentaire. « On estime qu’un euro est échangé 2,4 fois en moyenne entre deux passages par la banque. Pour une monnaie solidaire, c’est plutôt 6 fois ! » explique Philippe Charbois, responsable administratif du Crédit Coopératif Toulouse. c’est pourquoi nombre de monnaies locales sont « fondantes ». Après les avoir retirées, les consommateurs doivent les utiliser dans les mois suivants, sous peine de voir leurs billets perdre de la valeur.
Le concept de monnaie fondante vient d’un économiste du début du XXe siècle, Silvio Gesell, et a été appliqué pour la première fois à la monnaie locale de Wörgl (en Autriche) pendant la Grande dépression des années 1930. Cela concerne aussi le MIEL (monnaie d’intérêt économique locale), en Gironde, lancé en janvier 2013. « l’argent perd deux centimes tous les six mois, explique Philippe Labansat, bénévole de l’association chargée du MIEL. L’objectif, grâce à ce système de fonte, est de faciliter la circulation de la monnaie, de créer de l’activité et de ne pas mettre l’argent dans un tiroir. »
Encore faut-il que les acteurs locaux jouent le jeu. « Bientôt les Nantais pourront payer les musées, les activités culturelles, les spectacles en SoNantes. Viendront ensuite les parkings, puis les transports en commun » dit le Directeur du Crédit Municipal de Nantes. Ce serait bien si les municipalités acceptaient de payer le personnel communal en partie en monnaie locale...
source