Olivier BOURNIGAULT : L’homme qui parle avec les mains
Un grand événement s’est produit en janvier 1995 à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris : la première consultation hospitalière en « langage des signes ». Quatre personnes spécialement formées savent « signer » ce qui permet d’éviter des incompréhensions voire des erreurs médicales dramatiques
A Châteaubriant, le jeune Olivier BOURNIGAULT, qui est emploi-jeune au Collège Robert Schumann, travaille depuis plus de deux ans à l’apprentissage de cette « langue des signes ».
Signer
A Châteaubriant, le jeune Olivier BOURNIGAULT travaille depuis plus de deux ans à l’apprentissage de cette « langue des signes ». Par pure curiosité intellectuelle : un soir en effet, tandis qu’il était au service militaire à Orléans, et qu’il déjeunait seul dans un restaurant, il vit un groupe de sourds qui « parlaient » avec leurs mains. Le phénomène l’intrigua et, de retour au pays, il s’enquit d’une possibilité d’apprendre à son tour !
Tous les mercredi soirs, il se rend donc à Nantes au CSCS (centre socio-culturel pour sourds), pour deux heures de cours de 18h30 à 20h30. Il a ainsi plus de 60 heures de cours à son actif. En fait la formation dure 4 ans, minimum. « La première année, j’ai appris beaucoup de vocabulaire, en travaillant l’expression gestuelle : mains, corps, visage. Cette année, je travaille la phrase. Il faut apprendre à respecter une certaine syntaxe pour faire des phrases simples. Par exemple : » ici - à 20 heures - moi - manger " explique-t-il. Comme disait Sacha Guitry : c’est très reposant d’être sourd, on ne vous dit que l’essentiel
L’Å“il doit servir d’oreille
Le langage des signes, c’est vraiment tout un art, « car c’est une langue qui se vit ». Comme dit un proverbe italien : « pour les sourds, l’Å“il doit servir d’oreille »
Tout est à prendre en compte :
- . la configuration des mains (bec ? pince ou plié ?)
- . l’emplacement de la main
- . l’orientation
- . le mouvement (de haut en bas, de droite à gauche, en avant-en arrière, ou en tournant)
- . l’expression du visage compte aussi, c’est pourquoi les spectateurs des questions à l’assemblée nationale, le mardi et le mercredi, peuvent se demander pourquoi l’interprète « fait des grimaces » !
Les mains
En fait il y a 46 configurations possibles pour les mains et le « signeur » doit savoir reconnaître rapidement s’il s’agit d’un bec, d’une pince ou d’un plié.
Le bec peut se faire avec l’index et le pouce (bec d’oiseau), ou l’index, le majeur et le pouce (bec d’oie), ou tous les doigts (bec de canard). Il faut ensuite savoir si ce bec est ouvert, fermé, ou « en rond », et quel est le mouvement de la main : un bec de canard fermé désigne un enfant, un bec de canard ouvert c’est une assiette et un bec de canard rond c’est de l’or
Et puis il y a les pinces : la pince ouverte veut dire profiter. La pince fermée veut dire trouver et la pince ronde dit oui .
Et ensuite il y a les « pliés ». Chaque doigt de la main peut avoir les phalanges pliées et donc former des configurations différentes. Les plus courantes sont la griffe (5 doigts pliés), ou 3 doigts pliés, ou 2 doigts seulement en forme de L. Trois doigts pliés, avec un pivotement, ça veut dire télévision !
D’autres configurations sont possibles
L’orientation
L’orientation de la paume de la main par rapport au signeur a toute son importance : paume en haut ? paume en bas ? Paume à l’extérieur ou à l’intérieur ? Profil gauche ou profil droit ?
L’emplacement
Le geste de la main ne suffit pas à donner toutes les indications, il faut encore savoir où se fait le geste :
- - S’il ne touche pas le signeur : le geste peut se faire devant la poitrine du signeur, ou devant sa figure, ou sur le côté de la tête
- - S’il touche le signeur : une trentaine de points précis ont été définis. Les plus usités sont le cou, le nez et le front.
De plus les gestes ne sont pas statiques, tous les « signeurs » savent qu’il faut bouger les bras ! Le visage lui-même doit participer à l’expression : chacun de nous sait bien qu’un visage en colère n’exprime pas des mots d’amour ! « Il nous faut apprendre à manier la langue, la bouche, les dents, les sourcils, pour faire comprendre qu’on est heureux ou pas content » explique Olivier.
Un langage qui se vit
Configuration, orientation, emplacement, mouvement, visage, sont les principaux paramètres, mais il y en a d’autres qui indiquent des subtilités, des nuances : la vitesse du mouvement, la pression des doigts, l’inclinaison ou le balancement du corps, l’amplitude du geste, etc. « C’est un véritable travail à la fois intellectuel et physique pour retenir tous les gestes tels qu’ils ont été codifiés » dit Olivier que cet apprentissage passionne véritablement, au point qu’il n’hésite pas à se rendre aux rencontres pour sourds qui ont lieu un mercredi par mois au Café Flessel à Nantes. « c’est là que la communauté sourde se retrouve. Je suis allé plusieurs fois discuter avec eux, voir si je peux comprendre et me faire comprendre ».
Et ça marche, parce qu’Olivier fait de nombreuses répétitions entre les différentes séances de formation
« J’aime bien aller retrouver les sourds, ce sont des gens très calmes, peut-être parce qu’ils ne sont pas stressés par tous les bruits de la vie moderne »
Quand on vous dira, de plus, qu’Olivier tient des postes de secours à la Croix-Rouge, qu’il a passé différents examens de qualification dans ce domaine, et qu’il assure l’encadrement des jeunes, vous pourrez vous dire qu’il ne reste pas à se croiser les pouces et que, si ses mains font le bec ou la pince, c’est qu’il a un message à vous faire passer, un besoin de vous convaincre.
Un peu d’histoire
Au 12e siècle, le pape autorise le mariage des sourds : il suffit qu’ils disent « oui » par signe
AU 16e siècle un moine, Pedro Ponce, s’intéresse à quelques sourds de familles nobles et réussit à les faire parler. On sait en effet qu’un enfant ne parvient à parler qu’en écoutant les adultes autour de lui, et en s’exerçant à répéter les sons. D’où la série des ARRR..E, BA BA, PA PA que prononcent les enfants. Cet apprentissage est si lié à leur milieu d’origine qu’on sait que les petits Anglais parviennent très bien à prononcer le fameux « th » qui désespère les Français, mais ne parviennent pas à prononcer le son « u » (ils disent « ou »).. Les sourds, parce qu’ils n’entendent pas, sont donc automatiquement muets s’ils ne bénéficient pas d’une éducation spéciale.
De nombreux pays se sont attaqués aux alphabets : il est paru un alphabet manuel en Espagne au début du XVIIe siècle, alphabet adopté et modifié par les Français au XVIIIe siècle.
Au début du XVIIIe siècle, un certain Etienne de Fay, surnommé « le vieux sourd-muet d’Amiens » crée une première école pour sourds, où il enseigne par signes. Il est lui-même très savant, connaissant les mathématiques, l’architecture, la sculpture. Mais à sa mort, à 80 ans environ, nul ne reprend son école.
Vers 1750, à Paris, l’Abbé de l’Epée, rencontrant deux soeurs jumelles sourdes-muettes, s’occupe de les instruire. Il crée une école à son tour, où il enseigne par signes. Il a jusqu’Ã 70 élèves ! L’enseignement qu’il délivre est gratuit. Sa méthode n’est pas propriété privée : des professeurs formés par l’Abbé de l’Epée ouvrent des écoles dans l’Europe entière, par exemple à Copenhague, Amsterdam, Mayence, Vienne, Zurich, Rome, Madrid, etc. Lors de la Révolution Française le gouvernement de la République vote des lois, prenant en charge l’école de l’Abbé de l’Epée et plaçant le nom de celui-ci parmi les citoyens « qui ont bien mérité de la patrie et de l’humanité »
Pendant toute la première moitié du XIXe siècle, il y eut des sourds écrivains, poètes ou artistes. Des recherches se sont développées sur la langue des signes, et en même temps sur une méthode orale d’apprentissage du langage. En 1880 un congrès international de professeurs de l’enseignement des signes décide ... de ne plus utiliser les signes dans l’enseignement et d’adopter une méthode orale pure. A noter que tous les délégués étaient entendants : il y avait un seul sourd.
En France, toutes les écoles adoptent la méthode orale et les professeurs sourds sont exclus (sauf quelques exceptions). L’oralisme est encore la règle générale en France tandis que l’Amérique utilise une méthode mixte : en partie orale, en partie langue des signes.
De 1880 à nos jours, les sourds ont été très actifs, militant pour faire reconnaître leurs droits. Mais il faut reconnaître que la France est en retard dans ce domaine.
médecine
L’absence d’un langage adapté aux sourds est très dommageable en matière de santé. « Les médecins pensent souvent que les sourds se débrouillent et qu’ils lisent sur les lèvres » dit Jean Dagron, médecin à La Pitié-Salpêtrière.
« En fait 99 % des sourds disent qu’ils ont compris même si c’est faux. A cause des problèmes de communication, des erreurs médicales dramatiques ont pu et peuvent encore survenir » dit-il. Il a fallu que les « signeurs » inventent une traduction pour les mots « virus », « sida », « séropositif », mais aussi pour bactérie, migraine, diabète, hypertension.
L’existence de praticiens sourds est donc un moyen pour aider les malentendants.
Sources :
- - Olivier Bournigault - à Châteaubriant
- - Centre Socio-culturel des Sourds : 6 rue Conan mériadec à Nantes - tél 02 40 35 14 12
Ecole spécialisée : Institut des jeunes sourds, La Persagotière, 30 rue du Frère Louis - 44262 Nantes cedex 2 — tél 02 40 75 63 15
Ecrit le 24 décembre 2003
Sourds : Fais-moi signe
« Fais-moi signe » est une association pour la médiation auprès des personnes sourdes et malentendantes adultes de Loire-Atlantique. Pour aider à résoudre les difficultés dans le travail ou dans la vie de tous les jours, pour écouter ceux qui n’ont personne à qui se confier, l’association propose des médiateurs bénévoles et un point d’accueil à Châteaubriant .
De plus, depuis le 4 décembre 2003, l’association a signé une convention de partenariat avec le centre Hospitalier de Châteaubriant et toutes ses structures, l’autorisant à visiter bénévolement les personnes sourdes ou malentendantes qui viendraient à être hospitalisées. « Nous sommes là pour apporter un peu de chaleur et du soleil aux malades sourds » a dit le délégué Pierre le Floch, au nom du président Jean-Marie Gâteau
Contact :
association « Fais moi signe »,
10 rue de la Fonderie
44200 Nantes, tél 02 51 83 05 05
Ecrit le 14 décembre 2016
Privés de langue
Le savez-vous : aujourd’hui, en France 80 % de Sourds seraient illettrés et 30 % au chômage, ceux qui travaillent ayant généralement des emplois peu stables et mal rémunérés. Le problème commence dès la prime enfance. En 1880, sous Jules Ferry, la langue des signes a été interdite dans les écoles pour personnes sourdes. Et on recommandait aux parents de s’interdire toute gestualité dans la communication avec leur enfant. Ce n’est qu’en 1980 que la langue des signes est revenue en douce. Dans six villes de France, des éducateurs sourds et des parents d’enfants sourds, militants chevronnés, ont monté des classes bilingues autogérées. Toutes les matières y sont enseignées en langue des signes française (LSF) et le français écrit y est appris comme une langue étrangère. Mais il reste encore beaucoup à faire .