Ecrit le 11 janvier 2012
Prostitution, une réalité sans tabous
Un projet de résolution a été déposé à l’assemblée Nationale visant à abolir la prostitution par le biais de la pénalisation des clients. Cette résolution a été adoptée le 6 décembre 2011 et doit être suivie d’une proposition de loi. Beaucoup de questions restent en suspens : en voici quelques-unes accompagnées de réflexions et constatations !
- 1- Le corps des femmes, à qui appartient-il ?
- 2 - La femme est-elle majeure ou non, donc capable et responsable ?
- 3 - Pourquoi cette nécessité de toujours légiférer comme si la femme n’était qu’une victime qu’il faut protéger comme des enfants ?
- 4 - Pourquoi le sexe de la femme serait-il plus sacré que le corps de ces jeunes hommes que l’on envoie à la guerre avec le risque de se faire tuer ?
- 5 - Faire l’amour tarifé serait-il condamnable, et pas celui de faire la guerre en enrichissant les fabricants d’armes ?
Et puis posons-nous la question : POURQUOI CES JEUNES FEMMES SE RETROUVENT-ELLES SUR LES TROTTOIRS ? par n’importe quel temps, la nuit, à attendre un client en proposant un acte sexuel tarifé ? et pourquoi aujourd’hui ces jeunes femmes sont-elles à 80 à 90 % de nationalité étrangère ?
bénévole dans une association qui travaille auprès des personnes se prostituant à Nantes, je fais ces constats :
« c’est la nécessité de gagner de l’argent pour vivre ou soutenir leur famille qui motive le fait de se prostituer !!! » Et ces femmes ont une situation administrative complexe qui ne leur permet pas d’exercer un autre travail. Le fait de monnayer ce consentement sexuel leur permet de désacraliser l’acte.
Elles demandent qu’on leur laisse plus de liberté et ne veulent plus être, tantôt victimes/irresponsables, ou tantôt délinquantes/condamnables. Elles voudraient aussi que cesse l’infraction de proxénétisme hôtelier afin de pouvoir exercer en hôtel en toute sécurité et confort hygiénique. Elles veulent être libres. La pénalisation du racolage passif et le projet de pénalisation des clients ne font que criminaliser soit les prostituées soit leurs clients mais ne luttent en rien contre les réseaux et le proxénétisme de contrainte ! Au contraire en forçant les prostituées et leurs clients à se cacher, le risque d’accentuer leur dépendance auprès de souteneurs ou passeurs est augmenté !
Pourquoi le marchandisage du corps ne concernerait-il que le sexe ? Les personnes se prostituant ne vendent pas leur corps !! Elles utilisent leur corps pour gagner leur vie ! Les acteurs, les sportifs que font-ils d’autre avec leurs protecteurs sponsors ? A la différence, ce ne sont pas quelques dizaines d’euros qu’ils gagnent à chaque prestation mais des centaines de milliers voire des millions !!
Il est difficile d’admettre qu’une femme, fasse le choix, (même par défaut) mais choix quand même, de vivre de relations sexuelles payées. Pourquoi la femme peut-elle être à la fois l’honneur et le déshonneur de l’homme selon le bon vouloir de celui-ci ? Pourquoi la domination va-t-elle toujours dans le même sens, femme dominée, homme dominant. Les défenseurs de dignité et de morale se soucieraient-ils du mode d’existence des femmes se prostituant si celles-ci étaient reconnues en parfaite égalité avec les hommes ?
De la violence dans nos sociétés il y en a beaucoup qui tue : violences conjugales, violence de la route, violence au travail, les guerres, le sport etc. le travail du sexe n’y échappe pas mais il n’en est pas l’unique cause. La dignité ne se limite pas uniquement à nos comportements face au sexe, mais aussi à nos comportements d’indifférence ou d’acceptation des misères et des injustices. La pratique prostitutionnelle n’est que la conséquence de conditions de vie insupportables dont le seul espoir de sortie est de monnayer le seul bien qui reste : son sexe. Choisir le déshonneur pour aider et sortir ses proches condamnés à la misère, ne pourrait-il pas se nommer : courage ? honneur ? ou revanche ? « mon corps, je le monnaye car je ne veux plus le soumettre ».
Pour certaines, se prostituer est le passage obligé vers leur libre détermination, libérée des conditions de soumission intolérables d’une famille ou d’un mari imposé. Nombre de ces jeunes femmes rencontrées, bien qu’ayant versé le dernier sou de leur dette, choisissent, oui choisissent de rester sur nos trottoirs à Nantes. Ces femmes parfaitement européanisées préfèrent l’Europe à leur pays d’origine où, elles le savent, leurs conditions de vie seraient pires que celles connues ici. Faire un autre métier, oui, elles le voudraient ! mais lequel ? sans papiers, sans formation et pour quel salaire ? quelques centaines d’euros pour se loger, se nourrir, se soigner, et surtout soutenir financièrement la famille restée au pays ! Prostituée peut simplement être un choix, par défaut oui, mais un choix.
Cela dérange notre morale, mais c’est une réalité que je côtoie, non relayée dans les médias en recherche de sensationnel, de sujets racoleurs et misérabilistes pour faire de l’audience et vendre du papier ! Notre société s’accommode pourtant très bien de ces modes de vie, en toute hypocrisie, car ils sont des exutoires à nos peurs, ils sont l’identification facile de notre besoin de trouver et canaliser le mal pour nous prouver que nous, nous sommes le bien. La société occidentale s’est construite autour de la religion judéo-chrétienne et la prostitution y représente alors la luxure et le mal incarné.
J’ai choisi de ne pas victimiser ces personnes car elles doivent être encouragées à se faire respecter, se défendre et se protéger contre toutes les violences, physiques, morales ou sanitaires, les violences de ceux qui veulent s’approprier leurs gains, celles des badauds les insultant ou leur crachant au visage, les violences de ceux qui se réclament de l’ordre public et ne respectent pas les lois ; être encouragées à se défendre contre toute forme de discrimination, le tutoiement, l’abêtissement, l’infantilisation, de l’homme de la rue et des forces de police, être encouragées à porter plainte contre toute violence, vol, brutalité, viol, comme la loi le permet pour toute autre personne. Etre victime c’est être irresponsable et rendre une personne victime, c’est quelque part se l’approprier, l’affaiblir et la mettre en situation de dominée. Se sentir responsable c’est être conscient de son état et de ses actes et ainsi, pouvoir travailler à son amélioration.
Pour elles un client c’est Monsieur « tout-le-monde ». Ceux qui seront ennuyés, ce seront les plus précaires ! c’est-Ã -dire ceux de la rue et non ceux qui paient restau et hôtel. Elles voudraient pouvoir déclarer officiellement leur activité et payer des impôts, seules garanties efficaces pour leur liberté d’exercer sans contraintes.
La prostitution nous renvoie à la place de la femme dans la société ! Il est clair que leur capacité à être l’égale de l’homme passe par l’épanouissement complet de leur pouvoir personnel, social, politique, économique et sexuel ! Les inégalités entre les hommes et les femmes engendrent la domination, limitant les possibilités d’indépendance de l’être dominé.
Dans le rapport public de la mission d’information parlementaire sur l’état de la prostitution en France, il est écrit « un renversement historique s’est produit en l’espace de 20 ans. Alors que seulement 20 % des femmes se prostituant dans l’espace public étaient de nationalité étrangère en 1990, elles en représentent aujourd’hui près de 90 % » Pour les femmes françaises cela prouve bien que leur insertion professionnelle croissante, leur combat pour l’égalité, la protection sociale en faveur de la maternité et des enfants, leur accès au droit en matière de divorce, autorité parentale conjointe, gestion de leur salaire, la contraception, l’avortement, toutes ces conquêtes ont permis un recul vrai de la prostitution. Les responsables européens et français doivent dénoncer avec force et vigueur les dérives, corruptions, malversations financières qui condamnent les populations, et les femmes en sont souvent les premières victimes, à la misère.
Education à l’égalité : Construire une conscience libre : Accès à l’autonomie des femmes et ne pas voir la prostitution uniquement sous l’angle de la violence et de l’esclavage. Etre prostituée n’est pas une identité non plus ! Elles sont femmes pleinement !
Nous devons lutter contre toute forme d’esclavage, c’est-Ã -dire contre tout travail contraint, contre tout travail abîmant nos corps et maintenant toute personne dans la précarité et la misère.
Cessons de rechercher des cibles, des boucs émissaires, comme exutoires à nos peurs et tabous. Travaillons à un monde meilleur pour tous et non pour une minorité. La répression quelle qu’elle soit n’a jamais éliminé un « problème » elle ne fait que l’enfouir, en le rendant invisible mais ne l’empêche pas de rejaillir avec plus de violence.
Michèle HC
D’autres points de vue
L’Assemblée Nationale, le 6 décembre 2011, dans une déclaration solennelle « juge primordial que les politiques publiques offrent des alternatives crédibles à la prostitution et garantissent les droits fondamentaux des personnes prostituées » . Oui c’est bien, répond le mouvement « Donnons un cadre à la prostitution », mais tant de gens attendent des alternatives crédibles à leur situation, et qu’on leur garantisse des droits fondamentaux : chômeurs, sans logements, habitants de cités où règne le non droit. c’est une simple incantation, cela ne règle rien.
L’Assemblée Nationale « souhaite que la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme constitue une véritable priorité, les personnes prostituées étant dans leur grande majorité victimes d’exploitation sexuelle » ... mais dès qu’il y a un problème, on dit qu’on va en faire une priorité. Puis on passe très vite à la priorité suivante
Le mouvement « Donnons un cadre à la prostitution » réclame l’autorisation d’ouverture de « maisons » : cela permettrait de garantir une sécurité aux filles (ou aux garçons), avec des lieux bien définis, avec paiement à l’entrée, chambres propres et personnelles, gardes de sécurité pour intervention en cas de violence ou problème, équipe médicale permettant information, prévention et aide d’urgence, voire accompagnement psychologique. Les « passes » seraient soumises à horaires légaux, salaire, couverture sociale et congés payés. Mais la France est-elle prête à cela, à l’heure où le politiquement correct et l’hypocrisie des discours étouffent toute possibilité de débat ?
(Ã lire aussi tout un dossier paru dans Le Monde du 6 janvier 2012)