Ecrit le 26 septembre 2012
La Documentation Française vient de publier un rapport très intéressant sur le « Reste à vivre ». Le groupe de travail qui l’a élaboré a travaillé sur les « Recommandations pour la définition d’un reste à vivre et d’un revenu minimum décent » mais, tenant compte de la crise économique actuelle, il a pris en compte le fait que le « reste à vivre » pouvait être aussi regardé comme le symptôme révélant un problème social plus étendu.
Joindre les deux bouts
Face à l’intensification du phénomène de précarisation et malgré les différentes aides versées par l’État, les collectivités territoriales et les associations, force est de constater que, dans le contexte actuel de crise économique, financière et sociale, les personnes en situation de précarité ne parviennent plus à satisfaire convenablement leurs besoins primaires d’existence de manière autonome, et ce, en dépit des prestations sociales et des minima sociaux ; ce qui était déjà le cas des personnes en grande pauvreté. De plus, le caractère profond de cette crise risque, d’une part, de peser durablement sur le coût de la vie des ménage, et d’autre part, de limiter les aides publiques.
L’Union nationale des associations familiales (Unaf) calcule chaque mois des « budgets types » dont l’objet est d’évaluer le montant des dépenses de subsistance pour des catégories de familles de référence. Ces budgets ne décrivent pas ce que dépensent effectivement les familles mais déterminent le niveau des dépenses estimées nécessaires, pour qu’une famille, d’une composition déterminée, vive sans privations.
Selon l’Unaf, pour vivre décemment en France suivant les normes, il faudrait par exemple qu’un adulte seul avec deux enfants âgés de 6 à 14 ans gagne près de 2 300 € nets mensuels (avant impôts). La conclusion de l’Unaf est sans appel : les dépenses des ménages augmentent constamment tandis que les prestations familiales ne compensent plus cette hausse. Les ménages modestes en particulier ne peuvent pas vivre convenablement, en suivant les normes de notre société.
Certains dysfonctionnements administratifs et bancaires rendent cette gestion du budget encore plus difficile et peuvent aggraver indirectement la situation des ménages. Un accompagnement adapté devrait pourvoir être proposé par les collectivités et les associations à tous ceux qui en expriment le besoin.
Quant aux ménages les plus pauvres, leur budget est structurellement déséquilibré, ce qui ne leur permet même pas d’envisager l’épargne. Il est dans ces conditions impossible de respecter l’ensemble des normes que nous adressent régulièrement les pouvoirs publics (du type « Manger 5 fruits et légumes par jour »).
Alors les difficultés s’enchaînent : problèmes de santé, exclusion, augmentation du chômage, surendettement, difficultés d’insertion, expulsions locatives, mal logement, etc.
A la rue !
A titre d’exemple, les 12 milliards d’euros d’aides fiscales annuelles distribuées dans le logement seraient sans doute mieux utilisées à aider les personnes mal logées qui en ont besoin ou à éviter les expulsions locatives, dont les impacts financiers mais aussi psychologiques sont considérables. Il n’est ni normal ni moral que ce qui profite à 0,1 % de la population aboutisse à « mettre à la rue » l’équivalent de 3 à 4 millions de personnes ! Il faut redonner aux politiques du logement leur fonction de redistribution et de « solvabilisation » des ménages les plus concernés.
Ces difficultés à vivre sont contraires à la Constitution Française qui dit : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
Le groupe de travail s’appuie alors sur trois principes :
- - Premier principe : le droit à l’emploi
- - Deuxième principe : le pouvoir d’agir sur sa propre vie
- - Troisième principe : la croyance en une société de confiance
Secours immédiat
Parmi les propositions, le groupe de travail suggère la création d’un droit d’accès personnel à un fonds de secours immédiat pour prévenir la spirale du surendettement
Ce dispositif permettrait aux personnes qui connaissent un « accident de la vie » d’être secourues immédiatement sous forme d’aide ou de prêt à taux zéro, sans des délais excessifs pour l’instruction des dossiers. Il représenterait ainsi une alternative aux crédits revolving, contractés trop souvent dans l’urgence, et qui conduisent dans bien des cas au surendettement.
Ce fonds devrait pouvoir être financé par les budgets départementaux et locaux qui alimentent les aides locales facultatives et serait distribué aussi via les Caf, MSA , CCAS , etc. Sa mise en place devra toutefois tenir compte des contraintes qui pèsent sur les finances des collectivités locales et associer celles qui sont concernées à la définition des circuits de financement envisageables. Dans cette logique, l’État devra apporter une large contribution à ce fonds, compte tenu de l’augmentation des sollicitations qui pèsent sur les collectivités locales.
On pourrait par exemple expérimenter l’attribution d’allocations immédiates, afin de faire face aux besoins urgents, avec des mécanismes de contrôle a posteriori, tout en donnant crédit aux demandeurs éventuels : autrement dit, en leur faisant confiance par défaut.
Il faudrait aussi pouvoir répondre avec des chiffres réels aux détracteurs des prestations sociales. Non seulement le gain que représentent les politiques de prévention et les actions de sensibilisation est considérable, mais il est à mettre aussi en regard avec la très faible proportion de fraude réalisée par les allocataires de prestations sociales. L’économie réalisée par le non-recours aux droits est de la même façon bien supérieure au coût de la fraude des allocataires.
Réévaluer les minimas sociaux
Le groupe de travail plaide aussi pour une augmentation de 25 % du RSA socle, le plus rapidement possible et au plus tard sous cinq ans (comme cela fut le cas pour l’allocation aux adultes handicapés et le minimum vieillesse). Il estime qu’on ne fait pas assez pour l’insertion sociale et professionnelle des publics éloignés de l’emploi, alors qu’ils sont aujourd’hui en plus grande difficulté qu’ils ne l’étaient auparavant.
Il est par ailleurs urgent de réévaluer tous les minima sociaux et en les indexant sur la croissance .
Le groupe demande plus de régulation de la part de l’État , pour encadrer, autant que possible, et réguler les prix dans les secteurs-clés suivants : logement, santé, énergie, biens de consommation, produits et services de première nécessité. Et aussi d’inciter les entreprises à faire évoluer leur offre de produits et services à destination de leurs clients fragiles, pour pour construire une offre qui ne pénalise pas les petits consommateurs.
prévention
Surendettement, précarité énergétique, expulsions locatives, santé... les sujets de prévention sont multiples mais tous représentent des enjeux essentiels. On ne peut se contenter de s’attacher à traiter l’un d’entre eux, il est indispensable de tous les prendre en compte. Or, ne pas traiter les problèmes en amont coûte cher à la société et, pire, crée les conditions dramatiques d’un basculement dans la précarité.
La lutte contre l’exclusion ne se conçoit pas sans cette double orientation préventive et curative.
- - En menant une politique de prévention des expulsions et d’accompagnement des foyers fragiles dans le logement ,
- - En garantissant l’accès aux soins .
- - En luttant contre le non-recours .
- - En développant les métiers du travail social et en soutenant le bénévolat .
- - En combattant la transmission intergénérationnelle de la pauvreté .
- - En encourageant par tous les moyens possibles la coordination entre les collectivités, l’État et les acteurs locaux,
- - En faisant évoluer la composition et le fonctionnement de toutes les commissions locales de concertation - de planification, de recours, de suivi...- pour que les personnes concernées y soient représentées et entendues.