Ecrit le 14 novembre 2012
Quand j’ai voulu reprendre le volant après une consultation auprès d’un chirurgien spécialiste de l’Å“il dans une polyclinique proche de Nantes, j’étais incapable de prendre la route immédiatement. Les yeux embués, la vue floue, proche des larmes.
Je devine votre idée : les substances chimiques injectées pendant l’examen font encore effet. Non, je n’ai reçu que le regard aigu du docteur en pleine observation et 5 ou 6 flashes habituels d’un appareil photo. Alors une tristesse, un gros coup de bambou donné par un diagnostic imprévu ? C’est encore non. Mais alors ?
Revenons en arrière
Depuis des années, je subis (c’est le bon terme) un affaissement progressif de mes paupières, comme un rideau qui se ferme lentement mais sûrement. Il y a des antécédents familiaux. Donc mon champ visuel se rétrécit par le haut. Au gré des ans, il me faut relever de plus en plus haut le menton pour garder une vision panoramique. C’est un handicap invasif et fort gênant.
Pour preuve : il y a près d’un an, j’étais convoqué à un entretien d’embauche. J’ai pris en pleine figure une remarque de mon interlocutrice qui m’a demandé sans animosité « si je n’étais pas en train de m’endormir » ! Parfaitement déstabilisé, j’ai complètement loupé la fin de l’entretien. Mais j’ai bien compris le message, qui m’a piqué au vif.
Mon médecin généraliste avait bien noté cet ennui et m’a bien conseillé. Il a rédigé un courrier de constat. Portant des lunettes (ce qui n’a rien à voir... sourire), je consulte tous les 2 ou 3 ans un ophtalmologue.
La dernière visite remonte à 2 mois. Et je l’ai entendu dire, au sujet de mes paupières tombantes : « Stop, il faut agir ». Nous avons parlé chirurgie pour retirer cet excès de peau. Puis nous avons effleuré ma situation financière, qui n’est pas des plus glorieuses. Le simple fait de renouveler mes lunettes n’est pas complètement neutre pour moi (vous connaissez comme moi le reste à payer malgré une mutuelle qui aide). Alors envisager une opération considérée comme de « confort ou esthétique » ne pouvait que me faire... tousser. Sa conclusion fut : « restez confiant ».
Poussez toutes les portes !
La secrétaire d’un chirurgien nantais (il se reconnaîtra) m’a contacté après avoir reçu un courrier de recommandation de mon ophtalmologue. Nous avons pris date pour un rendez-vous le mardi 30 octobre. Ce fameux jour où je ne pouvais plus conduire après sa consultation.
16h15. Entrée du bâtiment claire et agréable, sans luxe ostentatoire. Un fléchage impeccable comme guide. Nous sommes dans une clinique dédiée à l’Å“il. Je me présente au secrétariat et suis invité à patienter (une petite dem-heure) en salle d’attente.
En jetant un bref regard circulaire, j’éprouve un léger malaise. Des patients un peu plus âgés que moi, plus souvent féminins. Quelques manteaux de fourrure qui côtoient des complets ajustés. Des conversations chuchotées et des regards en coin. En pantalon de jean, je me sens dans mes petits souliers. Non, dans mes baskets un peu vieillissantes, à peine blanches. Je me sens décalé, pas à ma place. Sans cesser d’observer et d’écouter, je fais mine de m’absorber dans le premier magazine en vue. J’avoue ne plus me souvenir du tout de quelle revue il s’agissait. Par la porte entre-ouverte, j’entends la charmante secrétaire encaisser à la sortie du cabinet le prix de la consultation : 70 € presque systématiquement. Sans parler des arrhes versées en vue d’une prochaine opération. GLOUPS, me dis-je, quel va être le sort de ma carte Vitale porteuse de CMU (couverture maladie universelle) ? Ma carte bleue répondra-t- elle présent face à cette dépense imprévue ?
Et puis mon naturel reprend le dessus. Je viens pour un simple rendez-vous, pour en apprendre plus sur mon problème. Et je suis libre de dire oui ou non. A mieux écouter les conversations, j’ai entendu et ressenti l’angoisse de personnes en train de perdre la vue. Irrémédiablement. LÃ , c’est un tout autre drame que le mien.
Consultation « sociale »
Face au chirurgien, je me suis vite senti à l’aise. Forcément, il ne me lâchait pas des yeux. L’entretien a duré 15 minutes : 5 min pour cadrer l’aspect technique, prendre des photos sous divers angles, palper mes sourcils, paupières et haut du front. Le diagnostic fut vite établi, j’ai même pu voir sur écran le résultat de ma « bouille » une fois les travaux effectués et cicatrisés. J’ai pensé : « Y a pas photo ! ».
Et puis il y a eu 10 min de conversation sur ma situation, ma famille, mes compétences, mes projets, mon ressenti, ma volonté. J’ai répondu sincèrement, sans mentir ou dissimuler. J’ai dû être particulièrement inspiré. Il m’a dit avoir eu mon ophtalmologue au bout du fil avant de me recevoir. Il s’est renfoncé dans son fauteuil (de cuir, bien sûr), les mains croisées sur le bord de son bureau.
Me regardant toujours fixement dans les yeux, il a réfléchi une bonne minute, comme me jaugeant. Il a pris son dictaphone pour dire (je vous passe les mots médicaux) que, bénévolement, il mettrait à ma disposition son bloc opératoire, son personnel et son talent dès que je serai plus stable et à la seule condition que j’envisage un sevrage tabagique, avec copie à mon ophtalmo. et à mon médecin traitant. Un grand frisson m’a parcouru l’échine. J’étais abasourdi. Me raccompagnant à la porte pour me confier à sa secrétaire, il m’a expliqué que la cicatrisation serait bien meilleure quand je serai bien dans ma tête, calme et détendu. Et que le fait de fumer était une agression terrible et permanente (entre autres) pour la peau du visage. Avant une chaleureuse poignée de main, il m’a donné sa carte de visite et m’a invité à l’utiliser dès que je me sentirai prêt. Et direction le secrétariat.
Carte Vitale et CMU
Arrivant devant sa secrétaire, je lui dis qu’elle a un super patron. En écoutant la lettre à frapper, elle hausse les sourcils ; et me répond que « oui, ce docteur a du cœur ». Puis, en lisant ma carte Vitale, elle m’avoue tout à trac et gentiment qu’elle ne connaît pas la procédure à suivre en cas de CMU ; que je suis son « premier cas ».
Nous avons ferraillé ensemble cinq bonnes minutes avec l’ordinateur jusqu’Ã trouver la bonne issue. Bilan : je n’avais rien à payer pour la consultation. Puis elle a préparé le champ de saisie pour l’intervention à venir, sans date précise. Tout est clair et net. « J’attends votre appel » m’a-t-elle dit.
Valeur humaine
Voilà pourquoi je me retrouve au volant sans pouvoir démarrer. J’ai le regard trouble, embué. Trop de tension, trop d’émotions en trop peu de temps. Ma résilience en a pris un coup. Je ne connais pas la valeur en Euros de l’acte chirurgical qui va améliorer mon handicap. Sans doute une grosse poignée de RSA (Revenu de Solidarité Active). Je retiens ce moment magique où l’Humanité dans toute sa splendeur s’exprime et prend le pas sur la valeur mercantile.
Et ce ne sera pas au détriment de la sécu. et de ma Mutuelle complémentaire. Le chirurgien déclarera son acte, sera remboursé sur la base habituelle (sans doute pas beaucoup) et point-barre.
Je suis parti marcher au hasard pendant une bonne demi-heure et sans fumer. La vie réserve des surprises, bonnes ou mauvaises. J’aurais pu quitter la salle d’attente. Je suis resté. Et j’ai compris que la valeur humaine attend patiemment derrière des portes que l’on hésite à pousser. Et pourtant....... Depuis, je regarde mon paquet de cigarettes d’un drôle d’Å“il. Mon médecin traitant, dans un mois, aura du boulot.
Pascal, de Blain
pétition
La revue Pratiques est profondément choquée par l’accord intervenu entre la sécurité sociale et les syndicats de médecins libéraux. Elle vous invite à partager la révolte de soignants et citoyens qui rejettent tout dépassement d’honoraires par les médecins ou autres professionnels de santé. Les soins ne sont pas une marchandise, les tarifs doivent être encadrés comme toute activité financée par la solidarité. Il en va de l’avenir de notre sécurité sociale. La revue propose de signer une pétition ici
Mis en ligne le 22 décembre 2012
Mon sang n’a fait qu’un tour
A propos du témoignage de Pascal, de Blain (lire ci-dessus)
En me rendant chez le kiné par le tram (j’ai eu une intervention chirurgicale sur une épaule à la mi-octobre) j’ai lu dans « La Mée » le témoignage de Pascal de Blain ! désolé mais je trouve Pascal très naïf dans son appréciation du comportement de son chirurgien. où en est le système de santé en France pour devoir compter sur « le bon cœur » : pour ne pas dire la pitié - de son médecin pour être traité correctement ?
Il est discriminatoire de laisser au médecin la possibilité de choisir ceux qui devront payer un dépassement d’honoraires et ceux qui seront traités « bénévolement » ! c’est le droit à la santé pour tous qui est remis en cause avec de telles pratiques. Des patients peu fortunés pour ne pas dire pauvres se « saignent » financièrement pour être traités dans les meilleures conditions par les mêmes médecins que ceux qui ont les moyens d’acquitter une surcharge d’honoraire. Quelle est cette médecine où le médecin passe plus de temps à parler finance avec son patient que pathologie : « 5 min pour l’aspect technique,10 min sur ma situation, ma famille ». Vous dites que c’est « bénévolement » que le chirurgien interviendra. Drôle de conception du bénévolat : bénévolement veut dire gratuitement ce qui n’est pas le cas puisque l’intervention sera remboursée avec la carte vitale sur la base de la cotation des actes par la sécurité Sociale et dans le cas présent par la C.M.U. c’est-Ã -dire la solidarité nationale.
Le secteur privé fonctionne en réseau : le plus souvent le médecin libéral propose le nom d’un spécialiste qui intervient dans une clinique privée. La boucle est boucléeet le système fonctionne très bien ainsi.
Je suis actuellement en période de rééducation ai-je précisé ci-dessus. « Tu as été opéré dans quelle clinique ? Par quel chirurgien ? Me demande-t-on régulièrement. Lorsque je réponds que je suis allé au CHU, c’est l’étonnement ! Je ne suis pas considéré comme pauvre. J’ai même la chance de payer des impôts ! Ce matin un ami travailleur social ne comprenait pas : » comment as-tu fait ? Les médecins ne parlent jamais du C.H.U. Ils dirigent toujours leurs patients vers une clinique « . Moi aussi mon rhumatologue m’a proposé des chirurgiens du secteur privé mais j’ai demandé à aller à l’hôpital. » Toi tu as osé le dire, mais tu sais les gens n’osent pas interpeller leur médecin ! « La boucle est bouclée ai-je dit ! Les » fournisseurs " font bien leur travail. La preuve
Je remercie mon chirurgien et le personnel du C.H.U. pour leur disponibilité et leur excellent travail. Je n’ai pas déboursé un centime (d’ailleurs dans ce service les dépassements d’honoraires sont interdits). Evidemment l’hôpital public manque cruellement de moyens : la douche est au fond du couloir pour une cinquantaine de patients, les murs ont besoin d’un coup de badigeonet la chambre double est la règle !
Les dépassements d’honoraires sont intolérables. Le gouvernement les a très modestement encadrés mais pour des médecins ou futurs médecins c’est intolérable ! Un mouvement est engagé contre cet accord signé par plusieurs organisations syndicales. Heureusement certains praticiens du service public osent dénoncer ce mouvement de contestation ! Soyons à leur côté.
Non, Pascal, compter sur la compassion, « la valeur humaine » de son médecin pour être bien traité est une dérive qui ne mérite aucune reconnaissance !
Signé : Francis PESLERBE