Ecrit le 30 janvier 2013
Le traité de l’Elysée
C’était en 1944 au village du Grand Rigné à Rougé, près de Châteaubriant. Denise, fort jolie fille, était employée dans une ferme où travaillait aussi Willy, prisonnier de guerre. Les deux jeunes gens s’aimèrent, un enfant s’annonçait. Scandale en perspective. Mm Pach, médecin, fit donc embaucher la jeune fille dans une bonne maison à Paris.
Denise partit plus tard rejoindre Willy, dans son pays, à Leverkusen. Elle y fut merveilleusement bien accueillie. L’enfant vint chez ses grands-parents à Rougé, des gens très aimants mais qui, dans le contexte de l’époque, cachèrent sa filiation et le déclarèrent au voisinage comme « un enfant de l’assistance ». Seuls quelques proches étaient au courant. A l’âge de 7 ans, le gamin rejoignit ses parents en Allemagne, mais, tous les étés, il revenait passer un mois de vacances au Grand Rigné.
Les grands parents sont décédés maintenant. La jeune maman de l’époque est revenue par ici fêter ses 50 ans de mariage et vit toujours en Allemagne. Elle a eu une fille aussi, avec Willy, et celle-ci s’est mariée en France. Une belle histoire d’amour, par delà les frontières, par delà la guerre.
D’autres belles histoires ? Celle de Marcel Letertre, ancien déporté castelbriantais, qui, très vite après la guerre, accueillit des jeunes Allemands en visite à Châteaubriant. Cela fit scandale. Il n’y avait pas encore de jumelage à l’époque mais M. Letertre avait compris, déjà , l’importance de relations d’amitié entre des peuples ennemis depuis plus de 50 ans.
L’histoire aussi de Jean-Claude Baron, dont la maman, Marcelle, avait également connu les camps de concentration. Il a épousé une Allemande après la guerre. Jean-Claude est un des membres actifs du Musée de la Résistance à Châteaubriant.
Il y a 50 ans
L’Allemagne et la France ont lancé, le 22 janvier 2013, une série de célébrations pour marquer le 50e anniversaire du rapprochement entre les deux pays.
C’est en effet le 22 janvier 1963, que le président français, Charles de Gaulle, et le chancelier ouest-allemand, Konrad Adenauer, signent le Traité historique de l’Elysée. En cet après-midi du 22 janvier 1963, Konrad Adenauer se rend donc dans le salon Murat de l’Élysée pour la signature du Traité, à l’issue d’une conférence où étaient présents plusieurs ministres allemands. Ce traité scelle la réconciliation entre les deux pays, prévoyant ainsi des rencontres régulières entre les chefs d’État et les ministres, notamment en termes de défense et d’affaires étrangères.
Le Traité insiste également sur le rôle des échanges entre les jeunes des deux pays et prévoit la mise en place d’un organisme, l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (Ofaj). Le Premier ministre de l’époque, Georges Pompidou, ainsi que les deux ministres des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville et Gerhard Schröder (homonyme du futur chancelier), apposent également leur signature au Traité.
Avant leur fameuse embrassade amicale, Charles de Gaulle déclare avoir « le cœur et l’esprit parfaitement satisfaits » par cette signature. « Il n’y a pas un homme dans le monde qui ne mesure l’importance de cet acte », ajoute-t-il. Le chancelier Adenauer déclare n’avoir « rien à ajouter à chacune de vos paroles qui correspondent à nos espoirs ».
Mais l’histoire de ce Traité ne s’arrête pas là puisque sa ratification devant le Bundestag provoque un débat au sein du parti CDU d’Adenauer. Le Bundestag ajoutera donc un préambule dans lequel il était écrit que le Traité de l’Elysée n’entamait en rien la coopération de la RFA (République fédérale d’Allemagne) au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord (OTAN) alors que la France s’était retirée de l’organisation militaire de l’OTAN : et soulignant également que le Traité franco-allemand n’affectait pas le partenariat avec les Etats-Unis. Ce préambule fut une forte déception pour Charles de Gaulle qui commentera de cette célèbre phrase : « Les traités sont comme les jeunes filles et les roses : ça dure ce que ça dure. »
et, depuis
Depuis, les deux pays ont toujours cherché à renforcer leur coopération économique et culturelle, posant les fondations du processus d’intégration européenne au cours des décennies passées.
Les célébrations actuelles, ponctuées par une réunion conjointe du cabinet et une session conjointe des parlements bilatéraux, sont très importantes dans le contexte de querelles quand à la façon de résoudre la crise de la dette dans la zone euro. En effet, François Hollande propose de libérer les dépenses pour stimuler la croissance, ce qui va à l’encontre de la pensée pro-austérité de Mme Angéla Merkel. Cette dernière a reconnu des différences, mais aussi « une très grande proximité ».
à Châteaubriant
A Châteaubriant une exposition, à la médiathèque, rappelle les grandes lignes du Traité de l’Elysée et marque le lancement d’un programme d’actions qui seront menées tous les mois dans le cadre de ce 50e anniversaire, par le Conseil Municipal des Jeunes et le service jeunesse de la Communauté de Communes du Castelbriantais. On parle d’une page facebook commune (bof !) et d’une chasse aux œufs de Pâques, aux couleurs de l’Allemagne, et d’une délégation d’Allemands au monument aux morts de 8 mai prochain et d’un voyage de jeunes à Radevormwald au cours de l’été 2013.
Des fleurs sur les cailloux
Un livre est paru, en 2010, édité par l’Amicale Nationale des Enfants de la Guerre, fruit d’un travail collégial entrepris pour encourager celles et ceux, nombreux, qui demeurent encore isolés, à sortir de leur mutisme. Les auteurs, témoins de leur vie, ambitionnent également que cet ouvrage, nécessaire aux futures générations européennes, soit un message d’espoir, d’amour et de paix, paix à laquelle ils aspirent depuis des décennies.
Quelle loi peut empêcher un regard, un sourire, un flirt ou même une liaison en temps d’Occupation ? Quelle loi, aussi inique soit-elle, peut interdire à une femme et un homme de s’aimer, même si celui-ci était l’ennemi ? Aucune. Et pourtant, depuis bien des siècles, les conflits font et défont les destins, laissant dans leurs sillages des enfants nés de ces relations entre envahisseurs et autochtones. Martyrisées, rejetées, ces petites victimes expiatoires ont longtemps été cachées, voire oubliées. « Très tôt j’ai senti que je n’étais pas un enfant comme les autres : je n’avais pas de père. Tout le monde s’intéressait à la paternité des enfants nés entre 1940 et 1945. Les enfants à l’école s’invectivaient à tout ou à raison : tête de Boche, sale Boche, touchant ceux qui l’étaient réellement et culpabilisant cette génération considérée comme enfants de l’ennemi. Nous étions des Bâtards d’Allemands ». Le rejet, souvent, allait bien au delà des paroles ! « J’avais 9 ans. Chaque séjour chez mon grand-père était un supplice. Je ne comprenais pas pourquoi cet homme me frappait et m’insultait ».
Avec ce livre, bannies, toutes ces années d’humiliations ; fini, le temps des petits poings vengeurs qui tentaient de faire taire ces insultes, plus douloureuses que les coups. Quelque 65 années se sont écoulées depuis 1945, et l’Enfant de la Guerre a laissé place à l’adulte, déterminé à révéler son secret, gardé aux tréfonds de son être, et à déclarer à visage découvert, tout simplement, sans fierté et sans honte : mon père était un soldat allemand.
Aujourd’hui, il est bien difficile de renier ces dizaines de milliers de bambins franco-allemands éparpillés aux quatre coins de la France.