Ecrit le 2 juillet 2008
Dany et Jacqueline Lanoë
1945 : le père Roger Lanoë , mutilé de guerre depuis 1939, bénéficie d’un emploi réservé. Sera-t-il cordonnier ou marchand de journaux ? Lui, l’agriculteur, il choisit le monde de la presse en s’installant au 6 Grand Rue, au dépôt de presse « Messageries Hachette » que tenait, autrefois, le père Gilot (mutilé, lui, de la Grande Guerre).
Son fils Dany se souvient : « Nous avons toujours vécu dans les livres. C’était déjà une passion. Il n’y avait pas de télévision à l’époque et les livres nous apportaient l’évasion et l’émotion ». Peu à peu le commerce s’est étoffé, « Nous habitions au dessus du magasin. Celui-ci a mangé la cuisine d’abord, puis le premier étage. Nous avons dû déménager pour lui faire de la place ». Roger Lanoë achète alors le bâtiment d’à -côté : le District, qui fut le siège du Tribunal Révolutionnaire de Châteaubriant puis devint bibliothèque et salle de réunion pour la paroisse
Le jeune Dany Lanoë , lui, après son baccalauréat scientifique, est devenu employé de banque à Paris puis à Châteaubriant. En 1973, il a 27 ans, il reprend la librairie de son père et transforme « le District » « J’aurais bien voulu le garder mais il était frappé d’alignement car il dépassait d’un mètre sur la rue. En fait il était mal commode, ses murs très épais laissaient peu de place à l’intérieur ». Un bâtiment moderne est construit. « Un de mes bonheurs : pouvoir disposer d’une douche ! ».
4 h du matin : la presse
Le premier travail de Dany et de son épouse Jacqueline : la presse. Un énorme travail. « Dès 4 h du matin nous nous rendions à la gare de Châteaubriant où la presse arrivait dans de grands sacs. Il fallait les porter jusqu’à la voiture puis jusqu’au magasin où j’avais aménagé une salle de tri ». Dany avait conçu un système de casiers qui l’aidaient dans sa répartition. Lorsque celle-ci était finie il lui fallait porter les journaux dans 17 points de vente à Châteaubriant, St Aubin des Châteaux, Sion-les-Mines, Ruffigné, etc. qu’on ne s’étonne pas des problèmes de dos apparus plus tard ! « Tous les jours aussi, il fallait faire la facturation ». Dany avait également aménagé une salle pour stocker les invendus. « Ceux-là on les renvoyait une fois par mois. Mais le tri et l’expédition nous prenaient 6 jours par mois ». C’était un travail éreintant. « Nos enfants, nous ne les avons pas vus grandir. Ils ont été très agréables et nous remplaçaient quand c’était nécessaire. Un de nos petits-fils, plus tard, s’est mis tout seul à accueillir les clients, dès avant 6 ans ! ».
Lundi de Pentecôte
En dehors de la distribution de la presse (qui occupait Dany toute la matinée), Jacqueline tenait le magasin : journaux, livres, un peu de papeterie pour dépanner les clients. C’était du sept jours sur sept, y compris le dimanche matin.
Il y a 20 ans cependant, après avoir distribué la presse dans les dépôts habituels, le magasin est resté fermé. Un Lundi de Pentecôte. Dany et Jacqueline fêtaient leurs 20 ans de mariage. Mais un bourgeois de la ville, dont nous tairons le nom, cherchait ce matin-là un journal turfiste. Il aurait pu l’acheter rue Aristide Briand, chez la « Petite mère Chapron ». Mais non, il le voulait chez Lanoë et s’est scandalisé de trouver le magasin exceptionnellement fermé. Il a alors prévenu le service de messagerie à Paris. « Nous avons eu les inspecteurs sur le dos pendant un bon bout de temps. Finalement nous avons décidé d’abandonner la distribution de presse et de nous consacrer à la librairie ». C’était la période où les Messageries cherchaient à réduire le nombre de leurs dépositaires. De 2823 en 1987 on est arrivé à 314 en 2000 !
A Châteaubriant c’est une autre personne qui a repris la tâche de dépositaire et en a profité pour ouvrir un magasin, obligeant même les Lanoë à abandonner l’enseigne « Maison de la Presse ». « A cette époque, en raison de la concurrence, nous avons failli mettre la clef sous la porte. d’autant plus que ce dépositaire refusait de nous mettre le nombre d’exemplaires correspondant aux demandes de nos clients. Il espérait les attirer ainsi vers son magasin ». Mais c’est ce concurrent qui, finalement, a cessé son commerce.
Passion
La librairie est alors repartie d’un bon pied. C’était l’époque où la bibliothèque municipale, dirigée par Noë lle ménard, lui confiait tout le marché d’achat des livres. C’était l’époque aussi où la librairie Lanoë faisait le service des livres scolaires. « Marché difficile parce qu’il fallait s’adapter aux demandes des enseignants. Pour ces livres l’éditeur consentait une ristourne, en fonction de la quantité vendue. Les petits libraires étaient désavantagés par rapport aux grossistes comme la librairie Coiffard à Nantes ». Et toujours beaucoup de livres à déplacer. c’est lourd le papier.
Une petite déception : « Quelques clients, intellectuels, nous considéraient comme des marchands de livres. Heureusement nous avions le soir vers 19 h à la librairie, la visite fréquente d’Yves Cosson, Yves Dauffy, Raoul Vilbois, Bernard Guerlais, qui discutaient longuement histoire, politique et actualité littéraire. Ce fut la période la plus agréable de notre vie ». « Je me souviens des visites régulières de René Guy Cadou, du temps de mon père. Pour moi j’ai connu Jacques Raux et la pétillance de son esprit » dit Dany.
Un autre plaisir : les séances de signature dans le magasin. « Ce n’était pas forcément rentable, financièrement, mais c’était le plaisir de rencontrer des auteurs ».
Le métier de libraire est un métier à part, il faut aimer les livres, sans perdre de vue l’aspect commercial. Il faut avoir la passion des livres, pour soi-même, et réussir à les vendre pour en vivre.
Autrefois la librairie Lanoë disposait de gros catalogues, par auteur, par titre, par éditeur. Avec l’informatique les choses se sont un peu simplifiées mais Jacqueline a continué d’aller à Nantes deux fois par semaine « moyen de rester en contact avec les grossistes, de ramener les dernières parutions » dit-elle.
Jacqueline s’est spécialisée dans les livres pour enfants et dans les livres plus spécialement destinés aux femmes. Dany a pris tout le reste. « J’ai toujours beaucoup apprécié les discussions avec les clients, et le plaisir, aussi, de connaître leurs goûts, de pouvoir leur proposer quelque livre qu’ils ne connaissaient pas encore » dit Dany en manifestant un intérêt tout particulier pour les livres d’histoire locale. « Ceux-ci ont manqué énormément. c’est mieux maintenant. c’est très important pour la construction de l’identité de cette région ».
c’est sans doute cet intérêt pour la région qui explique pourquoi la librairie Lanoë a tenu face aux rayons livres des grandes surfaces.
« Nous avons des clients très fidèles. Ou bien ils viennent systématiquement consulter les nouveautés. Ou bien ils nous commandent des livres spécifiques dont ils ont eu connaissance par ailleurs. Notre site internet nous a ramené un client irlandais à qui nous expédions des livres, et même une cliente de Paris qui préfère commander chez nous alors qu’elle aurait un commerçant plus proche de chez elle ! ». Ce sont les mystères du commerce !
références
Dans ce métier, comme partout dans le commerce, il faut une grande rigueur pour suivre les commandes et les factures et se retrouver dans les quelque 1700 titres de revues.
Le livre n’est pas une marchandise comme les autres, mais il a besoin, aussi, d’être mis en valeur.
« Ma spécialité : les vitrines, dit Jacqueline, J’ai régulièrement participé à des concours nationaux et j’ai gagné le premier prix chez Nathan, Larousse, Modes et Travaux, l’Equipe (avec un dessin d’Eliby !) et même Le Chasseur Français ! Cela nous a permis de faire des voyages à Rome, Venise et en Yougoslavie. Il est certain qu’une belle vitrine attire le chaland, donne des idées de cadeaux ».
Fini
Et voilà , c’est fini. Après 35 ans de travail, Dany et Jacqueline passent la main à un plus jeune.
Le magasin sera fermé un mois, le temps de tout rénover mais il restera « la librairie Lanoë » et la Grand Rue s’appellera encore longtemps « la rue des Lanoë ».
A 62 ans, Dany aurait bien continué encore ce métier qu’il aime mais c’est l’âge où il faut penser à saisir les opportunités sous peine de faire comme d’autres : fermer sans successeur. Mais si le libraire s’en va, la librairie reste et les clients fidèles, que dispersent les vacances et les travaux, reviendront si la qualité de service est à la hauteur de ce qu’elle était.
Ethique
En 1973, quandLa Mée a commencé son aventure, Jean Gilois est allé demander à Dany Lanoë s’il acceptait de mettre en vente ce journal d’opposition au potentat-maire de l’époque, Xavier Hunault. Un journal qui sentait le soufre !
Dany Lanoë n’a pas hésité une seconde, au nom de la liberté d’expression ! c’est lui qui nous a ouvert la voie, en sachant fort bien qu’il subirait des pressions (comme en a subi notre imprimeur de l’époque !) .
La Mée salue leur courage et leur respect des libertés
Le commerce est un métier difficile, à la merci d’une alchimie mystérieuse. Depuis le début de l’année 2008 l’exercice est difficile, il se ressent de l’importante baisse de pouvoir d’achat des clients. Raison de plus, pour ceux qui le peuvent encore, de faire un effort pour faire leurs achats dans les « petits » commerces du centre ville qui assurent encore l’animation des rues et permettent les échanges amicaux indispensables. C’était là , entre autres, le rôle de Dany et Jacqueline Lanoë . Bonne retraite !
séjour à Dinard
Lucien, Francis, Marie, Ginette, Alphonse, Paul, Bernard et Bernard : 8 résidents volon- taires de la MAPA de Châteaubriant ont séjourné à Dinard avec Sandrine (ani-matrice), Nelly et Sylviane (Aides-soi-gnantes) et Ginette (infirmière retraitée). St Malo, Port Breton, St Lunaire Il y avait de la joie pour ces personnes que la vie n’a pas gâtées. Elles ont pu quitter le quotidien de l’institution, partager un temps de plaisir et faire le plein de souvenirs ...
Ecrit le 22 juin 2016
La Maison de la Presse étranglée par la banque
Les rues du centre ville de Châteaubriant offrent un spectacle désolant avec leurs vitrines vides affichant « à vendre » ou « à louer ». A la fin du mois, un des plus vieux commerces va fermer boutique. La Maison de la Presse, Grand Rue, ouverte depuis des décennies, et reprise il y a 8 ans, va tirer le rideau et la dernière librairie de Châteaubriant va disparaître. Le gérant, un homme accueillant, toujours disponible pour assurer bénévolement la billetterie des associations, fait partie de ces Français qui, comme disait Sarkozy, appartiennent à « la France qui se lève tôt » ; il est aujourd’hui contraint de fermer, victime de la banque et de la finance, « l’ennemi du candidat Hollande ». En effet, la librairie connaît une activité saisonnière avec les commandes des médiathèques et des écoles, mais entre le moment de la livraison des livres et le paiement différé par les collectivités publiques, la Maison de la presse se trouve à découvert de trésorerie. La banque acceptait de négocier ce découvert, ce qui permettait à la librairie de poursuivre son activité. Cette année, la banque refuse de reconduire le crédit et la Maison de la presse est contrainte de fermer.
C’est scandaleux ! Alors que les banques prennent des risques financiers inconsidérés : l’affaire Kerviel a coûté 5 milliards d’euros à la Société Générale, qui ne se porte pas trop mal ! Le Crédit Agricole a été condamné à une pénalité de 694 millions d’euros, la BNP à 6,5 milliards d’euros par le gouvernement américain pour avoir violé les lois des Etats-Unis ; et leurs actionnaires n’en sont pas morts !! Mais pas question de risquer quelques milliers d’euros pour un petit commerce de proximité .
Signé : Maurice Pucel
Muflerie
Quel est le comble de la muflerie ?
réponse : c’est d’acheter un livre sur Amazon et de le faire livrer chez le libraire de la ville. Mais, un jour, le libraire ferme ses portes, définitivement. qu’avons-nous gagné à ce petit jeu ?