Ecrit le 31 octobre 2018
Le 16 octobre 2018 avait lieu à Lusanger une réunion, à l’invitation des Potes, s’intéressant aux personnes ne sachant ni lire, ni écrire. Il y avait peu de monde, malheureusement .
Analphabète : la personne ne connaît pas l’alphabet. Illettrée : la personne a de grandes difficultés pour lire et écrire. Il y aurait en France 8 % dans ce cas. Ces personnes ont pourtant été scolarisées. Et, de plus, dans leur travail quotidien, elles font preuve de réelles compétences, quelquefois assez haut dans la hiérarchie de l’entreprise. L’illettrisme des cadres est un phénomène méconnu et tabou. Alors pourquoi ?
Les personnes qui sont sorties de l’illettrisme l’expliquent elles-mêmes : il y a eu un blocage quelque part, au sein de la famille peut-être, et souvent à l’école.
Sylvie ne voulait pas apprendre à lire, parce qu’elle savait que sa mère était illettrée. Inconsciemment, elle ne voulait pas mettre sa mère en infériorité. La mère s’est inscrite à des cours et Sylvie a progressé avec elle.
Vincent était réputé difficile. « A l’école, cela allait trop vite pour moi, alors je faisais le clown et j’étais souvent mis à la porte. Cela n’a rien arrangé ! ».
Ceux qui sont illettrés sont en situation d’infériorité car il y a toujours besoin de lire. Lire des noms de ville sur une carte, quand on voyage loin de chez soi. Lire les instructions d’un distributeur automatique de billets. Lire les consignes de sécurité d’une machine. Remplir des formulaires de demande, etc.
Vincent raconte : « dans les périodes de chômage, quand j’avais besoin de m’inscrire dans une agence d’intérim, je m’y présentais avec une main bandée, prétextant que je ne pouvais écrire ». Marcel, lui, disait qu’il avait oublié ses lunettes
Ce sont des stratégies de contournement !
Passionné et pédagogue, l’Américain John Corcoran, ancien professeur d’anglais dans un lycée californien, était l’idole de ses élèves. Il ne savait pourtant ni lire ni écrire. Il a attendu la retraite pour sortir un livre : Le Prof qui ne savait pas lire (The Teacher Who Couldn’t Read, Kaplan, 2008, 248 p.). Il y raconte la triche et les ruses utilisées pour en arriver là . « L’astuce, c’est de créer un univers visuel et oral. J’étais constamment accompagné de deux ou trois assistants qui s’occupaient d’écrire au tableau et de lire mon courrier. ». A 48 ans, ne supportant plus sa propre situation, il quitte son poste. « En tant que professeur, ça me rendait vraiment malade de penser que je ne savais pas lire. C’était très embarrassant pour moi, pour le pays et pour les écoles »
Par la suite il a créé la Fondation John Corcoran de lutte contre l’illettrisme. Et fait le tour des plateaux télévisés pour promouvoir son combat.
Mais que faire ?
Pendant longtemps une personne peut cacher son illettrisme. Et puis un jour, fortuitement, il est découvert. Que faire ? Il y a des associations qui peuvent aider, mais les personnes n’osent pas y aller : peur de l’échec, peur de retrouver des méthodes scolaires. Il faut une incitation extérieure, le conjoint, des amis, les enfants.
A Blain, il existe l’association Des Livres Ouverts, créée à l’initiative de François Brizay, personnellement concerné par cette douloureuse situation. « Enfermé dans une espèce de cocon, j’avais beaucoup de mal à être à l’aise sur les bancs de l’école », confie-t-il. téléphone de l’association : 06 23 65 64 00
Petit à petit François a revu les bases et trouvé le plaisir de s’exprimer par écrit. Il a raconté son image dans un poème intitulé « Le papillon » et dans le film « Tourner la page », un court-métrage très émouvant qu’on a pu voir à Lusanger, propre à changer les regards sur la question de l’illettrisme et de la formation de base pour que toutes les personnes qui en ont besoin puissent avoir accès à une formation.
Un jour quelqu’un m’a dit :
« Tu n’apprendras jamais »
et j’ai baissé la tête.
J’ai caché mes pensées,
La porte s’est fermée,
ils ont jeté la clé.
La poussière qu’on cache sous le tapis,
tu sais, ça fait des bosses.
Et moi j’étais bossu à force de cacher
Et de baisser la tête.
Les mots s’échappaient sans cesse
Ils hurlaient au fond de moi.
J’ai brisé le mur du silence
Et récupéré le temps perdu.
J’ai osé, j’ai tenté ma chance,
d’apprendre le temps est venu.
La chaîne des savoirs
L’expression Chaîne des Savoirs a été lancée par un groupe d’apprenants de Segré (Maine et Loire). C’était en 2001. Réunis en groupe de recherche, une quinzaine d’adultes-apprenants, avec leurs formateurs et accompagnés par Anne Vinérier* s’interrogeaient sur la question suivante : pourquoi si peu de personnes en situation d’illettrisme font-elles la démarche de réapprendre à lire, écrire ou calculer ?
L’objectif de cette recherche était à la fois d’identifier les obstacles et les freins pour entreprendre cette démarche, mais aussi de mieux comprendre les raisons et les étapes qui conduisent des personnes à réapprendre.
En créant des espaces de parole et de réflexion pour permettre aux apprenants de participer à la construction d’une pensée et d’une action à partir de leur propre expérience, ces personnes « sorties de l’ombre » ont redécouvert leur place dans la société. Au fil des années, elles ont réalisé qu’elles étaient les mieux placées pour savoir ce qui est bien pour elles concernant l’élaboration de leur parcours de réapprentissage, mais aussi qu’elles étaient les mieux placées pour aller rejoindre les personnes qui n’osent pas faire le pas, qui n’osent pas pousser la porte d’un organisme de formation Conscients de leur place et de l’importance de leur parole, des apprenants et leurs accompagnateurs ont décidé de se constituer en « maillons » de la Chaîne des Savoirs.
A l’intérieur de chaque maillon, les apprenants veulent défendre le droit de réapprendre à l’âge adulte, le droit à la formation pour tous, tout au long de la vie. Ils ne veulent plus qu’on prenne la parole à leur place. Ils veulent faire la « Chaîne » pour aller chercher les « invisibles », leurs pairs, ceux qui n’osent pas réapprendre à lire, écrire, compter, s’exprimer. Ils veulent témoigner de leur parcours et sensibiliser le public.
De nombreux témoignages et prises de paroles publiques d’apprenants se poursuivent ainsi depuis quelques années auprès des travailleurs sociaux, des élus, des écoles, des entreprises, à l’université, auprès de futurs formateurs
Le 11 novembre 2012, les apprenants ambassadeurs et les accompagnateurs se sont officiellement constitués en association qui a pour nom « La Chaîne des Savoirs ».
Actualité des Potes
* Mardi 13 novembre, 20h-22h : Soirée échanges et débat : « un lieu d’accueil enfant-parents, pourquoi ? Comment ? », à LUSANGER
* Samedi 17 novembre, 9h30-12h30 : Repair café, Café de la Place à JANS
* Samedi 24 novembre, 10h-12h : Permanence d’information et d’inscription au Système d’Echanges Local, Ã St VINCENT des Landes et MARSAC sur Don.
* Dimanche 25 novembre, 9h30-16h30 : Bourse aux loisirs, MOUAIS
Contact : 02 28 50 46 39
* Docteur en Sciences de l’Education, spécialisée sur la question de l’illettrisme