Ecrit le 18 mai 2005 :
Niveau de vie des salariés : en chute
Le CERC (centre d’études et de recherches sur les coûts) est mort en 1995, zigouillé par Édouard Balladur. Mais il reste une association d’économistes qui se livrent de temps en temps à des analyses dérangeantes.
Celle de mai 2005 révèle que
" Depuis 25 ans, la progression du
niveau de vie des ménages s’est
considérablement ralentie "
Selon cette étude :
« Les salariés ont été les plus touchés par ce mouvement. Le pouvoir d’achat des salaires a stagné depuis la fin des années 1970 et, depuis dix ans, les prestations sociales ne parviennent plus à compenser ce mouvement. Pour la majorité des salariés, qui ne peuvent compter que sur les revenus de leur travail, le niveau de vie relatif a considérablement chuté depuis 20 ans. Aujourd’hui, la condition salariale est comparable à ce qu’elle était il y a un demi-siècle ».
Depuis 1980, la hausse du niveau de vie des ménages - en termes de revenu par « unité de consommation » - a été, en moyenne, de 1,1 % par an, soit trois fois moins qu’entre 1970 et 1978. Cette évolution moyenne du niveau de vie peut évidemment masquer de fortes disparités entre catégories de ménages.
Des revenus du travail en chute libre
Depuis 25 ans, la structure du revenu disponible des ménages s’est considérablement déformée. Le phénomène le plus frappant est la chute considérable de la part des revenus nets d’activité dans le revenu total des ménages.
Entre 1978 et 2003, la part de ces revenus a diminué de plus de 14 points, passant de 67% à 52,7%. Plus de la moitié de cette baisse est imputable à la diminution de la part des salaires nets alors même que la proportion d’emplois salariés a continué à augmenter, de 83,6% en 1978 à 91,4% en 2003. Jusqu’Ã la fin des années 1980, cette baisse a été en partie compensée par la progression des prestations sociales. Mais ce mouvement s’est ralenti à la fin des années 1980 et, depuis 1993, la part des prestations sociales dans le revenu des ménages a diminué.
En contrepartie, les revenus de la propriété (pour ceux qui en ont) ont connu une progression soutenue : leur part dans le revenu disponible des ménages est passée de 10,9% en 1978 à 19,1% en 2003, soit une hausse de 75 %.
Enfin l’incidence des impôts sur le revenu est restée très limitée. Leur part dans le revenu des ménages a légèrement augmenté entre 1978 et 1993 avant de retrouver son niveau initial en fin de période.
Depuis 20 ans,les salaires font du sur place
Entre 1978 et 2003, la masse des salaires nets perçus a augmenté, en euros constants, d’un peu moins de 30 %. Cette progression reflète essentiellement l’augmentation du nombre de salariés.
Le salaire net moyen n’a guère connu de progression du pouvoir d’achat depuis la fin des années 1970.
– 1- En 1997, la variation du pouvoir d’achat par rapport à l’année 1978 se situait ainsi dans une fourchette allant d’environ -2 % (salaire net moyen par personne) à +2 % (salaire net par « équivalent temps plein » ou ETP).
– 2- Ce n’est que sur la fin de la période, entre 1997 et 2002, que le salaire moyen a recommencé à augmenter, gagnant entre 6 % à 7 % de pouvoir d’achat sur ces cinq années.
– 3- L’année 2003 amorce une légère décrue.
Au total, sur les 25 dernières années, les gains de pouvoir d’achat sont restés minimes, de l’ordre de 0,2% à 0,3% par an, très largement inférieurs à l’évolution du niveau de vie moyen en France.
Cette quasi-stagnation du pouvoir d’achat du salaire net moyen est d’autant plus remarquable que le niveau moyen de qualification de la main-d’œuvre salariée n’a cessé d’augmenter tout au long de la période (qualification supérieure et salaire supérieur).
C’est donc que, à structure de qualification constante, le salaire net moyen a connu une perte de pouvoir d’achat comprise entre - 4% et - 8% depuis 1978.
Cette détérioration du pouvoir d’achat des salaires a touché tous les salariés, ceux du secteur privé comme ceux de la Fonction publique.
De la sécurité sociale à la sécurité-propriété ?
La stagnation des salaires nets reflète en partie la montée des prélèvements sociaux (cotisations sociales et CSG) sur les salaires. Dans la mesure où ces prélèvements financent des prestations sociales qui reviennent, dans une large mesure, aux salariés, on pourrait s’attendre à ce que ces prestations compensent, au moins en partie, la stagnation des salaires nets observée depuis plus de 20 ans.
Comme on l’a vu, c’est bien ce qui s’est passé, au moins jusqu’au tournant des années 1990. Depuis ce moment, en revanche, c’est la progression des revenus de la propriété qui a été particulièrement dynamique.
Alors que les revenus du patrimoine représentaient 21,5% du total des salaires nets en 1978, cette part est passée à 30 % en 1988 pour grimper à plus de 45 % en 1998 et redescendre légèrement, aux environs de 44 % en fin de période.
La possession d’un patrimoine est devenue aujourd’hui, plus encore que par le passé, un facteur décisif de sécurité économique.
La condition salariale : le grand bond en arrière
Si les ménages de salarié ou de chômeur n’avaient que ces revenus pour vivre, comment aurait évolué leur niveau de vie en comparaison de la moyenne des ménages ?
Depuis 1982, le niveau de vie relatif de ces ménages a fortement chuté. Cette chute a été très rapide dans la première moitié des années 1990. Après une pause à partir de 1997, la baisse a repris en 2002 et 2003. Aujourd’hui, la place des ménages de salarié ou de chômeur dans l’échelle des niveaux de vie est comparable à celle qui prévalait au milieu des années 1950.
Tout en bas de l’échelle des niveaux de vie, les chômeurs et les allocataires de minima sociaux restent les grands oubliés de la croissance. Alors qu’en 1988, le niveau de vie moyen des ménages représentait 3,8 fois celui des allocataires de minima sociaux, cet écart est passé en 2003 à 4,2.
Les récentes revendications salariales ne sont donc pas le fruit d’une illusion d’optique liée à l’annonce de profits boursiers record. La dégradation de la situation des salariés traduit un changement structurel dans le partage des revenus.
Un besoin urgent de nouvelles régulations
Un partage équilibré des fruits de la croissance et des gains de productivité est le seul moyen d’éviter l’enfermement dans un cercle récessif.
Face à ce défi, il faut admettre que l’économie de marché dans laquelle évolue notre pays a été incapable de garantir au cours des 25 dernières années une croissance équilibrée.
Tant sur le front de l’emploi que sur celui des salaires, l’échec est patent. Le chômage et le sous-emploi n’ont jamais été aussi élevés
tandis que les salaires
ont durablement décroché
de la croissance économique.
Les politiques mises en œuvre ont accompagné et, parfois, favorisé ce mouvement en renforçant le poids des mécanismes de marché dans la régulation économique et sociale. Cette fuite en avant montre aujourd’hui clairement ses limites.
La mise en place de nouvelles régulations apparaît plus urgente que jamais.
(*) En fait, l’impôt progressif sur le revenu ne représente qu’une proportion très faible des recettes fiscales dans notre pays. Dès lors, les variations de cet impôt ne peuvent avoir qu’un impact très limité sur le niveau de vie moyen des ménages même si, pour les ménages les plus aisés qui concentrent une bonne part de cet impôt, ces changements peuvent se traduire par des variations assez fortes de leur revenu.
où est passé notre pouvoir d’achat ?
La défense du pouvoir d’achat réapparaît dans les mouvements sociaux.
C’est que :
– . Les salaires temps plein sont de moins en moins fréquents
– . Les salaires temps partiel sont ridiculement bas
– . En même temps les prix augmentent.
Pourtant l’indice des prix à la consommation reste relativement sage parce que les téléviseurs, les CD, les ordinateurs baissent. Mais de l’autre les légumes, la viande, le pain, l’essence, le gaz augmentent.
Autrement dit : le superflu baisse, tandis que l’indispensable augmente.
résultat : beaucoup de chômeurs, de retraités, de salariés, n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Même les classes moyennes ont le sentiment de s’appauvrir.
Pendant ce temps les entreprises engrangent les bénéfices et rémunèrent généreusement leurs actionnaires. « Nous faisons le travail mais ce sont les actionnaires qui raflent le profit » disent les salariés.
La mondialisation a depuis longtemps érodé le pouvoir de négociation des salariés menacés de délocalisation sauvage. Il ne faudrait cependant pas oublier, comme le dit Peter Bofinger (membre du conseil économique et social allemand) :
Si l’on veut traire la vache, il faut la nourrir
On peut espérer que les peuples de l’Europe de l’Est et de l’Asie, atteignent peu à peu un niveau de salaire supérieur. Ce qui limitera la pression à la baisse que nous connaissons en Europe de l’Ouest.
Mais dans combien de temps ? Combien de générations de travailleurs, à commencer par les moins qualifiés, auront été sacrifiées ?
Plus que jamais nous en sommes à « l’horreur économique ».
Les politiques, qui auraient pu mettre en place une régulation mondiale, ont démissionné dans les mains des « écono-mistes » et des puissances financières.
Vive le libéralisme !
Ecrit le 18 mai 2005 :
Allemagne : _ les artisans se tiennent à carreau
Dans l’Union Européenne, la liberté d’entreprise est de règle depuis janvier 2004. C’est ainsi que la ville de Biesenthal, 5000 habitants, a vu s’installer 78 carreleurs indépendants, en une seule année.
En effet les chambres de métiers et de l’artisanat voient affluer les entrepreneurs individuels, dans tous les corps de métier : carreleur, plaquiste, fenêtrier, glacier, et autres, viennent casser le marché à des prix voisins de 10 €, là où l’artisan du coin prend 40 € (salaires, loyer, assurances, impôts et cotisations sociales).
Selon le journal Der Spiegel (cité par le Courrier international), un travailleur polonais s’est même déclaré expert en 27 métiers. La chambre des métiers l’a obligé à transiger sur une dizaine seulement.
Mais cela n’a qu’un temps : lorsqu’un de ces ouvriers-patrons se blesse, il s’aperçoit que, ne cotisant pas, il n’a aucune protection sociale. Les choses rentreront donc dans l’ordre d’ici quelques années. Mais d’ici là des entreprises artisanales auront coulé.
Il n’est pas prévu d’imposer une harmonisation sociale, dans le Traité constitutionnel européen, sauf si tous les pays sont d’accord ’règle de l’unanimité)