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écrit le 19 décembre 2001)
Le troisième millénaire a bien mal commencé, dirait Victor Hugo. Les fêtes de l’an 2000 sont bien passées. C’est la grisaille et l’inquiétude qui l’emportent cette année. Et les exclus qui se comptent pas millions. Le monde moderne fabrique de l’exclusion, comme si les gens « normaux » avaient besoin d’exclus à côté d’eux pour se sentir normaux
Malédiction
_mythologique
Exclus : les chômeurs qui se multiplient partout dans le monde. On accuse l’attentat du 11 septembre. C’est oublier que les vagues de licenciement avaient commencé avant. L’attentat est un alibi commode. Et de plus, qu’est-ce qui explique ce chômage ? Les pertes des entreprises ou leurs moindres bénéfices ?
Dans les premiers jours de novembre 2001 a eu lieu le premier Forum Mondial de l’Emploi. Dans ce cadre l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a annoncé qu’à la fin de 2002, environ 24 millions d’emplois auront disparu en incluant ceux qui ont été éliminés jusqu’à maintenant. L’agence de l’ONU attribue l’augmentation de la destruction des emplois à l’aggravation de la crise économique causée par les attentats terroristes aux États Unis. Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, a de plus lancé l’avertissement que ceci coûtera cher aux pays du Sud et que des millions de personnes seront plus vulnérables à la pauvreté.
L’augmentation remarquable du chômage est présentée d’une façon qui donne l’impression qu’une espèce de malédiction mythologique ou de châtiment biblique s’abat sur nous comme si le sous-emploi était irrémédiable. Et évidemment, devant un châtiment biblique, il semble bien qu’il ne reste que la supplique et la prière pour que les choses n’aillent pas plus mal. Cependant il existe des issues. Et la première, indispensable, consiste par-dessus tout à nommer les choses par leur nom.
Les médias ont annoncé que la menace de récession des derniers mois occasionne des pertes aux entreprises et que ces pertes sont la cause de la mise au chômage du personnel. Ce qu’on ne dit pas, c’est que, par une corruption du langage quotidienne et perverse, on appelle pertes ce qui est, en réalité, une réduction de bénéfices. Oui, il y a beaucoup d’entreprises qui ont réduit leurs espérances de bénéfice, mais qui continuent à être bien à flot. Quand on arrêtera de considérer le bénéfice économique démesuré comme un droit divin inaliénable et que le très libre mouvement global de capitaux sera régulé de quelque façon, la tendance à la destruction des emplois commencera à céder.
Pas de photo !
Exclus : les « bénéficiaires » des Restau du cœur. Cette appellation de « bénéficiaires » aurait quelque chose de comique si elle n’était pas si triste.
« Surtout ne me prenez pas en photo » : lls étaient nombreux ceux qui se pressaient, mardi 11 décembre 2001 à l’ouverture du Restau du cœur de Châteaubriant. Le responsable, Daniel Martin, est inquiet : « avant même d’ouvrir, nous avons 110 inscrits, dont 60 nouveaux, ce qui représente 18 familles. Nous avons en outre le sentiment que vont revenir tous ceux que nous avions l’an dernier » ce qui prouve qu’il n’y a pas eu de « sortie de crise » pour la plupart des « bénéficiaires » de l’an dernier, et au contraire aggravation pour de nouveaux inscrits.
La sélection est pourtant sévère. Des justificatifs de ressources sont demandées. Les gens du voyage doivent présenter leur livret de circulation et un certificat de scolarité des enfants. Certaines personnes tout-Ã -fait en âge de travailler et n’ayant pas de problèmes de santé sont incitées à faire la preuve de leurs démarches de recherche d’emploi. Et pourtant, malgré cette sélection rigoureuse, le nombre de demandeurs progresse
« En même temps notre approvisionnement est insuffisant. Nous devons aller à Nantes une fois par semaine mais on ne nous donne pas assez en fonction du nombre de personnes que nous recevons. Nous manquons de viande, de légumes, de fruits, d’œufs et de produits d’hygiène »
Ce n’est pourtant pas faute d’en chercher car les 47 bénévoles du Restau du cœur sont « sur le pont » de bonne heure : dès 7 h du matin pour faire le tour des boulangeries et des grandes surfaces. Certains apportent des légumes de chez eux, ils acceptent tout ce qu’on leur donne pour pouvoir le redistribuer. Ils font appel à tous ceux qui peuvent apporter, même un petit quelque chose, ou faire un don financier pour acheter les produits nécessaires ; « Nous avons beaucoup de jeunes femmes avec des enfants ». Eh oui, certaines d’entre elles croient que le fait d’avoir des enfants va leur apporter des allocations, mais cela ne suffit pas pour se loger et se nourrir.
Au restau du cœur de Châteaubriant, il y a un coin accueil avec du café (et des galettes une fois par semaine), pour la convivialité, un coin enfants, et des personnes pour conseiller, donner les adresses des agences d’intérim, remotiver les demandeurs d’emploi qui ont perdu courage.
Jardin du cœur
« Nous avons un autre projet : un jardin du cœur. Nous avons un terrain d’un hectare mis à notre disposition. Nous avons des outils, un certain nombre de bénéficiaires sont d’accord pour cultiver des légumes, participer à une production en quantité suffisante pour tous. Ce qui nous manque : ce sont des encadrants, des gens qui savent jardiner et qui sont prêts à donner les conseils nécessaires. L’union fait la force » dit encore Daniel Martin qui aimerait que ce projet se concrétise cette année.
Que tous les bénévoles qui travaillent deux matinées par semaine à ce restau du cœur soient vivement remerciés de même que les associations qui se mobilisent chaque année. Ce fut le cas récemment de Villepôt qui apporta 1000 F à valoir dans la supérette de la commune. Une double bonne action ! Avis aux générosités.
(écrit le 19 décembre 2001)
Les Sans droits
Exclus : les sans papiers. Le CCFD leur a donné la parole le 7 décembre dernier, mais où est la solution de ce problème ?
La France ne peut pas, certes, accueillir toute la misère du monde, mais elle peut, en tant que membre du G8 (groupe des pays les plus riches du monde), impulser une politique de développement de l’ensemble de la planète. Or, force est de constater que les réunions internationales (type OMC ou autres), visent à renforcer les firmes multinationales au détriment du droit des peuples à vivre décemment.
Le 7 décembre, le CCFD avait invité 4 personnes pour parler des « sans-papiers », une toute autre forme de souffrance, moins physique sans doute mais aussi destructrice sur le plan moral. Les rares sans-papiers de Châteaubriant sont seulement de passage vers les grandes villes, celles où ils peuvent trouver des foyers d’hébergement, des soupes populaires, et les administrations qui peuvent peut-être leur obtenir les fameux « papiers ».
Une immigration dictée
« Sans-papiers » ce n’est pas un choix de vie, c’est souvent une immigration dictée par des événements dramatiques dans le pays d’origine (les massacres en Algérie par exemple) ou par la pauvreté extrême.
Un membre de la Communauté Emmaüs de Marseille a cité le cas d’un jeune Ukrainien, diplômé de l’enseignement supérieur, venu tenter sa chance en France, pays des Droits de l’Homme. Il espérait trouver du travail mais un visa de touriste n’est pas une carte de séjour permanente. Pas de papiers, pas de possibilité de trouver du travail. Il a craqué. La mafia russe l’a vite repéré pour le jeter dans un réseau de prostitution et c’est, paniqué, le foyer Emmaüs de Nice puis celui de Marseille qui l’a recueilli. Il se refait une santé, est un peu plus tranquille dans sa tête mais ne peut trouver ni logement, ni travail. « Ce n’est pourtant pas illégitime d’aller chercher du travail dans un autre pays. Pas mal de Français tentent ainsi leur chance aux USA et au Canada par exemple, voire en Irlande » dit ce militant.
J’étais étranger
et tu m’as accueilli
A Nantes, le CCFD est dans le « collectif des sans-papiers », une dizaine d’organisations qui se relaient pour montrer une solidarité concrète aux migrants dont les droits ne doivent être ni ignorés, ni violés. « J’ai eu faim et tu m’as donné à manger, j’étais étranger et tu m’as accueilli » dit l’Evangile, cette « Bonne Nouvelle » dont on oublie si facilement les passages de ce type.
Souvent, les sans-papiers de Nantes sont des gens qui sont venus demander un asile politique. Ils doivent prouver que leur vie est réellement en danger dans leur pays. Preuve pas facile à apporter. Si l’Office des Réfugiés refuse ce droit d’asile, la personne devient un « sans-papiers » : « Sans-papiers, sans droits. On est vite comme une petite souris qui a peur de tout le monde, peur en particulier de se faire expulser vers le pays d’origine ». Le récépissé de refus du droit d’asile porte en gros caractères : « Ce document n’autorise pas son titulaire à travailler ». Difficile dans ces conditions de trouver du travail.
Le rôle du collectif des sans-papiers c’est d’aider à résoudre tous les problèmes de la vie quotidienne, trouver des moyens de subsistance grâce aux restau du cœur et aux associations caritatives, faire pression sur la mairie ou la préfecture pour fournir un logement. « Pendant longtemps les sans-papiers ont logé sous une tente dressée devant la préfecture. Un jour on leur a interdit d’utiliser les toilettes publiques. Mais comme par hasard, quand MM. Jacques Chirac et Lionel Jospin sont venus à Nantes, la préfecture a trouvé des logements. Mais pour 3 mois seulement. Dans 3 mois il faudra recommencer à se battre ».
Le problème des sans-papiers est lié au problème du sous-développement.
Il est normal que des hommes cherchent à vivre mieux et frappent à la porte des pays riches. Ceux-ci se montrent plutôt pingres. La France avait promis de consacrer 0,64 % de son Produit National Brut pour coopérer avec les Pays en voie de développement.
Mais de la promesse à la réalité il y a un fossé : elle ne contribue qu’Ã hauteur de 0,35 %.
mis en ligne le 25 août 2002
On va pas les assister, quand même !
Dans le cimetière de Douville-sur-Andelle, petit bourg de 300 habitants à une vingtaine de kilomètres de Rouen, un homme creuse lui-même la tombe de sa femme pour économiser les frais d’inhumation.
Visiblement fatigué mais déterminé à offrir à sa compagne morte samedi 24 août 2002 une sépulture décente, Pierre Collier, 59 ans, qui vit avec 393 euros d’Assedic par mois, a expliqué à l’AFP qu’il ne pourrait jamais rembourser les sommes avancées par l’aide sociale pour l’enterrement, d’où son geste pour économiser.
« Le maire m’a dit que si je voulais économiser sur le remboursement, je pouvais creuser la tombe moi-même. Il m’a indiqué la place et je me suis mis au travail », poursuit M. Collier, pelle à la main, au fond du trou d’un bon mètre de profondeur.
« J’ai été choqué, bouleversé et étonné à la fois. C’est la première fois que je voyais ça », ajoute cet homme. Malgré sa surprise, il affirme ne pas en vouloir au maire, qui, selon lui, a simplement « fait ce que sa fonction et sa hiérarchie lui permettaient de faire ».
Seul avec sa misère d’âme
« C’est le système qui vous laisse seul avec vous-même dans une telle situation que j’accuse », affirme cet ancien militaire, engagé dans la légion étrangère entre 1965 et 1972, qui aujourd’hui réside dans un très modeste mobile home, tout près du cimetière, un peu à l’écart du centre du bourg.
Le maire s’est pour sa part justifié en expliquant « qu’on ne pouvait pas toute sa vie se comporter en assisté ».
Le remboursement des frais engagés par le Centre communal d’action sociale (CCAS ) pour les obsèques a été demandé pour « lui faire comprendre que son habitude de se comporter en assisté ne pouvait pas être prise en compte en n’importe qu’elle circonstance », a-t-il déclaré au micro de Radio-France Haute-Normandie.
Après avoir vécu de petits boulots et de contrats emploi-solidarité (CES), M. Collier a quitté voici deux ans le foyer d’hébergement de l’Armée du Salut de Radepont (Eure) où il avait rencontré sa future épouse. « On s’est marié en 1999, on voulait avoir notre domicile à nous », explique-t-il.
Aujourd’hui, il réside dans une zone à part, où un propriétaire loue plusieurs petits lopins de terre pour l’installation de mobile homes, ce qui coûte 260 euros par mois à chacun des locataires, privés d’APL pour cause de logement hors-normes.
Juste en face de chez lui, une voisine, Yvonne, 73 ans, qui réside depuis 22 ans dans sa caravane et a perdu son mari l’année dernière : « C’est la première fois que je vois quelqu’un creuser la tombe de sa femme. On n’est plus au siècle d’antan. Je vais lui acheter une petite fleur », commente-t-elle.
« C’est un scandale. On ne laisse pas quelqu’un enterrer sa femme comme ça, pire qu’un chien », estime quant à lui Jean-Pierre Mahieu, venu donner un coup de main après avoir lu « l’histoire » dans Paris-Normandie.
« C’est inhumain de voir ça. Je suis prête à payer la messe », affirme Colette Gervais, qui a donné l’alerte après avoir surpris l’ancien légionnaire, seul, en train de creuser alors qu’elle se recueillait sur la tombe de ses enfants.
Aujourd’hui, M. Collier a pour seul souci que « tout soit prêt pour les obsèques ». S’il avait de l’argent, confie-t-il, il retournerait volontiers pour sa retraite, dans la région de Braydunes, d’où il est originaire. « Dans le département du Nord, l’aide sociale ne vous laisse pas tomber », dit-il, ajoutant que, de toutes façons, il ne « laisserait jamais sa femme toute seule ».
Ecrit le 7 mai 2003 :
Faillite civile et Rétablissement
Jean-Louis Borloo, ministre de la Ville et de la Rénovation urbaine, annonce la création d’un système de faillite civile pour les personnes surendettées. Cette mesure vise à « interrompre le cercle vicieux » qui touche près de 500 000 familles.
Inspirée notamment du système de la faillite civile appliqué en Alsace-Moselle, cette réforme permettra à la justice d’évaluer des dettes telles que : les dettes fiscales, les impôts, la redevance, les dettes d’hôpital, la cantine, les loyers.
Une fois établie, la liste des créances sera soumise à l’appréciation du juge qui proposera la solution la mieux adaptée. Le magistrat pourra mettre en place un plan de redressement financier limité dans le temps, « Ã l’échelle des capacités financières du débiteur ». Dans le cas où le débiteur se trouvera « manifestement insolvable et de bonne foi », le juge pourra prononcer la liquidation de la créance (mais en faisant vendre tous les biens de la personne).
Le ministre de la Ville a exprimé au cours de l’interview, son souci de sortir les personnes surendettées de la « spirale infernale », dans laquelle elles sont prises. « Ce sont les victimes d’accidents de la vie. », a-t-il indiqué.
Avec ce nouveau projet de loi, le ministre souhaite donner aux surendettés une nouvelle chance de revenir dans un système normal et barrer la route à l’exclusion.