El Ejido : les tomates ont goût de sang
Quand, dans le jargon néolibéral, on parle de liberté de circulation, il s’agit non d’une liberté humaine... mais de celles des capitaux.
Par exemple à El Ejido (Espagne) l’Europe récolte les fruits de la fermeture des frontières : souvenez-vous, les 5, 6 et 7 février 2000, la population de la ville andalouse d’El Ejido se livre à un véritable pogrom à l’encontre de la communauté immigrée : chasse à l’étranger provoquant une soixantaine de blessés, destructions de logements et de locaux, des organisations civiques attaquées. La police ne réagit qu’après trois jours, pour éviter des morts qui auraient fait scandale.
El Ejido est un désert transformé artificiellement en mer de plastique : 30 000 hectares de serres abritent des légumes produits intensivement à grands renforts d’engrais, de pesticides et d’exploitation humaine. Ceci en vue de satisfaire la consommation de légumes hors-saison en Europe du Nord pendant son hiver. C’est l’avènement d’un système économique qui réclame de tout, tout de suite, du moment que cela se vend et ce, quel qu’en soit le coût éthique ou écologique, pourvu que le profit soit maximal.
A El Ejido, services publics et administrations sont impliqués dans ces débordements haineux qu’ils n’ont pas voulu maîtriser et que désormais ils couvrent. Aucun procès et nulle sanction n’ont été prises vis-Ã -vis des responsables, la population se tait, nul ne sait rien, nul ne fait rien. « avec la bénédiction du gouvernement espagnol, de l’Europe et des amateurs de fruits et légumes frais à qui ce rapport aimerait rappeler leur coût humain et leur goût de sang »
Extrait de « Le grain de sable »
(texte venu par « Le Grain de Sable », organe de diffusion de ATTAC)
Attentats du 11 mars 2004 : voir page 1294 Terrorisme, Espagne, citrons, Londres
Ecrit le 24 mars 2004 :
Leçons d’Espagne
Les élections en Espagne, le 14 mars 2004, ont montré que le vote peut faire basculer un pays, remettre en cause ses engagements en Irak, bouleverser ses conceptions européennes ........
On a dit : « Les poseurs de bombes ont gagné ». En réalité on s’attendait à ce que les électeurs se portent massivement vers la Droite qui, par tradition, incarne la sécurité. Les poseurs de bombes ont gagné : quel mépris du peuple il faut avoir pour dire cela ! Il faut des « poseurs de bombes » pour que 77 % des gens aillent voter ? pour que la jeunesse se mobilise et batte la droite ?
Retournement
Il y a eu, c’est vrai, un vaste « Retournement ». On pourrait presque dire « révolution ». Le Parti Populaire (parti de M. Aznar) était crédité de 5 à 6 points d’avance quelques jours avant l’élection. Le seul enjeu était de savoir s’il conserverait ou non sa majorité absolue. Et ce fut la déroute, qui s’explique par une forte participation, une mobilisation exceptionnelle de l’électorat de gauche, ainsi que de ces deux millions de jeunes qui votaient pour la première fois. Mais le principal responsable est sans doute José Maria Aznar, lui même.
Premier mandat sans faute
Son premier mandat avait été un sans faute. Une économie revitalisée, une croissance continue et la création d’un centre-droit « pacifié » et moderne .
Tout a changé en 2000, lorsque M. Aznar a emporté une majorité absolue au Parlement. Il a cru que tout était permis « Il a pris pour devise, malheur aux vaincus », confiait à l’époque un élu socialiste. Ce qui passait pour des qualités s’est peu à peu transformé en handicap. « Son goût du secret est devenu de la dissimulation, écrit un analyste, sa détermination, de l’obstination ; sa retenue, la morgue de quelqu’un qui décide désormais en solitaire. »
La gestion maladroite de la catastrophe du Prestige en Galice ; une crispation continue avec les partis nationalistes modérés ; un affrontement permanent avec l’opposition, accusée de « traîtrise » lorsqu’elle tente de faire valoir des options différentes ; un dialogue syndical rompu ; une « domestication » d’une bonne partie des télévisions, au point que l’Union européenne l’a dénoncée, et puis l’engagement dans la guerre en Irak aux côtés de la coalition anglo-américaine malgré la porte opposition de la population (91 %) : le terrain devenait mouvant. Mais M. Aznar était sur un petit nuage.
Les attentats du 11 mars 2004 ont montré un gouvernement en partie dépassé par les événements. Et surtout, manoeuvrier, s’obstinant à désigner la piste, toujours payante électoralement pour lui, du terrorisme basque, au point que plusieurs journaux espagnols soulignent qu’ulcérés par les déclarations du gouvernement sur la conduite de l’enquête, certains services secrets espagnols auraient menacé d’organiser des fuites sur la réalité des faits.
Contrairement à ce que certains voudraient laisser croire, les Espagnols ont voté contre M. Aznar et son Parti populaire non par peur, mais par colère. Ils n’ont pas supporté que le gouvernement, son président en tête, leur mente. Qu’il cherche à manipuler leurs suffrages en reportant toute la responsabilité des attentats sur l’ETA alors qu’il possédait déjà des éléments débouchant sur la piste islamiste. Cette manipulation de l’information, appuyée par des pressions sur les grands médias, a ravivé le souvenir d’autres mensonges, sur la présence d’armes de destruction massive en Irak, par exemple, sur lesquels M. Aznar a refusé de s’expliquer.
Le choc a bouleversé l’opinion au point de faire remonter, en à peine trois jours, la colère provoquée par l’engagement en Irak et saper toute confiance dans des dirigeants brutalement discrédités.
« Manipuler les votes est le pire crime contre la démocratie ». criaient les manifestants de ce week-end des 13-14 mars.
Les Espagnols ont sanctionné un « manquement à la vérité », à la transparence, au respect auquel les peuple sont droit. Pour une fois que la morale a un effet politique, il importe de le signaler.
L’injustice de la politique sociale du gouvernement de M. Aznar a fini par provoquer un ras-le-bol.
« On ne comprend pas » : les économistes s’étonnent du résultat des élections en Espagne. Ils remarquent que :
– . Le taux de chômage est passé de 23 % à 11 % en huit ans
– . Le revenu par habitant a progressé de 36 % depuis 1996
– . Le produit intérieur brut a progressé de 2,4 % en 2003 (moyenne 0,7 % dans l’Union Européenne)
– . Les comptes de la nation sont en excédent (0,3 % du PIB en 2003). De quoi faire pâlir la France et l’Allemagne dont le déficit dépasse les 3 % et continue à se creuser
Alors, que demande le peuple ? Eh bien le peuple fait remarquer que ces « bons » résultats économiques se sont faits au dépens des dépenses sociales, l’Espagne figurant au bas de l’échelle dans ce domaine dans l’Union Européenne. Les ménages modestes constatent en particuliers une flambée de l’immobilier : + 120 % en huit ans.
Faisons un petit calcul pour une famille aux revenus moyens.
1996 :
La famille gagne 1500 € par mois
– Elle a des économies de 10 000 €
– Elle achète une maison de 100 000 € en empruntant 90 000 € à 5 % sur 25 ans. Cela lui fait 526 € par mois. C’est dur, mais faisable.
2004 :
– Le revenu de la famille a progressé de
36 % . Il atteint donc 2040 € par mois.
– La famille a 20 000 € d’économies.
Le prix de la maison a augmenté de 120 %, ce qui met la maison à 220 000 €
– La famille veut emprunter 200 000 € à 5 % sur 25 ans. Cela lui ferait 1170 € par mois. Impossible.
C’est cela la réalité économique pour les familles ! Voilà pourquoi les Espagnols ont dit NOn à une politique douce aux riches et dure aux pauvres, qui associe privatisations, casse sociale et criminalisation des mouvements sociaux. Le président Aznar a réduit le chômage en développant la précarité. Les jeunes ne peuvent plus se loger, l’endettement des ménages explose, la couverture sociale régresse, les taxes locales et indirectes augmentent pour que l’impôt sur le revenu baisse.
méthode Aznar
Parallèlement M. Aznar a misé sur la sévérité, en durcissant les pratiques judiciaires et policières. Les prisons regorgent de détenus tandis que la délinquance perdure. Le Premier ministre a tenté des diversions, incriminant les immigrés, qu’il a expulsés par milliers. Il a attisé ensuite la tension au Pays basque et fait capoter le processus de paix. Pour avoir les coudées franches, M. Aznar a installé peu à peu un « État-PP ». La presse est restée bien discrète sur les scandales de corruption à droite.
A partir des législatives de 2000, qui lui ont donné la majorité absolue, M. Azar a organisé un transfert massif des élèves du public vers le privé, rétabli l’enseignement obligatoire de la religion, stigmatisé aussi les homosexuels et le concubinage et tenté de rétablir une censure pour la presse. Quand les policiers torturent des immigrés et des Basques, il a cultivé l’impunité en les graciant, s’ils sont condamnés. Il a réhabilité Melitón Manzanas, ex-auxiliaire de la Gestapo et tortionnaire notoire assassiné par l’ETA en 1968.
Les méthodes de M. Aznar pourraient faire recette ailleurs. Sa grande complicité avec Nicolas Sarkozy, à qui il a remis en personne la plus haute distinction civile espagnole, a de quoi inquiéter.
(d’après les journaux : Le Monde, Libération, Marianne, l’Humanité)