(écrit le 17 janvier 2001)
Deubeuliou la terreur
C’est le 20 janvier 2001 que le nouveau président des Etats-Unis va prendre ses fonctions : il s’agit bien entendu de Georges W. Bush. Ce « W » qui se prononce « Deubeuliou » chez les ricains.
Dans un article publié dans la presse du Zimbabwe, Jonathan Moyo docteur en sciences sociales, estime que tous les enfants du monde devraient étudier le déroulement des élections aux Etats-Unis, car elles sont manifestement la preuve que la fraude n’est pas un phénomène réservé aux pays en voie de développement.
Pour étayer ce point de vue, il expose, non sans humour, l’argumentation suivante :
Imaginez
– Imaginez que nous lisions un article dans notre journal préféré parlant d’une élection dans un pays du Tiers Monde où le candidat qui s’est autoproclamé vainqueur était le fils de l’ancien premier ministre qui était lui-même l’ancien chef de la police secrète du pays (CIA).
– Imaginez que ce vainqueur autoproclamé n’ait pas obtenu la majorité des votes de la population, mais qu’il soit quand même l’heureux gagnant des élections selon une règle héritée de l’époque du colonialisme qui prévoit que c’est un collège électoral qui doit désigner le président.
– Imaginez que la « victoire » du vainqueur autoproclamé ait été acquise à la suite du dépouillement contesté des bulletins de vote dans un district dirigé par son propre frère !
– Imaginez que dans un district, justement celui où les électeurs étaient en faveur de l’adversaire du candidat autoproclamé, les bulletins de vote aient été imprimés de telle manière que des milliers d’électeurs n’ont pas voté pour leur candidat favori, mais pour un autre candidat.
– Imaginez que les représentants de la caste la plus méprisée du pays, qui craignaient ouvertement pour leur vie et leur gagne-pain, se soient présentés en masse pour voter avec une unanimité presque totale contre le vainqueur autoproclamé.
– Imaginez que des centaines de membres de cette caste méprisée aient été bloqués sur le chemin des bureaux de vote par la police de l’Etat qui avait reçu ses ordres directement du frère du vainqueur autoproclamé.
– Imaginez que six millions d’électeurs se soient rendus aux urnes dans la province contestée et que le vainqueur autoproclamé ne « gagne » qu’avec 327 voix d’avance. C’est-Ã -dire un chiffre sans doute inférieur à la marge d’erreur des machines qui effectuent automatiquement le décompte des voix.
– Imaginez que le vainqueur autoproclamé et son parti politique s’opposent formellement à un contrôle et à un nouveau décompte manuel des voix dans la province contestée ou dans le district où la situation est la plus disputée.
– Imaginez que le vainqueur autoproclamé, lui-même gouverneur d’une province, ait les plus mauvaises références en matière de droits de l’homme de toutes les provinces et de tout le pays, et qu’il détienne même le triste record du plus grand nombre d’exécutions.
– Imaginez que l’une des plus importantes promesses électorales du vainqueur autoproclamé ait été qu’il nommerait à vie à la Haute Cour de Justice du pays des personnes qui, comme lui, ne respectent en rien les droits de l’homme.
Personne parmi nous ne prendrait la peine de croire qu’une telle élection est représentative d’autre chose que de la volonté du candidat autoproclamé de prendre le pouvoir à tout prix. Et je peux tout à fait imaginer que nous tournerions tous la page du journal avec un sentiment de dégoût, en nous disant que nous avons à nouveau été les témoins d’une péripétie plus que navrante, orchestrée par des individus anti-démocrates dans une région un peu bizarre de notre planète.
(écrit le 17 janvier 2001)
Les Américains s’interrogent
sur leur « modèle »
« Le reste du monde aimerait nous ressembler », a dit Albert Gore lors d’un des duels télévisés qui l’ont opposé à George W. Bush. Tous les Américains ne semblent pas partager cet optimisme : au faîte de leur puissance et de leur prospérité, ils semblent saisis par le doute. Au-delà du diagnostic bien connu sur les fragilités de l’économie américaine (un déficit des comptes extérieurs et un endettement privé colossal), c’est une question de civilisation qui est posée : les Etats-Unis ont-ils les moyens d’assurer durablement leur rayonnement sur le reste du monde ? La « nouvelle économie » et la course à la productivité ont permis aux Etats-Unis de créer plus de richesses qu’à aucun autre moment de leur histoire. Mais cet événement heureux (et qui n’a eu qu’un temps puisque, désormais, « la nouvelle économie » se casse la figure) s’accompagne d’une série d’effets secondaires plus ou moins difficiles à supporter. Beaucoup d’Américains disent par ailleurs souffrir du stress. Une récente étude réalisée auprès de 1 000 personnes par le Radcliffe Public Policy Center (université de Harvard) montre que les Américains rêvent d’avoir une vraie vie de famille, d’être mieux respectés par leur employeur et ont peur de ne pas pouvoir financer leur retraite.
Pour les millions d’Américains qui sont dépourvus d’une bonne qualification et qui multiplient les petits emplois de service pour joindre les deux bouts, la prospérité a un goût aigre-doux. On compte encore à peu près 3 millions de personnes qui disposent d’un emploi à plein temps et qui se retrouvent néanmoins proches du seuil de pauvreté (13 000 dollars de revenus par an pour une famille avec un enfant).
L’ampleur des inégalités inquiète beaucoup d’Américains. Toutes les études montrent que le fossé entre les plus hauts et les plus bas revenus n’a cessé de se creuser au cours des années Clinton. Même si le plein emploi commence à avoir un effet bénéfique sur les bas salaires, le revenu moyen des moins favorisés a baissé entre la fin des années 80 et la fin des années 90, tandis que celui des plus riches a progressé de manière spectaculaire.
La mondialisation inquiète
La réduction des inégalités raciales est toujours à l’ordre du jour. Les minorités sont les plus exposées aux risques de santé, même si l’absence de couverture sociale concerne aussi beaucoup de familles blanches. Un chiffre permet de résumer l’ampleur du problème : 43 millions d’Américains ne disposent pas d’assurance-maladie.
Quant au système éducatif, ses performances ne sont pas aussi bonnes qu’on pourrait s’y attendre de la part de la première puissance économique mondiale. Des « progrès substantiels » doivent être atteints en matière d’éducation primaire et secondaire,
La « mondialisation » pose problème aux USA comme partout : quelle est la marge de manœuvre du politique dans une économie mondialisée ? L’écrivain Norman Mailer exprime le point de vue de beaucoup de ses compatriotes lorsqu’il dit que, « depuis longtemps, ce n’est plus le président qui a le pouvoir dans ce pays, mais les grandes entreprises ».
Source : un article de Lucas Delattre
Le Monde du 6 novembre 2000
----------