Ecrit le 14 février 2007
L’abbé au paradis ?
Après avoir erré comme une âme en peine quelques jours encore, l’abbé Pierre a pris le chemin du monde éternel.
Pourquoi a -t-il erré ? Vous ne le savez pas ?!!! Mais c’est ce que font tous les morts : ils assistent invisibles à leurs obsèques afin de voir comment le monde ici-bas les quitte, puis ils se retrouvent sans s’en rendre compte sur un chemin lumineux, long, très long vers le monde éternel.
L’abbé Pierre est comme les autres, il n’a pas eu de traitement de faveur. Il doit parcourir le chemin. Son seul avantage est d’avoir retrouvé ses jambes de 20 ans, ce qui n’est déjà pas si mal.
Au bout de quelques temps, il se retrouve devant un carrefour à mille routes. Là , il se dit que la tâche est bien dure, comment choisir ? En tournant autour du rond-point joliment fleuri, il rencontre d’autres personnes qui hésitent. L’abbé engage la discussion avec un vieux bonhomme et lui demande ce qu’il attend, le vieux le regarde bizarrement et lui répond : « Je suis bien là , maintenant que je n’ai rien d’autre à faire, tourner en rond, c’est pas mal ! ». L’abbé, lui, n’a jamais réussi à tourner en rond. L’action a toujours été son seul leitmotiv.
Mais le vieux bonhomme se rapproche et souffle à l’abbé : « Bon, je vous aime bien. Alors, je vais vous confier un secret. Je bosse pour les RG, je regarde le chemin pris par les morts et j’en informe directement Nicolas Sarkozy. » L’abbé manque de s’étouffer : « Encore lui, il ne va pas nous laisser tranquille celui-là ! » Et le vieux bonhomme continue son tour de rond-point en partant dans un grand éclat de rire.
L’abbé Pierre, moitié fâché, prend un chemin au hasard et marche droit. Longtemps, longtemps, mais toujours sans fatigue pourtant. Il commence néanmoins à pester contre Dieu qui aurait au moins pu prévoir une charrette avec un âne pas trop bâté.
Tout d’un coup au loin, il aperçoit enfin un bâtiment. Ca ne ressemble pas à grand-chose mais c’est le seul endroit qui semble vivant dans ce monde. L’abbé entre, c’est une espèce de grand bar où les gens boivent tous un coup. Et là parmi la foule, il reconnaît Coluche. Il s’approche, lui tapote l’épaule.
Coluche se retourne, reconnaît l’abbé, s’esclaffe : « Ben alors l’abbé, t’as fait du rab chez les vivants. On t’attend depuis un moment ici. Ta place était réservée mais tu ne semblais pas pressé. »
L’abbé rigole : « Je vois que tu n’as pas changé, ça me fait du bien ! »
Puis il commence à regarder autour de lui et découvre avec étonnement que tous les murs sont recouverts d’écrans télé dernier cri tous allumés.
« C’est ça le paradis ? », s’étonne l’abbé.
« Si on veut ... », répond Coluche d’un air énigmatique alors que tous les autres présents remettent le nez dans leur verre.
« Bon, dit l’abbé, j’ai bien marché. Maintenant, je ferais bien un petit somme. » Coluche l’invite à le suivre, il ouvre une porte qui donne sur un grand couloir empli de tentes igloo.
« C’est une blague ou quoi ?! On n’est pas chez les enfants de Don Quichotte ici ! », s’exclame l’abbé.
Coluche reprend son air énigmatique. « Bon, je vais dormir et on reparlera de tout ça plus tard... » L’abbé s’installe dans une tente et s’endort du sommeil du bienheureux.
Quelque temps plus tard, bien reposé, il revient dans le bar où les télés sont toujours allumées et montrent les images terribles de la société humaine : guerres, sans-abris, chômeurs, rafle CRS en pleine distribution des Restos du cœur ...
Coluche s’enflamme : « Pauvre cons, on n’arrête pas des gens qui ont faim. C’est devenu un délit d’être pauvre depuis que je suis mort ? Hein l’abbé ? »
L’abbé en a marre : « Je ne suis pas arrivé ici pour voir ça. Eteignez-moi tout ce bordel ! »
Coluche le regarde en hochant la tête :
– " Non, ça, je crois qu’ça va pas être possible. Tu peux changer les chaînes si tu veux, mais pas éteindre...
– Je suis mort, j’ai quand même droit à un peu de repos, rétorque l’abbé.
– Je voudrais bien, moi aussi, lui répond Coluche, mais on ne peut pas.
– Alors, depuis que t’es là , tu vois toujours les malheurs du monde et tu supportes ça ...?
– J’ai bien essayé de me suicider pour ne plus voir ces images mais on m’a dit qu’on ne pouvait mourir qu’une fois.
– Tu fais quoi alors, demande l’abbé ?
– Je bois pour oublier ou alors je change toutes les chaînes et je mets des reportages animaliers, ça me détend, soupire Coluche.
L’abbé boit un coup, marche de long en large puis s’écrie : « Puisque c’est comme ça, je veux un rendez-vous tout de suite avec Dieu ou Saint Pierre. Ca va barder, nom de dieu ... heu, pardon, nom de zeus ! »
« Tu vas faire comme les autres, l’abbé mais je te préviens, il y a 3 mois d’attente »
« C’est quoi ce souk, je suis l’abbé Pierre quand même. Il ne va pas me faire poireauter comme ça. C’est où son bureau que j’aille le secouer un peu. »
« Ah, je te reconnais bien là l’abbé, dit Coluche, toujours révolté. »
« Je ne me suis pas fait chier toute ma vie à bosser pour lui, pour me retrouver là à regarder les misères du monde sur écran.! »
« Eh bien, vas-y ! »
Coluche lui indique le chemin et l’abbé se retrouve rapidement dans une file d’attente interminable où il reconnaît des gens croisés chez les vivants et qui ont eu sûrement moins de chance que lui. LÃ , pris de scrupules au bout d’un moment, il rebrousse chemin non sans pester contre Dieu et le diable en même temps. Coluche le voit revenir tout penaud.
– Alors l’abbé, tu l’as vu ?
– Non, je n’ai pas pu faire ça ... Mais j’irai un de ces quatre lui dire tout le bien que je pense de son foutu paradis !
– Ah, tu crois toujours être au paradis ...?
– Pourquoi, c’est pas l’enfer tout de même ! J’ai pas trimé toute ma vie pour finir comme ça.
– Je n’en sais rien. Mais enfer ou paradis, nous sommes ici au chaud et on peut boire des coups.
– Sers m’en un d’ailleurs, soupire l’abbé.
Après un bon verre, il se détend enfin et demande à Coluche : « Alors, qu’est-ce que tu penses de ce monde que tu as quitté ? »
– « C’est toujours autant le bordel, sinon plus. J’ai créé les restos du cœur pour aider et c’est devenu une machine qui donne bonne conscience à ceux qui n’ont pas faim. Les riches sont toujours plus riches et tu connais la suite. Et les politiques ne bougent que si on les pousse vraiment. C’est désolant .Et toi l’abbé ? »
– « Je ne sais pas, je suis perplexe. Mais maintenant, je sais que j’ai l’éternité pour y réfléchir ... à la perplexitude ! »
Cette histoire est bien sûrtotalement inventée et n’a bien entendu aucune valeur à part le fait de vouloir rendre hommage à deux figures du XXe siècle qui pourraient nous aider à réfléchir sur un XXIe siècle plus solidaire.
Lulu Topie
Le testament de l’Abbé Pierre ? Voir ici :
http://www.journal-la-mee.fr/IMG/abbe.avi