Ecrit le 12 novembre 2008
« l’argent ne fait pas le bonheur », entend-on parfois dire. A quoi Jules Renard rétorquait : « Si l’argent ne fait pas le bonheur, rendez-le ! ». Confisquer à quelques-uns leur parachute doré ne suffirait pas à résorber la grande pauvreté en France, il serait cependant nécessaire de mieux redistribuer les euros. c’est ce qu’explique Janine Mossuz-Lavau dans un essai de la Fondation Jean-Jaurès.
Il faut se rendre à l’évidence, dit-elle : « la pauvreté n’est pas neutre. Elle a un genre, elle frappe d’abord la population féminine ». Quelques chiffres : 80 % des travailleurs pauvres sont des femmes. Les femmes sont également plus touchées par le chômage. Et ce d’autant plus qu’elles sont jeunes et ouvrières. Parmi les ouvriers, les taux de chômage s’élèvent à 17,3 % pour les femmes et 10,2 % pour les hommes. Il faut y ajouter « le halo du chômage » qui comprend les chômeurs « découragés », les indisponibles (notamment rendus tels par la présence de jeunes enfants), en activité réduite et là encore les femmes sont plus touchées que les hommes.
Mais comment font ces femmes, interroge Janine Mossuz-Lavau.
" Quand on les écoute longuement, on est frappé par le fait qu’elles ne peuvent s’en sortir qu’Ã l’une ou l’autre de trois conditions :
– soit en bénéficiant d’aides familiales (financières ou pour certaines un logement gratuit ou hérité),
– soit en se procurant des « à -côtés » (par le travail au noir, parfois le vol),
– soit en s’engouffrant dans les crédits revolving.
c’est le cas d’Emmeline, comédienne de 51 ans, souvent au chômage, divorcée et touchant, pour sa fille de 17 ans, une pension de 170 € mensuels. Comme elle le dit : « Pas même un steak haché par jour ». Alors, quand elle n’en peut plus de l’austérité quotidienne, elle vole une bouteille de bon vin dans le magasin du coin. « Salauds de pauvres », disait-on dans le film d’Autant-Lara, La traversée de Paris.
Comme dit une Rmiste de 48 ans : « Le problème, c’est qu’on m’a appris à tricoter, mais pas à faire des bombes, autrement ça fait longtemps que ça aurait pété (). Je suis très en colère, c’est pas vivre ça. Un pays qui fait vivre son peuple comme ça, c’est pas un pays, c’est une merde. ».
Janine Mossuz-Lavau a rencontré des femmes de 25 à 40 ans, de celles « qui finissent par se résigner, par compter chaque sou parce que c’est la seule garantie de pouvoir le lendemain manger, se transporter, reproduire de fait sa force de travail ». Elles ont encore quelque espoir de s’en sortir un jour.
Mais les pauvres de 40 à 58 ans « ne sont plus jeunes mais pas encore à l’âge de la retraite même si certaines, pour des raisons de santé, ne sont plus au travail. Elles sont installées dans la pauvreté et ont moins d’espoir de sortir de cette catégorie ». Elle cite le cas de Rose, 58 ans, gagnant à peu près le SMIC et devant payer un loyer de 270 € par mois. « Elle n’a pas toujours mangé à sa faim et aujourd’hui, elle n’en finit pas de se réjouir car elle peut »faire des commissions d’avance« . Il y a peu, elle avait dans son placard un paquet de pâtes. Aujourd’hui elle en a deux ou trois : le sentiment d’aisance : passer d’un à deux paquets de pâtes ».
On arrive enfin à la pauvreté à l’âge de la retraite. « Pour nombre de personnes, la retraite est synonyme d’une baisse de revenus mais celle-ci est bien plus flagrante pour les femmes que pour les hommes car on a encore affaire à des générations qui n’ont pas toujours travaillé ni de manière continue, ni à temps plein ».
Quel regard portent sur les pauvres ceux qui ont des revenus confortables ?
Il y a ceux qui donnent.
Et ceux qui ne donnent jamais, en disant que ceux qui mendient veulent de l’argent non pas pour manger mais pour acheter de l’alcool. « Ce refus renvoie à une vieille tradition selon laquelle les pauvres ne savent pas dépenser à bon escient ou, pire, sont voués à une forme de vice que les donateurs potentiels refusent d’entretenir, eux-mêmes étant convaincus de savoir faire le bonheur des gens malgré eux. J’ai envie d’écrire ici : mais de quoi se mêlent-ils ? Ce n’est déjà pas drôle d’être pauvre, si en plus il faut se priver ».
Une autre raison peut être avancée pour rendre compte du tarissement des dons : les vols et cambriolages divers « qui font dire à l’une des femmes que j’ai interro gées qu’elle ne distribue plus d’argent car »maintenant, les pauvres se servent. c’est un autre monde« ».
Janine Mossuz-Lavau plaide pour une augmentation des minimas sociaux avec un SMIC à 1 500 € bruts. Et pour une sorte de plan social pour les femmes qui vont payer ou paient déjà au prix fort le fait d’avoir vécu dans une société où les structures et les mentalités poussaient les femmes à n’être pour un temps que des mères et des épouses.