Ecrit le 25 juin 2008
Sexe et vidéo : mirage ou naufrage ?
vendredi 16 mai 2008, le journal télévisé du 20 h annonce gravement qu’une scène de viol enregistrée sur un téléphone portable, circule entre les élèves d’un collège. Après investigation, il apparaît que les auteurs du viol âgés de 11 ans, avaient décidé d’expérimenter sur une petite fille du même âge ce qu’ils avaient découvert dans un film pornographique. Tout a été filmé. Les enfants seront présentés au juge pour enfants. Annoncée comme un fait inhabituel, l’affaire émeut.
En Martinique, au service social du rectorat, depuis plusieurs mois parviennent des signalements en provenance des établissements scolaires du secondaire qui informent que des actes sexuels mettant en scène des jeunes sont filmés puis diffusés à partir de téléphones portables détenus par les élèves.
d’isolé et de ponctuel, le phénomène commence à prendre une ampleur qui ne manque pas d’interroger, et même plus. La communauté des adultes se sent heurtée. Elle ne se reconnaît pas dans ces pratiques et ne parvient pas à s’expliquer ce qui y préside.
Les jeunes mettent en scène et en image une activité que les codes sociaux prescrivent fermement de cacher. Briser ces conventions, c’est annuler la distance à l’autre. La gêne s’installe en même temps que la situation intrigue.
Ces jeunes, en livrant l’image de leur sexualité, quel but poursuivent-ils ? et pourquoi cet engouement des copains en lieu et place de la réprobation attendue ?
Ce phénomène social m’a interrogée. Qui sont ces jeunes garçons et ces jeunes filles qui s’exposent ou sont exposés à la caméra. Combien sont-ils à s’y prêter ? Pourquoi ces films intéressent-ils tant les jeunes, d’autant que les images, souvent de mauvaise qualité, ne sont ni esthétiques ni érotiques.
Le téléphone portable : cause ou moyen ?
La société de années 2000 est celle de la communication, à la faveur du renouvellement constant des technologies de l’information. L’usage collectif des outils s’est progressivement individualisé grâce à la miniaturisation. Plus de la moitié des Français de tous âges, se sont progressivement équipés d’un téléphone mobile, devenu appareil vidéo.
Société de l’information, mais aussi de la consommation qui n’épargne pas les jeunes générations. Le téléphone portable, devenu objet culte de la sophistication, n’a pas échappé à leur dévolu. Les parents, mi-agacés mi-amusés cèdent à cet achat même s’il est onéreux.
Certes, si les adolescents n’étaient pas dotés d’un téléphone individuel, les films ne circuleraient pas. En tout état de cause, et dans l’urgence actuelle, c’est à l’interdiction de leur usage, ou à leur brouillage au sein des établissement scolaires que les autorités académiques songent enfin à une solution techniquement possible pour les neutraliser.
Des codes sociaux mis à mal
A travers les apprentissages qui se produisent dès l’enfance, l’individu se socialise en s’imprégnant de modèles qui orienteront son comportement d’acteur dans le système social. Le sujet appartient à une société parce qu’il joue une situation sociale qui représente bien cette société en tant que telle. L’espace de liberté des individus doit s’exprimer dans cet espace circonscrit, quelle que soit la technique de mise en scène. Or, par la communication mise en œuvre, les jeunes acteurs et leur « cinéaste » signifient une réalité non conforme aux attentes sociétales. Cette mise en cause des codes sexuels est vécue comme un outrage.
Le permis et l’interdit
En société antillaise, les garçons sont invités dès le plus jeune âge à manifester leur virilité. Pour autant la sexualité n’est pas parlée, mais suggérée sur le registre du non-verbal. En créole le jeune garçon est appelé ti’mal, expression explicite (petit mâle), et illustration du principe éducatif qui enjoint le ti’mal à conquérir. Les proverbes ne manquent pas pour illustrer cette activité attendue dont le plus répandu est :
kòk an mwen déwo, maré poul a zot Mon coq est dehors, attachez vos poules
Jusqu’Ã présent ce savoir faire expérimenté dans le secret des alcôves, se commentait dans un faire savoir au sein des groupes de pairs. Phase incontournable pour acquérir la reconnaissance : que les performances décrites soient fondées ou agrémentées.
Concernant les jeunes filles, la sexualité est tue, cachée. Les parents n’évoquent généralement pas ce sujet avec leurs enfants, particulièrement avec les filles. L’idée qui domine c’est que parler sexualité reviendrait à les y encourager. Alors les familles gardent le silence, et leurs filles sous surveillance.
Ce qu’en disent les garçons
Avec l’arrivée des vidéos, dans certains groupes de garçons, les images remplaceraient les mots. La sexualité agie ne se parlerait plus seulement, elle s’afficherait, et se partagerait par l’image. Interrogés, c’est bien ce qu’expliquent les garçons concernés.
déclarer que l’on pratique une sexualité génitale ne suffit plus. Pour ne pas être traité de puceau, insulte absolue qui court actuellement dans les collèges, il faut le prouver. L’image est incontestable. Il m’a été rapporté que le cadeau d’anniversaire « tendance » actuellement est une fellation, organisée par les copains, filmée de préférence. Puis il faut le faire savoir, par la diffusion de portable à portable, ou sur Internet.
Concernant les jeunes hommes, il semble que ce soit le film en lui-même, les images diffusées qui soient l’élément moteur de la mise en scène. Il ne semble pas non plus que les garçons soient contraints, c’est de plein gré qu’ils s’exposent à la vidéo.
Ce qu’en disent les filles
A la lecture des écrits qui parviennent au rectorat il m’est apparu que les jeunes filles présentes dans ces films ne constituent pas un groupe homogène.
Il y a celles qui savent et acceptent l’enregistrement, puis la diffusion qui en sera faite. Ce qui ne veut pas dire qu’elles en mesurent pleinement les conséquences. Par ailleurs, à travers les faits relatés, ce ne semble pas être le film de l’acte sexuel lui-même qui les conduise à se livrer à la caméra. La mise en image de leur corps, de leur intimité ne les intéresse pas directement. c’est davantage les conséquences de la prise de vue. Une jeune fille déclare qu’elle s’est livrée à cette vidéo pour faire du tort à ses parents, avec qui elle est en conflit. Elle voulait choquer dira-t-elle. Pour d’autres jeunes filles, c’est l’intéressement marchand qui les a déterminées, en cadeau, ou en argent.
Et puis il y a les victimes. Victimes de la prise de vue, découverte lors de sa diffusion par portable. Victimes de la situation lorsqu’elles sont abusées, contraintes.
Victimes encore par malveillance. Telles ces 2 élèves, harcelées, et moquées par les élèves du collège, proies d’une rumeur de vidéo dans laquelle elles seraient mises en scène dans des ébats sexuels. La vidéo n’est pas découverte, mais le mal est fait. Ou encore cette élève nommée ainsi que son lycée sur une vidéo pornographique accessible sur internet. Elle ne se reconnaît pas. Mais il est trop tard.
Ce qu’en pensent les parents des jeunes filles
Les parents réagissent souvent par l’effondrement. La vidéo assène des images pornographiques de leur enfant qu’ils pensaient bien trop jeune pour entrer dans de telles pratiques. Un sentiment de honte mêlé d’incompréhension s’empare de ces familles. Sentiment doublé de colère aussi lorsque la jeune fille est victime.
Ce qu’en pensent les parents des jeunes hommes
l’approche parentale de ce fait social s’harmonise aux représentations de la sexualité en société antillaise. Concernant les garçons, les images choquent les parents, mais pas l’événement en lui-même. Que leur garçon pratique une sexualité génitale est plutôt source de fierté. Mais elle doit être cachée. Telle mère nous explique que l’attitude très sexualisée de son fils au collège (qui lui a valu une exclusion) correspond aux normes actuelles de son expression.
Quelles conséquences ?
Au plan institutionnel, lorsque la vidéo est saisie, le conseil de discipline est réuni qui prononcera le plus souvent une exclusion définitive.
Au plan pénal, la justice poursuit les auteurs ce qui donne lieu à des sanctions. L’exploitation, et la diffusion d’images à caractère pornographique d’un mineur tombe sous le coup de la loi. Des jugements sont attendus au tribunal de Fort de France.
Au plan familial les conséquences présentent de multiples visages, en lien avec les circonstances, les sensibilités, mais également les effets induits par l’environnement. Les jeunes filles demandent généralement à changer d’établissement scolaire pour se faire oublier des élèves. Il est arrivé que la famille choisisse de déménager tant les pressions du voisinage deviennent insupportables.
L’émergence de ce fait social mérite que l’on s’y arrête. Il y a lieu de l’interroger dans ses différentes dimensions pour y apporter des réponses socio-éducatives.
La justice, l’école, sanctionnent systématiquement. Mais est-ce la réponse la plus adaptée ? que comprennent les jeunes de ces sanctions lorsque, de leur plein gré, ils s’exposent à la caméra ? Il y a lieu de tenter de comprendre ce qui se joue dans ces pratiques, et non de condamner.
Notre société, et les aînés qui la composent, ne devrait-elle pas s’interroger sur l’omniprésence de l’érotisation qui, en occupant progressivement tous nos espaces culturels, a permis la banalisation de la pornographie. Quelles sont les limites que nous voudrions imposer, et à qui ?
Ndlr : La Mée a choisi de publier cette analyse qui concerne aussi la France métropolitaine.