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écrit le 25 août 2002
développement durable
La rencontre de Johannesburg fait suite au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, il y a dix ans. La rencontre de Rio a réussi à mettre au point quelques accords et a beaucoup contribué à faire avancer la prise de conscience de l’environnement dans le débat public. Elle a aussi aidé à comprendre que « l’environnement et le développement sont étroitement liés », comme l’a dit Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies. Cet accord sous-tend l’idée de « développement durable » du sommet de Johannesburg
Le développement durable c’est l’exigence de répondre aux « besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre à leurs propres besoins ». L’économiste Robert Solow a formulé de façon plus précise l’idée du développement durable en insistant sur l’obligation de : laisser à la génération suivante « tout ce qu’il faut pour atteindre un niveau de vie au moins aussi bon que le nôtre et que celle-ci veille à la même chose pour la génération qui la suit ».
L’objectif doit intégrer une réduction rapide des privations actuelles, tout en s’assurant que tout ce qui est accompli aujourd’hui peut être maintenu dans l’avenir. La coopération mondiale est nécessaire, à la fois pour alléger les privations actuelles et pour protéger notre avenir. C’est exactement ce que le sommet mondial de Johannesburg va essayer d’accomplir.
Le consensus ... mou
Les perspectives d’une coopération mondiale efficace paraissent-elles prometteuses ? Jusqu’Ã quel point les pays les plus riches sont-ils prêts à aider les efforts de développement des pays les plus pauvres. Sur ce sujet, les perspectives ne semblent pas particulièrement prometteuses
La Conférence internationale sur le financement du développement, qui s’est tenue au Mexique en mars 2002, a produit un document - le consensus de Monterrey - très optimiste par son éloquence, mais assez timide quant à l’ampleur probable de l’aide financière. Le gouffre qui sépare l’attente et la réalité commence à paraître énorme.
Par exemple, les attentes financières nourries par le nouveau partenariat pour le développement africain (Nepad) semblent très éloignées du niveau d’aide qu’on peut raisonnablement espérer, actuellement, des pays riches ou des institutions financières internationales. En général, du point de vue financier, les perspectives du sommet de Johannesburg ne paraissent guère attrayantes.
Plusieurs formes
néanmoins, les activistes qui prônent une meilleure donne financière vont certainement persévérer à Johannesburg. A juste titre. Il est également extrêmement important d’être clair sur le fait qu’une coopération mondiale fructueuse peut revêtir différentes formes - pas seulement celle d’une aide financière générale.
Pour ce qui est de l’environnement, le terrain perdu par le ralentissement des accords internationaux et aussi par le non-respect des accords passés (par exemple, du fait des Etats-Unis pour le protocole de Kyoto) doit être regagné.
Pour ce qui est de l’économie, l’importance de la réduction des barrières douanières dans les pays riches pour les marchandises en provenance des pays pauvres mérite une reconnaissance pratique bien plus grande. Johannesburg offre une excellente opportunité dans ces deux domaines.
Malgré le pessimisme sur l’aide financière générale, il y a de la sagesse dans la remarque pénétrante de Kofi Annan selon laquelle les populations des autres pays ont tendance à être beaucoup plus « réceptives quand on leur présente un problème humanitaire majeur et une stratégie crédible pour le traiter ». La réponse à la pandémie du sida est un domaine évident, mais le besoin plus général d’efforts concertés de santé publique et d’éducation de base exige un engagement mondial plus poussé pour compléter les actions locales.
Dans un autre domaine, l’économie mondiale a besoin de toute urgence de nombreuses réformes institutionnelles. Ainsi, la jurisprudence tend à rendre les lois sur les brevets plus efficaces et moins contraires à l’équité. Les lois existantes ne facilitent pas l’utilisation concrète de médicaments extrêmement nécessaires dans les pays moins riches, car le versement obligatoire de royalties pour les brevets coûte souvent beaucoup plus cher que la production elle-même. Tout aussi important : les lois existantes sur les brevets n’incitent guère les fabricants de médicaments à développer des produits plus appropriés (par exemple des vaccins bon marché et à usage unique), qui sont d’une importance cruciale pour les populations moins riches.
Accroître les libertés
Les pays pauvres peuvent aussi agir pour eux-mêmes de façon positive, sans aide financière des pays riches, qui ne doivent pas être considérés comme les agents du changement. Dans ce contexte, on peut même mettre en doute la stratégie générale qui consiste à définir le développement durable uniquement en termes de réponses aux besoins plutôt que d’utiliser la perspective plus large de l’accroissement des libertés sur une base durable. Les libertés fondamentales doivent naturellement inclure la capacité de répondre aux besoins économiques d’une importance cruciale, mais il faut aussi considérer d’autres aspects, tels que l’élargissement de la participation à la vie politique et le développement des chances dans la vie sociale. Le fait que l’Union inter-parlementaire et le Forum de la société civile organisent des réunions à Johannesburg pendant le sommet est une bonne chose, et on espère que les dirigeants du sommet seront attentifs à leurs soucis.
En fait, la raison pour laquelle l’accroissement et le maintien des libertés démocratiques devraient figurer au cœur des exigences du développement durable n’est pas du tout évidente. Ces libertés sont importantes par essence mais, de plus, elles peuvent contribuer à d’autres types de liberté. Par exemple, le débat public, souvent étouffé sous les régimes autoritaires, peut être d’une importance primordiale pour mener une vie plus complète et également pour mieux comprendre l’importance de la protection de l’environnement et de ses effets à long terme.
Il est très gratifiant de considérer les populations comme des agents pouvant exercer leurs libertés, plutôt que simplement comme des patients dont les besoins doivent être satisfaits. Le fait de moins chercher à obtenir d’importantes garanties financières de la part des pays riches fait partie de ces gratifications.
© Los Angeles Times (Traduit de l’anglais par Florence lévy-Paoloni.)
Amartya Sen est professeur à Trinity College (université de Cambridge, Grande-Bretagne). Il a reçu le prix Nobel d’économie en 1998
Ecrit le 10 mars 2004 :
développement soutenable et participatif
A l’approche des élections régionales, certaines listes (notamment celles de gauche) parlent de développement durable.
Oui, pourquoi pas, dites-vous ? Mais au fait, qu’est-ce que ce concept ?
Pour répondre à cette question, il faut faire un brin d’histoire.
En 1972, le Club de Rome (regroupement de têtes pensantes) fait paraître un rapport commandé à des scientifiques. Ce rapport intitulé « les limites de la croissance » (1) (et non « halte à la croissance ? » comme il fut écrit sur la traduction française) tentait d’expliquer que le modèle de croissance économique sur lequel nous fonctionnons ne pourrait pas durer à cause notamment de l’épuisement de certaines ressources énergétiques, de la pollution... Il préconisait aussi certaines actions à mettre en place rapidement afin de contenir ces problèmes à venir.
Rien ne vint, pourtant c’était le début des ministères de l’environnement dans les pays dits développés (1971 pour la France) et la première crise pétrolière arriva peu après.
Rapport Brundtland
Il faut attendre 1987 et le rapport Brundtland (du nom de son auteur, femme norvégienne, une des premières femmes à avoir obtenu un poste de Premier Ministre au monde) commandé par l’UNESCO pour voir de nouvelles propositions concrètes arriver.
Ce rapport intitulé « Notre Avenir à Tous » propose la mise en place d’un développement soutenable (« sustainable development » en anglais) qui fut traduit par développement durable.
En voici quelques extraits :
« VERS UN DÉVELOPPEMENT SOUTENABLE »
Le développement soutenable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion :
– le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et
– l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale imposent sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir.
(...)
Au sens le plus large, le développement soutenable vise à favoriser un état d’harmonie entre les êtres humains et entre l’homme et la nature. Dans le contexte spécifique des crises du développement et de l’environnement des années 80, que les organismes politiques et économiques nationaux et internationaux n’ont pas résolues - et ne sont peut-être pas en mesure de résoudre - la poursuite du développement soutenable exige les éléments suivants :
– · un système politique qui assure la participation effective des citoyens à la prise de décisions,
– · un système économique capable de dégager des excédents et de créer des compétences techniques sur une base soutenue et autonome,
– · un système social capable de trouver des solutions aux tensions nées d’un développement déséquilibré,
– · un système de production qui respecte l’obligation de préserver la base écologique en vue du développement, un système technologique toujours à l’affût de solutions nouvelles,
– · un système international qui favorise des solutions soutenables en ce qui concerne les échanges et le financement, et
– · un système administratif souple capable de s’autocorriger.
Ces conditions sont en fait les objectifs que devraient se fixer tous ceux qui entreprennent des activités, nationales ou internationales, dans le domaine du développement. Ce qui compte, c’est la sincérité avec laquelle ces objectifs sont recherchés et l’efficacité des actions correctrices. "
Sommet de la Terre à Rio
Ce rapport a donné jour au Sommet de la Terre à Rio en 1992 et a permis certaines avancées internationales en terme d’environnement notamment.
Mais, comme le croient certains, le développement soutenable (j’ai abandonné le mot « durable », j’expliquerai pourquoi...) ne concerne pas que l’environnement, si vous lisez bien les extraits du rapport Brundtland ci-dessus, il est bien dit :
« ... système politique qui assure la participation effective des citoyens à la prise de décisions ... »
D’où le concept de démocratie participative qui est une marche nécessaire pour le développement soutenable. Cette forme de développement ne peut pas être décidée par quelques uns pour tous les autres. Et démocratie participative ne veut pas dire seulement réunion dans un quartier où on parle des places de parking.
De Rio est aussi arrivé « L’Agenda 21 local » (qui) est un projet de développement durable, conçu à l’échelle d’un territoire. Ce projet vise à répondre aux besoins de toute la population, avec le souci de préserver l’environnement, d’assurer l’accès de tous aux services essentiels, de développer des activités économiques soutenables.
Impulsé par l’élu, il est élaboré et mis en œuvre en concertation avec les forces vives de la collectivité (collectivités, habitants, associations, entreprises, structures déconcentrées de l’Etat, réseaux de l’éducation et de la recherche...). L’Agenda 21 local est issu du Sommet de la Terre (Rio, 1992) et de son programme d’action pour le 21e siècle, l’Agenda 21, pour lutter contre la dégradation de la planète, la pauvreté et les inégalités.
En France, nous avons depuis deux ans un ministère de l’Ecologie et du développement Durable avec une secrétaire d’Etat au développement Durable sans budget. Ils auraient pu le nommer secrétariat d’Etat au développement durable de Jacques Chirac, c’aurait été plus réaliste et plus drôle.
Arrêtons d’être médisant, des initiatives locales ont vu jour en France depuis quelques années. Près de chez nous, Nantes, Rezé, La Roche sur Yon (ville dont le maire est Jacques Auxiette) ont mis ou mettent en place un agenda 21.
Le site internet de la ville de Crest dans la Drôme (www.mairie-crest.fr) présente de façon intéressante le contenu de l’agenda 21 avec la mise en place des réunions avec la population, les compte-rendus sont disponibles sur internet.
Vers une démocratie participative
Je suggère à tous les élus de s’inspirer de tous ces textes et j’ose espérer que si la gauche passe dans le département et/ou la région (on peut toujours rêver), la démocratie participative progressera. Nous comptons sur Gilles Philippot, qui a déjà commencé sur son canton, pour le rappeler à ses collègues.
Pour les personnes intéressées, voici plusieurs sites internet où elles pourront trouver de plus amples informations sur ce sujet très riche :
sur le Club de Rome : www.manicore.com/documentation/club_rome.html
sur le rapport brundtland : www.agora21.org/dd/frame-brundtland.html
puis sur les agendas 21 : www.agenda21france.org
Ceux qui trouveraient que le concept de développement soutenable ne va pas assez loin, peuvent aller voir du côté de www.decroissance.org où des scientifiques défendent la décroissance soutenable, autre concept intéressant mais moins politiquement correct.
Pierre Papoitou