Ecrit le 22 septembre 2010
En attendant que le voisin crève ....
Symbolique : la Confédération Paysanne a provoqué une conférence de presse, le 9 septembre dernier, à la porte de la Laiterie de Derval. « Une laiterie qui fonctionnait très bien La politique libérale l’a supprimée quand même, la fabrication de crème fraîche a disparu : l’usine de la Manche qui a pris la relève ne parvient pas à obtenir la même qualité. Eh bien nous, en agriculture, nous vivons la même politique de déménagement du territoire » a expliqué Dominique Lebreton.
« Depuis 20 ans, nous avons perdu 50 000 emplois. La Région Pays de Loire a vu disparaître un pan entier de ses activités. Et pourquoi faire ? Nous produisons toujours davantage et nos revenus baissent »
« Les agriculteurs ne croient plus à rien. Ils baissent les bras, attendant que le voisin crève pour espérer survivre un peu. La politique actuelle est totalement incohérente en matière d’emplois, conditions de travail, revenus, environnement. Le revenu des éleveurs a baissé de 50 % en 2009. Cette année ce sera pire, avec la sécheresse qui s’en mêle. Toutes les productions sont touchées. Nous n’avons aucune perspective d’avenir » .
Les gens croient qu’il s’agit d’un problème de revenus, alors qu’il faudrait parler de maîtrise du volume de production :
– Lait - en 2005 il y avait équilibre du marché. En 2010, avec la suppression progressive des quotas, nous sommes en surproduction. Et les prix baissent !
– En viticulture, on produit 600 000 hectolitres de vin alors que le marché n’est que de 370 000 hectolitres.
– Dans le porc et les bovins, la production dépasse aussi la demande des consommateurs.
En juillet 2010 a été votée une loi de modernisation agricole, basée sur la contractualisation entre les agriculteurs et les entreprises agro-alimentaires. « Deux mois plus tard, on constate que cela ne résoudra rien car nous contractualisons sur 3-5 ans alors que nos investissements sont remboursables sur 15 ans ».
Des marchés virtuels !
« Et puis, ce que nous signons, ce sont des marchés à terme, des marchés virtuels, comme dans les salles de Bourse ». Une entreprise agro-alimentaire va s’engager à acheter une quantité de la production plusieurs mois à l’avance à un prix fixe. L’agriculteur qui vend sa production à un prix fixe pense que le prix va baisser dans les prochains mois et se rassure en faisant la transaction à l’avance, et l’acheteur pense qu’il va y avoir une hausse des prix et est donc convaincu de faire une affaire. Cela pourrait se passer comme ça, s’il y avait égalité entre le vendeur et l’acheteur. Mais la réalité est autre :
d’abord l’acheteur essaie d’imposer les prix les plus bas. l’agriculteur qui refuse ne trouvera aucune autre industrie agro-alimentaire pour lui acheter !
Et ensuite, arrivé au terme, si l’industrie agro-alimentaire trouve qu’elle ne fait pas une bonne affaire, elle fait pression sur l’agriculteur pour qu’il baisse le prix en dessous de celui fixé par contrat. Bien sûr, le paysan peut s’en tenir au prix fixé par contrat mais une seule fois ! Car la fois suivante il ne trouvera pas d’industrie agro alimentaire pour lui acheter ses produits.
« Actuellement les paysans sont à la merci des décideurs agro-alimentaires. Les financiers quittent l’immobilier et se dirigent vers les produits agricoles »
désespoir et disette
Les paysans sont découragés. « Nous nous sentons méprisés par les politiques et les industriels ». Les prix trop bas ne permettent guère de tenir la tête hors de l’eau et la sécheresse augmente le coût de l’alimentation des animaux : « Nous produisons actuellement à 350 € les 1000 litres de lait et les industriels achètent à 301 €. Nous y perdons toujours ».
Les représentants des producteurs de lait ont accepté que, pour 2011, le prix du lait en France ne s’écarte pas de plus de huit euros du prix allemand. c’est donc la perspective de nouvelles difficultés. Car les Allemands ont d’autres pratiques : ils sont aidés par les landë r (Régions) et pratiquent le dumping social en employant de la main d’œuvre étrangère au tarif du pays d’origine. « Et puis, il n’est pas sûrque les paysans allemands gagnent très bien leur vie » dit Olivier Touchard, de Vay. « Ils ont une production très concentrée, et, pour rester compétitifs, il leur faut faire tomber les voisins. Ce système est économiquement fragile et ne favorise pas l’emploi ».
« En Europe, on cultive la guerre entre les agriculteurs des régions et des pays ! ».Personne n’est capable d’analyser la détresse des agriculteurs. La Mutualité sociale agricole serait bien avisée de s’inquiéter de la santé morale de ses ressortissants !
Calamités
La sécheresse fait partie des « calamités agricoles ». Naguère, le suivi des calamités se faisait en commun, Etat et Paysans. Le stockage des fourrages permettait d’éviter la spéculation, les pouvoirs publics intervenaient pour empêcher que flambe le prix des céréales. « Maintenant c’est fini, tout a été pri-va-ti-sé, confié à des sociétés d’assurance. Nous avons alerté le préfet pour qu’il intervienne dans la moralisation des transports, nous avons alerté le ministère aussi. Nous sommes inquiets pour l’hiver à venir, nous craignons de voir des troupeaux à l’abandon, des éleveurs qui, par manque de trésorerie, ne pourront pas acheter du fourrage » explique Patrick Baron.
Pour la Confédération Paysanne, la politique agricole actuelle est suicidaire. « Et pourtant nous aurions la capacité d’employer des salariés, mais nous n’en avons pas les moyens parce que notre production est mal payée ».
Lait : double prix
Les producteurs laitiers ont un certain nombre de « droits à produire ». Il est projeté de les diviser en deux catégories :
– Le quota A avec une bonne valorisation
(c’est-Ã -dire un prix correct)
– Le quota B à valeur moindre (avec un prix inférieur) destiné à être valorisé à l’exportation (hors Union européenne).
« Le problème : on n’a aucune garantie sur l’imperméabilité des deux quotas. Demain, le lait vendu en quota B reviendrait sans doute sur le marché intérieur pour casser les prix ! Et très rapidement, on verrait la part A diminuer au profit de la B » s’inquiète la confédération paysanne !
Occupation
Quelques dizaines de militants de la Confédération paysanne, occupent la Maison du lait à Paris (où se trouve le siège du Cniel : interprofession laitière) pour exiger de participer désormais aux négociations sur les prix en siégeant au sein du collège des producteurs de lait. Le juge des référés, saisi par l’interprofession, n’a pas décidé leur expulsion, ni l’astreinte de 50 000 € par jour qui était sollicitée. Il a demandé une médiation d’ici le 29 septembre.
La Confédération Paysanne demande que le collège des producteurs soit composé de représentants de l’ensemble des organisations syndicales représentatives mais le président de l’interprofession s’y refuse. L’occupation va donc continuer .