Ecrit le 15 janvier 2014
On s’intéresse beaucoup, et à juste titre, à la santé des salariés, mais la santé des dirigeants des petites et moyennes entreprises, des artisans-commerçants, n’est pas à négliger : isolement/solitude, manque de temps, de sommeil, surmenage, stress, responsabilités, impossibilité d’être malade
Les conditions de travail que s’imposent les ’petits’ dirigeants mettent leur santé en danger. « Quelle que soit la nature humaine, l’impact de ces facteurs n’est pas bon, surtout quand ils sont cumulés de façon intense et permanente. Cette durée d’exposition aux facteurs pathogènes et à dose extrême devrait être quasi mortelle. Et pourtant, la plupart des patrons tiennent le coup »... peut-être parce qu’il existe des facteurs favorables qui les aident à tenir : « l’optimisme, l’endurance morale et physique et la qualité du réseau social (famille et amis). A la différence des salariés, ils ont l’impression de maîtriser leur destinée. Ils ne subissent pas les contraintes, ils les choisissent ».
La souffrance patronale est une réalité méconnue et pourtant réelle. Il suffit d’être attentif aux cas de Burn out qui peuvent parfois aller jusqu’au suicide... surtout quand elle est niée : le dirigeant est un « leader », un « gagnant », un « battant »... il ne peut donc pas souffrir.
« Se préoccuper de la santé des petits patrons, c’est se préoccuper de la santé des entreprises de nos territoires ». Et donc de la pérennité du tissu économique local.
Olivier TORRES, universitaire, spécialiste de la PME et créateur d’AMAROK, l’Observatoire de la santé des dirigeants de PME, commerçants et artisans, viendra parler de ce sujet, mercredi 22 janvier dans les locaux de la Communauté de Communes du Castelbriantais, 18h30. Il est prudent de s’inscrire car le nombre de places est limité - 02.28.04.06.33
Ecrit le 5 février 2014.
Un universitaire est devenu PMIste : contraintes et atouts
« Depuis Villermé, on se préoccupe de la santé des salariés » a dit Olivier Torres. C’est en effet en 1840 que Louis-René Villermé publie son « Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie ». Ecrit aux débuts de l’industrialisation, il retrace avec minutie le cadre de travail et de vie de ceux qu’on appelait les « nègres blancs », condamnés à des journées de quinze à dix-sept heures, pour des salaires infimes. On atteint, dans
cette enquête, le tréfonds de la misère, à une époque où le mouvement ouvrier ne fait qu’apparaître. Ce rapport devait déboucher, plus tard, sur la médecine du travail, non par raison philanthropique, mais pour faire cesser les abus les plus graves qui risquent de produire une agitation sociale et de servir la cause des groupes politiques réclamant l’abolition des privilèges et proclament la nécessité de supprimer le monopole des richesses.
Mais la médecine du travail, de nos jours, ne s’intéresse pas à la santé des dirigeants, des ’petits’ patrons de PME (Petites et Moyennes Entreprises) et de TPE (très petites entreprises). « On sait plus de choses sur les baleines blanches que sur les dirigeants de PME/TPE » dit Olivier Torres, révélant que, selon l’INSEE, 94 % des entreprises en France sont des PME ou TPE, de moins de 10 salariés. « La balance économique française penche vers les PME, mais, dans les universités et grandes écoles, 95 % des enseignants sont spécialisés ’grandes entreprises’. Professeur de marketing, Professeur de DRH il n ’y a pas besoin de cela dans les PME ». Henri Fayol est considéré comme l’un des pionniers de la gestion d’entreprise et l’un des précurseurs du management, mais ses théories ne concernent que les grandes entreprises ! « Nos élites n’ont pas le logiciel PME en tête » dit encore Olivier Torres qui, lui, s’est voulu ’’PMIste’’. « Il faut théoriser les PME, promouvoir les PME. Moi je vous dis : écrivez des livres, racontez votre histoire, racontez comment des impayés vous empêchent de dormir »...
« Racontez comment le Crédit Impôt et Compétitivité, mis en place par le gouvernement, oblige à remplir plein de papiers, ce qui n,’est pas adapté aux PME/TPE ». « Avant qu’on arrive à reconnaître les caractéristiques de ces entreprises, il faut d’abord connaître ».
Risques psycho-sociaux
Olivier Torres s’est surtout intéressé à la santé des dirigeants de PME/TPE, en relevant ces phrases qu’il entend souvent : « Je n’ai pas le temps d’être malade » - « je ne tombe malade que lorsque je suis en vacances ».
« Si c’est votre cas, c’est que vous êtes en forte surcharge de travail ». Il y a en effet deux types de risques psycho-sociaux : l’un est le stress (vivre dans un stress permanent, c’est pas bon pour la santé. Il n’y a pas de bon stress). L’autre est la surcharge de travail : on dit que le travail c’est la santé. En fait c’est comme une courbe en cloche, il faut savoir où se situe le point d’inflexion : il est différent d’une personne à l’autre. Les chefs d’entreprises travaillent 65 heures par semaine, il important d’être vigilant pour ne pas se trouver sur la partie descendante de la courbe ! "
Pathogènes
Il y a d’autres facteurs pathogènes. L’un est l’incertitude du lendemain « je ne sais pas si je serai payé, si j’aurai assez de trésorerie pour rémunérer mes salariés, pour acheter des matières premières. Je ne sais pas si j’aurai d’autres com-mandes ... ».
Le second facteur est la solitude : « J’ai toujours le nez dans le guidon, je n’ai plus le temps de réfléchir »
A ceux-là , Olivier Torres dit « syndiquez-vous, impliquez-vous dans des associations, cela vous met dans une logique collective, cela vous sort de votre tracas quotidien ». Il dit même : se syndiquer, c’est bon pour la santé !
Salutogènes
Stress, surcharge, incertitude, solitude les dirigeants devraient être tous malades. Or ils sont souvent bien portants. Olivier Torres cite le psychologue Aaron Antonovsky (1923-1994) qui a développé le concept de « salutogénèse », centré sur la santé et non sur la maladie. Dans ce concept, la santé et la maladie ne sont pas des états qui s’excluent mutuellement, ils marquent plutôt l’extrême de deux pôles à l’intérieur d’un tout. Pour Antonovsky, la santé n’est pas le fait d’un équilibre, mais se crée à partir d’une interaction dynamique entre facteurs de stress et facteurs de protection. A partir de ce constat, la question fondamentale est de savoir comment maîtriser et gérer au mieux les défis et comment soutenir un mouvement en direction du « pôle santé ». La réponse est très personnelle, elle dépend de chacun : ressources physiques, psychiques, interpersonnelles, socioculturelles et matérielles.
Olivier Torres a donc listé trois aptitudes que possèdent les dirigeants des PME/TPE : le sentiment de maîtriser son destin (ce qui perturbe le plus les travailleurs, c’est le lien de subordination), l’endurance (je tombe mais je me relève) et l’optimisme.
Pour résister, il importe, selon lui, d’éviter les situations et surtout les personnes anxiogènes et d’aller de l’avant, sans craindre les échecs éventuels. « Entreprendre, c’est bon pour la santé ! » dit-il en se référant à Schumpeter pour lequel la destruction créatrice est un facteur positif : La « destruction créatrice » désigne le processus continuellement à l’œuvre dans les économies et qui voit se produire de façon simultanée la disparition de secteurs d’activité économique conjointement à la création de nouvelles activités économiques.
En conclusion : une conférence très tonique et revitalisante !
Amarok
AMAROK est un observatoire à vocation scientifique et expérimentale dont le but est l’étude des croyances, des attitudes et des comportements des dirigeants de PME, artisans et commerçants à l’égard de la santé physique et mentale, que ce soit leur propre santé ou celles de leurs salariés.
Fondé sur les théories de la spécificité des PME, cet observatoire a aussi comme objectif de concevoir et de proposer des actions concrètes de terrain. La population est prioritairement celle des dirigeants de PME, les commerçants et les artisans. Il pourra être inclus les professions libérales.
Les études en cours :
- - La place et le rôle de la dimension santé dans les dispositifs d’accompagnement du créateur d’entreprise
- - L’impact des spécificités financières des PME sur la santé du dirigeant
- - Le burn out patronal
- - Le traumatisme des commerçants braqués
- - Le registre épidémiologique des dirigeants de PME
voir Amarok
Selon la revue chefdentreprise.com, 79 % des patrons de TPE et PME souffrent du stress et de ses conséquences. Tels sont les enseignements d’une étude réalisée par la CGPME 77 en 2011, principalement : anxiété (78 %), maux de dos (77 %), nervosité (72 %) et irritabilité (71 %).
Mais, plus de trois patrons sur cinq pensent que c’est une erreur ou une faiblesse de montrer ses fragilités physiques ou psychologiques.