Ecrit le 25 mai 2011
L’isolement social en milieu rural
Isolement ? Solitude ? Comment mobiliser les personnes en situation de fragilité, d’isolement, qui ne viennent pas d’elles-mêmes sauf s’il y a urgence ? Comment repérer les potentialités des habitants et répondre à leurs attentes ? Ce sont les questions qui taraudent les animateurs du RAP : relais accueil proximité du Grand Auverné. Et voilà qu’une jeune fille, Justine Dersoir, en stage de formation ESF (conseillère en économie sociale et familiale) se propose pour un stage au RAP . Quelle chance ! Pouvoir lever le nez du guidon et regarder plus loin devant soi. Justine Dersoir et Mado létang sont donc parties en chasse, dans le cadre de la commission « Veille sociale » qui existe dans l’association pour faire émerger les besoins mais aussi les ressources des habitants du territoire.
Il y a en effet un renversement des points de vue à effectuer. Une personne « en difficulté » est considérée la plupart du temps comme une personne qu’il faut aider, assister presque ! Et si on pensait à solliciter son aide sur les domaines de compétences qui sont les siens ?
Les gens d’ici
Une première rencontre de Justine et Mado, avec les partenaires, a fait remonter les caractéristiques des deux cantons de Moisdon et St Julien :
– Une population vieillissante
– Une problématique liée au transport
– Peu de services, d’où diminution des liens sociaux
– Peu de lieux de formation
– Une hausse du chômage. Et des secteurs d’activité proposant la plupart du temps des emplois précaires.
Mais il y a des modifications récentes avec l’arrivée d’urbains en milieu rural.
– Arrivée par nécessité de se loger
– méconnaissance du territoire
– Peu d’emploi
– Peu de moyens de locomotion
– Des habitudes de vie totalement différentes
« l’accueil et l’information des nouveaux habitants devraient être renforcés » commente Justine tout en remarquant que « certaines personnes s’éloignent volontairement des institutions », ce que confirme Serge Héas, maire de St Julien. « Certains urbains nous regardent avec mépris et ne restent d’ailleurs pas longtemps par ici. d’autres ont eu une histoire compliquée, ils se sentent isolés, voire rejetés ».
Justice et Mado sont allées à la rencontre de ces personnes ou familles isolées. « Nous avons écrit à 23 personnes en leur proposant d’aller les voir. Quatre ont refusé. Dix-neuf ont accepté, un peu méfiantes au départ, mais attendant quand même notre visite : le café était prêt pour nous ». Rencontre pas facile : il a fallu trouver les lieux-dits dans la campagne, quitte à se renseigner chez les voisins. Non sans rencontrer une certaine incompréhension : « Vous allez chez ces gens-là !! ». c’est dur de s’intégrer quand, d’avance, on se sent épié voire rejeté.
Isolement social
Ainsi, vivre seul n’est pas forcément synonyme d’isolement relationnel et ce dernier ne se conjugue pas obligatoirement avec le sentiment de solitude. Une personne peut avoir l’impression subjective d’être seule même si elle est en couple ou a des contacts avec les autres.
L’isolement social peut comprendre plusieurs dimensions
– isolement résidentiel (ménages d’une personne)
– rareté ou absence de relations de voisinage, d’interactions familiales ou amicales
– pauvreté des activités qui permettent des contacts et des échanges
– absence de lien de couple.
décrochage
Selon une étude faite à Nantes par le cabinet Aures (mars 2007), l’isolement social est accompagné d’un décrochage, qui se traduit par une attitude de repli sur soi, d’enfermement au regard des difficultés rencontrées, et qui est difficilement mesurable par les professionnels du fait de l’absence de toute demande sociale.
Un exemple, à Nantes, il s’agit d’une jeune femme : " Nous avons été témoins de sa situation lors d’une crise aigue liée à sa maladie. Nous l’avons accompagnée aux urgences et, à cette occasion, nous avons visité son appartement. Et là , nous avons découvert une situation massive de souffrance réelle. C’était le dénuement le plus total. Là , on ne peut pas attendre la demande, qui ne viendra pas La question qui se pose c’est : comment a-t-on pu ne pas voir ? et comment repérer ? Elle payait régulièrement son loyer, elle ne faisait pas de bruit Son isolement silencieux dans un quartier qui grouille de monde est passé inaperçu
L’isolement ne nous interpelle que lorsque ça dérange un partenaire. "
Vulnérables
Il existe ainsi, souvent caché, un public adulte, « vulnérable » : des personnes hors d’état de se prendre en charge ou de se protéger elles-mêmes, en raison de facteurs divers (détresse morale, souffrance physique ou psychique, situation de dépendances).
Parmi les personnes rencontrées, dans les campagnes de Moisdon et St Julien, Mado et Justine ont relevé
– Un certain nombre de personnes qui ne sont pas isolées mais qui ont le sentiment d’être seules,
– Des femmes avec enfants, dans un petit logement, éloignées de tout et en situation d’épuisement, avec l’impossibilité de faire garder leurs enfants (coût, transport, méconnaissance des dispositifs).
– Sept ménages en difficultés d’insertion professionnelle
– Une personne en situation d’addiction
– Et quasiment pour tous, des difficultés de transport
Autrefois, quand il n’y avait que peu d’automobiles, il y avait aussi moins de nécessités d’aller à la ville. Et quand quelqu’un y allait, il demandait à ses voisins : « je vais en ville, je peux te porter ? ». c’est fini maintenant
Sans demande mais non sans besoin
Oui mais, le RAP a un système de transport solidaire ! La presse en a parlé, les bulletins municipaux aussi ! Alors ? Alors ces personnes en situation d’isolement social ne lisent habituellement aucun journal, « même pas les gazettes municipales » dit Paulette Cruaud, maire du Grand Auverné. « Elles sont en situation de non-demande, espérant toujours que demain ça ira mieux. Nous avons trouvé, sur la commune, des familles qui n’avaient rien à manger et qui ne demandaient pas le secours de la banque alimentaire »
Un public isolé et en souffrance n’exprime aucune demande, il ne peut être identifié, sauf accidentellement par les institutions,
Mais quand on interroge ces familles « perdues », elles font émerger des demandes quand elles sont mises en confiance : connaître leurs voisins et se sentir acceptées, avoir à proximité des structures adaptées pour les enfants en bas âge (en particulier des modes de garde) et pour les jeunes, avoir des lieux et activités de rencontre pour les parents et les enfants. c’est l’un des soucis de Michèle Cochet, maire du Petit-Auverné.
Oui mais, le RAP propose beaucoup de choses ! Alors quoi ? Eh bien le RAP (12 ans d’existence) est encore méconnu. « Certaines personnes nous ont affirmé qu’elles ne seraient pas venues sans notre visite ». d’où la volonté du RAP de poursuivre ce travail de terrain près des familles et des personnes seules en impliquant un bon nombre de bénévoles.
d’ailleurs, sur les 19 personnes rencontrées, 3 sont venues au RAP (trois hommes ! c’est nouveau ça !) et une personne a accepté d’animer un atelier pour communiquer son savoir-faire chose qu’elle n’aurait jamais faite si elle n’avait pas été sollicitée et mise en confiance.
« Le RAP se propose de re-contacter les personnes déjà rencontrées, et d’élargir à d’autres, de réadapter les activités existantes, d’améliorer toujours et encore le travail partenarial » dit le président Yvon Gautier.
Un travail de proximité
Pour des raisons d’efficacité, les professionnels de l’action sociale ont des champs d’action segmentés : certains s’occupent de questions sociales, d’autres d’insertion économique, d’autres de questions éducatives, sans avoir l’occasion d’appréhender la situation des personnes dont ils s’occupent de façon globale avec le recul nécessaire.
Seuls les bénévoles peuvent prendre le temps de faire un travail de proximité, indispensable si on veut éviter la dégradation de la cohésion sociale dans nos campagnes. Les maires des petites communes de St Julien de Vouvantes, Petit Auverné, Grand Auverné ont exprimé leur souci à cet égard.
Cela ne sera possible que si le RAP continue à exister dans cette partie Est du territoire castelbriantais. Cela signifie qu’il puisse disposer des ressources suffisantes pour continuer à salarier deux personnes sans lesquelles le réseau de bénévoles ne pourrait pas tenir longtemps.
Les élus des petites communes pourront-ils faire entendre ce besoin de lien social qui s’exprime de façon informelle mais réelle ? Pourront-ils faire comprendre la nécessité de disposer, sur leur territoire, d’un réseau citoyen (diffusion d’une culture de veille entre voisins par exemple) ? Pourront-ils aussi mobiliser les membres de leur CCAS (commission communale d’action sociale) pour qu’ils ne restent pas au niveau de la demande exprimée (souvent financière) mais qu’ils réfléchissent aux moyens de favoriser les liens sociaux sur leur territoire ?