Ecrit le 20 novembre 2019
désespérément
L’obligation faite aux patients d’avoir un médecin traitant a rendu criant le déséquilibre entre « l’offre et la demande » : les patients ont du mal à trouver des « médecins traitants », mais aussi des psychiatres, des spécialistes, des orthophonistes, des dentistes
Une importante inégalité de répartition territoriale des médecins généralistes s’ajoute à la baisse de leur nombre et de leur temps moyen d’activité ; elle entraîne la création de véritables « déserts médicaux » dans les zones rurales ou les quartiers déshérités, déjà en butte aux inégalités sociales et économiques et confrontés à la disparition des services publics.
Ces difficultés d’accès territorial aux soins se conjuguent pour beaucoup de patients avec des difficultés financières du fait des dépassements d’honoraires et de l’absence de tiers payant.
A l’hôpital public, les restrictions budgétaires, les restructurations et l’orientation de plus en plus techniciste des soins compromettent la prise en charge des patients. Ceux-ci sont renvoyés de plus en plus vite vers la médecine libérale à l’acte qui n’a pas la disponibilité pour les recevoir et qui n’est pas adaptée à la prise en charge de l’augmentation des maladies chroniques.
Face à cette crise de la médecine libérale, de nouveaux modes d’exercice se sont développés à l’initiative des professionnels de santé : Maisons de santé pluriprofessionnelles et Centres de santé communautaires. Contrairement aux Unités sanitaires de base des années quatre-vingt, ils ont obtenu le soutien de l’État qui y voit une opportunité de contrôler le financement d’une offre de soins territorialisée.
Aujourd’hui, le gouvernement veut développer les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) dans le but annoncé de régler le problème des « déserts médicaux ». Pour obtenir l’adhésion des professionnels libéraux, la loi leur a confié la mise en place de ces CPTS, mais elle prévoit de les rendre obligatoires et l’État en aura le contrôle au travers des financements indispensables à leur fonctionnement.
Les CPTS soulèvent de nombreuses inquiétudes et critiques.
Le risque est grand, en cette période de restrictions de la dépense publique, que les CPTS soient le moyen trouvé par le gouvernement pour contraindre demain les dépenses de médecine ambulatoire comme il le fait aujourd’hui pour les dépenses hospitalières.
Un réel débat démocratique aurait permis d’envisager d’autres modes d’organisation territoriale qui s’expérimentent déjà en France et dans d’autres pays : territoires plus petits, implication des usagers, fonctionnement moins centré sur le médecin, démarches de santé communautaire
défendre nos fondamentaux reste une priorité : un système public de santé, solidaire, accessible à toutes et tous, au service de la population et du bien commun sans perdre de vue la qualité essentielle de l’accueil et de la relation de soins
Hôpital la casse du siècle
Ce livre* offre une lecture historique et sociologique de la crise hospitalière particulièrement intéressante, en cette année où se multiplient les luttes des soignants (psychiatrie, urgences...) dénonçant la faillite de l’hôpital public face à ses missions, et où a été votée une nouvelle loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.
Quatre indicateurs témoignent de cette crise :
« ¢ la diminution importante du nombre de lits d’hospitalisation à temps plein, non compensée par l’augmentation de ceux à temps partiel, »¢ le doublement des prises en charge aux urgences en vingt ans,
« ¢ l’augmentation importante de l’activité hospitalière, non compensée par celle des effectifs, »¢ et la diminution des moyens alloués à l’hôpital.
Deux grilles de lecture de cette crise s’opposent.
La première, nommée organisationnelle-gestionnaire, est portée par les élites politiques, bureaucratiques et médiatiques : l’hôpital va mal parce qu’il manque d’efficience et que le système de soin est trop hospitalo-centré, le remède est la réorganisation des établissements et le virage ambulatoire, « c’est le fantasme de l’hôpital aéroport : le patient atterrit et redécolle presque aussitôt après avoir subi l’intervention technique que son état requiert ».
La deuxième est portée par de nombreux professionnels de santé, des syndicats et des mouvements sociaux qui dénoncent la pénurie financière, matérielle et humaine au niveau de l’hôpital et demandent plus de moyens.
Pour les auteurs du livre* , il est nécessaire « de plaider simultanément pour une augmentation des moyens accordés à l’hôpital public et pour la nécessité de le délester de certaines tâches, à condition que le report vers la ville soit correctement financé et organisé, ce qui aujourd’hui est loin d’être le cas, les amenant à parler du » mirage du virage ambulatoire ".
L’hôpital public s’est vu confier toujours plus de missions, il remplit un rôle technique et social, il reste l’endroit du système de soins accessible financièrement et ouvert jour et nuit. Mais il subit une emprise croissante de la rationalité gestionnaire sur la logique soignante. Sous la férule de son directeur, lui-même sous tutelle des Agences régionales de santé, il est soumis à l’obligation d’équilibre financier, mais les restrictions sur son financement à travers la Tarification à l’activité (T2A) le mettent en précarité financière et parfois en faillite.
Les fusions au sein des Groupements hospitaliers de territoire bouleversent l’organisation des hôpitaux, sans qu’il y ait eu d’études prouvant leur pertinence et leur faisabilité.
Dans le même temps, les règles du nouveau management public sont présentées comme des outils pour améliorer la « performance » : nouvelle organisation du travail avec flexibilisation de la main-d’œuvre, contrats d’objectif et de moyens, indicateurs de performance : qui ne disent rien de la qualité du travail :, protocoles standardisant les pratiques.
L’intensification du travail se fait au détriment de la relation avec le patient et des collectifs de travail, et entraîne une souffrance au travail.
(*) Livre : La casse du siècle. A propos des réformes de l’hôpital public, par Pierre-André Juven, Frédéric Pierru, Fanny Vincent - Éditions Raisons d’agir
Les inégalités territoriales
Les inégalités territoriales de médecins généralistes datent au moins du XIXe siècle. Nous sommes aujourd’hui dans une perspective défavorable pour l’évolution démographique de l’offre de médecins généralistes.
Les effectifs de généralistes libéraux vont diminuer quand, dans le même temps, les nouveaux médecins formés produisent moins d’actes de soins que leurs aînés.
De plus, la population augmente et la part de personnes âgées aussi, accentuant les besoins de soins.
Ceci aboutit à une raréfaction de l’offre de soins de médecins généralistes qui devrait perdurer jusqu’en 2028 et qui se répercute de manière différenciée selon les territoires. Elle est ainsi plus marquée dans les marges rurales, aggravant les inégalités territoriales.
Les inégalités territoriales d’offre de soins concernent également les infirmiers libéraux .
Source : la revue Pratiques n°87