Ecrit le 27 mai 2020
William DAB est ancien directeur général de la santé, et épidémiologiste. Il a analysé les conditions de développement de la pandémie en France. Extraits.
On avait oublié la prévention
Ce que nous vivons actuellement, c’est l’histoire d’une série d’échecs dans lesquels on a privilégié le projet à court terme. On a oublié que la prévention était rentable. On n’a eu aucune prospective par rapport à la survenue d’une pandémie. Et cette pandémie nous a surpris comme s’il n’y avait eu aucun signal d’alerte, comme s’il n’y avait eu aucun travail qui permettait de penser, qu’un jour ou l’autre, nous serions face à une situation comme celle-là et, qu’il fallait s’y préparer. Mais, à cette époque-là , on nous disait qu’il n’y avait plus d’argent et qu’au contraire, il fallait réduire les dépenses de l’Etat et les dépenses de santé. Ceci a été le discours de tous nos gouvernements depuis au moins une vingtaine d’années.
Santé à deux pieds
Tous les systèmes de santé ont deux pieds :
– le service rendu au niveau de l’individu : médecine, EHPAD, etc.
– les services pensés au niveau de la population, au niveau collectif.
La France se caractérise par un déséquilibre entre les deux pieds.
Chaque fois que nous dépensons cent euros dans le domaine de la santé, 96 euros vont au pilier des soins individuels, 4 euros vont aux services collectifs. c’est un très fort déséquilibre. c’est celui que nous payons aujourd’hui alors que notre confinement coûte à notre économie environ 150 milliards d’euros par mois, c’est-Ã -dire beaucoup plus qu’une politique de prévention raisonnable aurait coûté.
Le reflexe habituel de nos responsables politiques est de rassurer. Nous n’avions pas de masques, pas de tests et on nous a dit « nous sommes prêts, nous avons un excellent système de santé ». C’est vrai pour le système médical mais pour le système de prévention, c’était évident que nous n’étions pas prêts.
Nous avons très peu de professionnels de santé publique en France, des professionnels de terrain. La France, c’est historique, n’a jamais suffisamment investi pour lutter contre les phénomènes épidémiologiques. La première grande loi d’hygiène en France date des découvertes de Pasteur et de ses élèves, c’est 1902, Les Britanniques, l’avaient promulguée 20 ans auparavant, les Allemands aussi.
Evidemment, dans une situation épidémique, on ne peut pas demander à chacun de se protéger contre les virus et les microbes, seule une action collective organisée permet de le faire. Cette approche-là a toujours été négligée en France. Il faut attendre la grande épidémie de grippe de 1918-1920 pour que la France crée un ministère de la santé publique qui s’appelait le ministère de l’hygiène publique.
Santé publique ? , il y a en France une ambiguïté autour de ce que veut dire le mot public. Dans le monde entier, on utilise un mot qui signifie la « santé de la population » mais pas en France. Depuis la révolution française, le mot public désigne ce dont vont s’occuper les pouvoirs publics au nom de l’intérêt général. Dans ce sillage-là , la santé publique c’était l’intervention de l’Etat dans le domaine de la santé. Cela est une erreur dont on a mis un siècle à se remettre parce qu’il est clair que ni les patients ni les médecins ne veulent voir l’Etat s’immiscer dans le domaine de la santé. Ce biais conceptuel, cette incompréhension du deuxième pilier du système de santé dont je parlais à l’instant, explique les retards que nous avons pris.
En France il y a la sécurité Sociale mais c’est de l’argent pour les soins, pas pour la prévention organisée et, cela, ils ne voulaient pas le comprendre. En France, la vérité c’est que les décisions sont prises à Bercy (Minitère des Finances) : une vision comptable de nos politiques publiques qui fait que, évidement, la prévention a servi de variable d’ajustement. Parce que dépenser, aujourd’hui, pour un risque, qui n’est pas certain, qui pourrait arriver mais on ne sait pas quand, dans une vision à court terme, on a toujours mieux à faire.
Les conditions de survenue d’une pandémie
J’ai publié un « que sais-je » sur santé et environnement. La première édition date de 2007, je l’ai entièrement réécrit l’été dernier. J’explique, dans ce livre, que la mondialisation, la proximité animal-homme, les conditions d’hygiène déplorables, la déforestation créent les conditions de survenue de la pandémie. Rien ne dit que, par-dessus le coronavirus, nous n’allons pas avoir une deuxième pandémie car les conditions d’émergence du coronavirus continuent d’exister.
Le fait qu’on mette l’homme en contact avec des animaux qui vivaient entièrement dans les forêts, sans contact avec l’espèce humaine, a créé les conditions d’un passage de virus de l’animal à l’homme. Vous couplez cela avec une urbanisation (60% de la population vit en ville aujourd’hui), les transports internationaux, la mondialisation de notre économie, une faiblesse de l’hygiène dans un certain nombre de pays, vous créez, expérimentalement, les conditions nécessaires à la survenue d’une pandémie.
La peste a tué un tiers de la population européenne, mais à l’époque la notion de contagion n’était pas comprise, la notion de microbes n’existait pas, donc on ne pouvait rien faire.
La pandémie de grippe de 1918 -1920 (80 millions de décès dans le monde) 500 000 en France : le virus de la grippe on ne le connaissait pas, les bactéries on ne les connaissait pas, pas de vaccins, pas d’antibiotiques, pas de réanimations, on ne pouvait que subir.
Nous avons les outils !
Mais au 21e siècle on a les outils scientifiques, les outils médicaux. Et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous avons le savoir qui nous permet de ne pas subir, nous avons les moyens médicaux, nous avons les moyens technologiques et nous nous retrouvons dans cette situation d’échec.
Le confinement a été levé le 11 mai. Est-ce que la décision a été influencée par des facteurs économiques ? Sûrement, et ce n’est pas péjoratif ; je n’ai jamais opposé l’économie et la santé publique. Si nous fabriquons 5 millions de chômeurs en France, c’est un drame de santé publique. Parce que l’état de santé de notre économie influence notre état de santé à nous tous.
Des effets indésirables
Il y a de très nombreuses conséquences ou d’effets indésirables du confinement, Parce que lorsque vous êtes tout seul, isolé depuis un mois, c’est une situation qui n’est pas du tout sans inconvénients sur la santé mentale. A l’inverse, il y a des gens qui habitent de petits logements où il y a cinq, six personnes, et, c’est là où on voit que cette épidémie est un formidable révélateur des inégalités de vie ! Inévitablement, il y a des tensions, les violences intra-familiales augmentent, les violences contre les femmes augmentent.
Ensuite, il y a des personnes qui travaillent à domicile, mais on ne les a pas préparées à travailler à domicile. Du jour au lendemain on leur a dit : voilà vous avez un ordinateur et internet, vous allez travailler chez vous. Est-ce que leur logement est adapté ? Est-ce qu’au plan ergonomique les postes de travail sont adaptés ?
Il faut, à la fois télétravailler, s’occuper des enfants, à qui il faut faire l’école, tout cela en même temps. c’est une situation qui crée énormément de stress. Donc en termes de stress, en termes de troubles musculosquelettiques parce que les postes de travail ne sont pas adaptés, en termes de la diminution de l’activité physique ; l’activité physique est un protecteur de la santé.
Le confinement a toutes sortes d’inconvénients dont un dont nous allons découvrir bientôt les conséquences : c’est qu’en réalité, les cabinets de médecins de ville sont vides. Ces maladies chroniques : les diabètes, les asthmes, les cancéreux dont les chimiothérapies ont dû être décalées parce qu’on avait besoin de place, les opérations chirurgicales qui ont été reportées, il va y avoir cette mortalité indirecte, là aussi, liée au confinement, liée au fait que soit les gens ont peur de sortir, soit cela ne sert à rien qu’ils sortent parce que les soins dont ils ont besoin, notamment près de l’hôpital, ne peuvent pas leur être offerts du fait de la saturation de l’hôpital.
Et cela c’est une morbidité qu’il faudra impliquer indirectement au Covid.
Un échec mais pas le choix
Oui ce confinement est à la fois un échec, évidemment nous n’avions plus le choix, mais je le redis, le fait qu’on ait dû recourir à un confinement généralisé est une défaite de la santé publique. c’est parce que nous n’avons pas fait ce qu’il fallait pour nous préparer que nous avons dû nous résoudre à utiliser cet outil. Un outil comme celui-là n’est ni complètement efficace - il y a encore de nouveaux cas - ni sans inconvénients. Il a ralenti la progression épidémique et nous avons sauvé notre système hospitalier, il ne va pas s’écrouler.
Mais qu’au 21e siècle, la seule chose qu’on arrive à faire, c’est le confinement généralisé de la population, oui c’est le moyen âge.
Le confinement on peut l’éviter avec quoi, le matériel ? Il fallait des masques et des tests, une distance d’au moins un mètre, un mètre cinquante, cela me parait raisonnable.
Les personnes qui ont des symptômes, on les teste, si elles sont positives on les isole, on teste les contacts et on fait un confinement ciblé et de courte durée parce que les personnes porteuses du virus, en moyenne, en trois semaines, on peut les renvoyer à leur vie normale. Donc ce n’est un confinement de deux mois, c’est un confinement de trois à quatre semaines pour des personnes ciblées ; c’est beaucoup plus efficace du point de vue épidémiologique et beaucoup moins pénalisant au plan économique. Et le fait qu’on n’ait pas été capable de se préparer de cette façon-là alors que la loi de 2004, à laquelle j’ai contribué, complétée par la loi du sénateur Giroud en 2007 qui est venue renforcer les dispositions pour gérer les situations d’urgences, que cet édifice-là ait été démoli au cours de la décennie 2010-2020 est juste invraisemblable.
L’avenir ?
Est-ce que les anticorps que l’on a sont protecteurs ? On peut penser que oui, encore qu’il a des cas de rechutes. Est-ce que l’immunité va être durable dans le temps ? Je ne sais pas. Regardez pour la grippe, chaque année on est obligé de changer la composition du vaccin ; le virus mute, les anticorps que l’on avait l’année d’avant ne sont pas tellement efficaces contre le nouveau virus.
Le coronavirus a un potentiel énorme de mutations. Donc, cette immunité va-t-elle être durable ? En réalité, la question de la deuxième vague est une mauvaise question parce que la seule chose qui compte c’est d’écraser le virus pour qu’il n’y ait pas de deuxième vague, et c’est possible.
Si nous sommes rigoureux dans l’isolement des personnes porteuses, de leur entourage, que nous respectons, comme le font les pays du nord, comme le fait l’allemagne et comme le font beaucoup de personnes actuellement en France, les mesures de base : l’hygiène des mains, la distance physique, les mesures dites barrière, le port du masque généralisé. Même un mauvais masque vaut mieux que pas de masque du tout à condition de le porter correctement et à condition de ne pas oublier que le fait d’avoir un masque, ne dispense pas de prendre les autres mesures de précautions.
Ce virus peut disparaitre faute de personnes à infecter jusqu’Ã ce qu’on ait un vaccin et jusqu’Ã ce qu’on ait un ou des médicaments efficaces. Le vaccin ne me paraît pas réaliste avant 2021 ;
En revanche, une solution médicamenteuse me semble plus possible. Ce jour-là , tout changera mais jusqu’à ce qu’on ait cet outil-là , il ne faut pas accepter, de façon fataliste, la deuxième vague, il faut écraser le virus lors de la première vague.
(extraits de l’interview
sur France Inter)
L’épuisement est autant mental que physique
Pour les personnels des établissements qui « dénoncent depuis des mois le manque de moyens, d’effectifs, de matériel, cette crise c’est la preuve par l’absurde », souligne Ève Rescanières, secrétaire générale de la CFDT Santé Sociaux.
Malika Belarbi, aide-soignante, animatrice du collectif national des Ehpad au sein de la fédération CGT Santé Action sociale, témoigne de « l’angoisse » ressentie par les professionnels à l’idée d’être contaminé et de contaminer collègues, proches, personnes accompagnées. Dans les services, la surcharge de travail s’est doublée d’un rythme plus intense : des journées plus longues (des cycles de 9 heures ou 12 heures, et pour beaucoup, des heures supplémentaires) et un travail nettement plus complexe et éprouvant là où les malades étaient de plus en plus nombreux.
Le respect des mesures barrières a pesé au quotidien, dans des métiers qui réclament du contact et de la proximité. L’habillage et le déshabillage, les désinfections répétées, mais aussi les protocoles de soins plus complexes sont chronophages. Dans les Ehpad, la réduction de toutes les interventions extérieures (pour les soins comme pour l’animation) et le confinement obligé des résidents dans les chambres ont nécessité une réorganisation complète, avec distribution des repas dans les chambres, mais aussi récupération et traitement différents de la lingerie, etc
En raison de l’isolement des résidents, aggravé par la suppression des visites des familles, et malgré le maintien des contacts téléphoniques et vidéo, des per-
sonnes ont glissé dans l’apathie et le repli sur soi, dans « un syndrome de glissement ». Les décès, très brutaux, la nécessité d’emballer rapidement les cadavres dans des housses et de les évacuer aussitôt, ont affecté les soignants, les brancardiers et tout le personnel concerné.
Les professionnels sont sur les genoux, car ils ont été sollicités à l’extrême pendant deux à trois mois, mais ne pourront pas se reposer. « Dans cette course folle, tout le monde s’épuise. Cela fait des années qu’on le pressent, qu’on fait grève »
dénonce une infirmière.
(source : santésocial.fr)
Le système de santé en France est à repenser. La seule voie possible aujourd’hui est de lutter contre un système de santé basé sur le profit, de s’opposer à la mécanisation des comportements, d’élaborer des contre-propositions s’appuyant sur l’expérience, de formuler encore et encore des projets qui permettent de dessiner « un monde des soins dans lequel nous pourrions de nouveau nous investir, inventer, créer les conditions de faisabilité, et surtout nous épanouir ». Lire à ce sujet la revue Pratiques n° 89.
voir le site pratiques.fr
« Le cauchemar a commencé quand on a commencé à nous dire : » Il va falloir que vous produisiez du séjour « , alors qu’on avait l’habitude de prodiguer des soins » Je devenais une espèce de robot, à dire : « Quand est-ce qu’il sort ? Quand est-ce qu’il sort ? » Parce que je me disais dans ma tête « cela fait quinze jours qu’il est là , il occupe la chambre, je ne vais pas pouvoir faire du séjour ».
A écouter ici :
voir le site youtu.be
Effets secondaires : à écouter ici :
voir le site youtube.com
Deuxième vague ?
Pour le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), la question n’est pas de savoir s’il y aura une nouvelle vague, mais « quand et de quelle ampleur ». Peu de personnes, selon l’agence, ont été exposées au Covid-19 en Europe. On pourrait donc ne jamais atteindre le seuil d’immunité collective, pour enrayer définitivement l’épidémie. De son côté l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a prévenu la semaine dernière : le virus ne disparaîtra peut-être jamais.
D’après Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France, à Paris « .On a retrouvé une activité quasi normale dans les Samu et les urgences. On revoit les patients avec les douleurs habituelles, les infarctus, les AVC. Les accidents sont revenus aussi (...) On ne voit pas arriver ce qu’on avait vu arriver fin février-début mars, avec des malades très graves qui étaient signalés atteints du coronavirus ». Il n’y aura peut-être pas une seconde vague si toutes les mesures de précauton sont respectées : masques, distanciation, lavage des mains.