Voir : les bandes de jeunes et l’estime de soi
Le problème de la violence juvénile déborde la capacité des institutions existantes.
Mais voici une expérience intéressante : le CEPREV (le Centre de prévention de la violence). En partant de l’idée que la violence prend racine dans la culture, le CEPREV a entrepris un travail de pacification des jeunes membres des pandillas, en cherchant à reconvertir l’ensemble du groupe et pas seulement les individus, sans pour autant négliger l’attention personnalisée.
En effet, travailler exclusivement avec les individus permet à la pandilla de perdurer en recrutant de nouveaux membres. c’est pour cela que l’on doit travailler avec le groupe.
Le CEPREV a une expérience de huit ans dans la réhabilitation de pandilleros. Sa méthode consiste à organiser des débats dans les collèges : destinés aux professeurs, parents et élèves :, et à proposer une attention psychologique, des visites et des ateliers dans les quartiers, des visites à domicile dans les familles. Elle réalise aussi des formations sous forme d’ateliers portant sur l’estime et la connaissance de soi qui visent à ouvrir une réflexion sur l’origine de la haine des jeunes, les raisons de l’usage des drogues et des armes, et les sensibilisent sur les conséquences de la violence.
Trouver l’estime de soi
Le CEPREV travaille sur l’estime de soi à travers des visites de psychologues aux pandilleros, à leur famille et aux voisins, sans prétendre les arracher à leur milieu et désintégrer la pandilla. L’un des moyens principaux consiste à transformer les pandilleros en « leaders de la paix », ce qui, en plus d’inverser : de changer de signe : le leitmotiv qui les rassemblait, permet de maintenir leur estime de soi et de les convertir en agents de leur propre réhabilitation.
Du fait de la camaraderie qui existe entre les psychologues et les autres membres de l’équipe : le personnel comprend au total six membres :, les jeunes sentent qu’ils sont entrés dans la sphère du socialement acceptable, dans une situation de respect et d’apprentissage constant sur les façons de se comporter dans les différents contextes organisationnels et sociaux auxquels ils sont confrontés. En d’autres termes, au lieu d’apprendre le machisme, la violence, et les préjugés, les jeunes apprennent les conduites, le langage et les valeurs qui les aideront à se sentir à l’aise au sein de groupes.
Les ateliers du CEPREV dépassent le purement informatif et abordent des thèmes psychologiques : comme les relations humaines, la maternité, la paternité, le genre et le machisme. S’y ajoute une présence fréquente dans les différents quartiers. Ils cherchent à favoriser une maturité émotionnelle croissante chez chacun et font en sorte que les jeunes découvrent leurs propres façons non violentes de s’exprimer. Les ateliers sont menés en groupes composés à la fois de jeunes pandilleros et d’autres habitants du quartier. Cet espace mixte contribue également à ce que l’acceptation sociale se négocie de façon tangible pour les pandilleros.
Le CEPREV réalise aussi des ateliers avec des journalistes, des professeurs et des policiers afin de changer la façon dont sont traités les pandilleros. Le travail de sensibilisation avec les journalistes est vital pour influer sur la perception publique des pandillas et de la violence juvénile.
En huit années d’existence, le CEPREV a travaillé avec 15 000 jeunes et 30 000 personnes de manière indirecte dans 21 quartiers du District V, de Tipitapa et de Ciudad Sandino au Nicaragua. Malheureusement, les limitations financières que connaît le CEPREV ne lui ont pas permis d’étendre son action.
Le rideau de la sécurité
Ces tentatives d’approches de la réalité des pandillas requièrent le concours de disciplines distinctes : la criminologie, la sociologie, l’anthropologie, la psychologie, la psychologie sociale, les sciences politiques, etc. Cela demande aussi de prendre des risques, car seule une approche humaine peut aider à comprendre les motivations, les stratégies et les impasses des pandilleros. Mais seule la proximité avec ceux qui touchent le fond de la désaffiliation sociale peut stimuler la créativité. « L’imagination sociologique » comme dirait Charles Wright Mills.
L’exercice de cette imagination sociologique, associée à une responsabilité éthique, implique de ne pas se laisser leurrer par le rideau de fumée de « la sécurité », qui dissimule le problème, ancre le stigmate et renforce la carrière criminelle. Seule une redéfinition de la sécurité, en termes de stabilité de l’emploi, qualité de vie, sécurité dans la vieillesse, l’invalidité et la mort : entre autres espaces de sécurité qui construisent la citoyenneté, c’est-Ã -dire un sentiment d’appartenance à une communauté juridique :, permettrait de comprendre pourquoi les pandilleros ne respectent pas un contrat social qui les a confinés dans la poubelle de la société.
L’imagination sociologique montre que le problème des bandes violentes : qui est un symptôme des problèmes sociaux : ne doit pas être réduit à ses manifestations de violence des rues. Les taux croissants de suicide, qui affectent les jeunes plus que n’importe quel autre groupe d’âge, doivent être inclus dans l’analyse. Et une attention non moins importante doit être portée à la lente mais efficace autodestruction due à l’excès de drogues, car le risque existe que l’analyse n’inclue pas dans sa problématique le jeune qui se détruit au coin de la rue sous l’effet de la drogue et qu’elle se concentre sur ceux, également drogués, qui se rendent visibles par l’exercice de la violence.
Un autre écueil serait d’oublier de prendre en compte l’effet des comportements ostentatoires des classes moyennes et supérieures qui exhibent leur opulence sans aucune pudeur ni conscience des séquelles directes et collatérales que cela entraîne, et qui stimulent l’obsession compulsive pour les marques qui sacralisent certains produits.
Police et médias
La police représente le visage le plus visible de l’État et elle est même présente là où il n’y a pas d’écoles, d’électricité ou de centres de santé. Et du fait de son rôle d’appareil coercitif, elle a tient un rôle déterminant dans la relation État-pandillas. Les façons dont elle les affronte définissent un modèle culturel et c’est pour cela qu’elle représente un élément indispensable pour le changement. Sa collaboration avec des organismes comme le CEPREV, ou même la reproduction à l’échelle nationale du modèle pacificateur de cette ONG serait une contribution de poids dans la modification du rôle des pandillas.
Du côté de la société civile, il reste à accomplir un travail maison par maison. Mais plus globalement elle doit continuer à exercer une pression pour qu’il existe au Nicaragua une gestion de la justice qui rende crédible le système judiciaire et e cadre législatif tout entier. Le premier échelon de cette crédibilité se joue dans la lutte contre les responsables des grandes évasions fiscales, les pilleurs des coffres étatiques et la structure tributaire qui perpétue l’inégalité.
A l’intérieur de la société civile, les médias ont l’énorme responsabilité d’être ceux qui façonnent les perceptions de la violence. Les médias couvrent les délits mais diffusent à peine les cas d’expériences de réhabilitation réussies. Ils doivent présenter les multiples significations du pandillerismo. Pourquoi ne pas reconnaître en ces jeunes des agents de questionnement de l’ordre social ? Avant de les diaboliser comme des malades ou des déviants, ils pourraient être présentés comme des êtres sensibles et allergiques au chaos qui nous enveloppe : l’obsession pour les marques, l’hédonisme, le sauve qui peut, les attentes insatisfaites, le risque.
Et la rédemption par l’art ?
Personne n’a exploré au Nicaragua le potentiel de réhabilitation de certains goûts des jeunes : la rédemption par l’art. Il existe deux obsessions compulsives chez les pandilleros qu’ils partagent avec beaucoup d’autres jeunes des quartiers marginaux : la drogue et la culture transnationale et ses expressions artistiques. Les deux sont de nature différente, même si elles sont parfois pareillement diabolisées.
La culture transnationale, avec ses expressions artistiques, est peu reprise par les griffonneurs paresseux de politiques publiques, qui fuient toute fatigue mentale en proposant les sempiternelles panacées : sport et emploi. Offrir à ces jeunes des opportunités pour qu’ils présentent, avec un certain niveau de reconnaissance publique et de notoriété, leurs créations artistiques : chansons, graffitis, dessins : serait une contribution de poids pour transmuer l’orientation violente de leurs énergies, permettre que leur juste révolte soit écoutée et leur ouvrir des espaces pour que la participation soit élaborée, non pas à base de coups de bâtons, de coups de poings et de mortiers, mais sur des arguments, et qu’elle soit illustrée par des images et favorisée par le talent.
Entre les Walters, les Camilos et les Ernestos, il y a beaucoup d’artistes et d’apprentis citoyens qui cherchent à se manifester. Il reste beaucoup à faire, mais peu se dirigent dans la bonne direction.
Pendant que le CEPREV fait des efforts notables pour transformer la culture de la violence, les entrepreneurs du Paint-ball Xtrême la légitiment et la vendent comme un divertissement.
Extrait d’un article de José Luis Rocha, chercheur et membre du conseil éditorial de la revue Envio.
Source française : Dial
http://enligne.dial-infos.org
Dial : Diffusion d’information sur l’amérique latine : D 2986. Traduction d’Émilie Ronflard. Source (espagnol) : revue EnvÃo, n° 303, juin 2007.
http://www.alterinfos.org/spip.php?article1608
Mise au point sur la délinquance des jeunes : http://champpenal.revues.org/7053#tocto1n7