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Ecrit le 3 juin 2004 :
Vers une armée privée ... incontrôlable
Ce qui se passe en Irak doit alimenter notre réflexion sur la privatisation des armées. Actuellement 15 000 à 20 000 personnes travaillent dans ce pays, (on ne sait exactement combien) au service des armées, voire à la place des armées, sans qu’aucun commandement puisse avoir prise sur elles.
L’armée américaine fait en effet de la sous-traitance en employant des PMF (private military firms). Cela présente plusieurs avantages pour le gouvernement :
– 1.- cela diminue le coût direct de la guerre : les frais apparaissent dans le coût « normal » de fonctionnement de l’armée, et pas dans le coût lié officiellement à la guerre
– 2.- cela évite d’avoir à comptabiliser des morts :
Les morts sont celles de salariés des firmes privées, et non pas celles de soldats. Contrairement aux règles en vigueur pour les victimes militaires, la diffusion des informations sur les pertes civiles est à la discrétion des employeurs : pas plus qu’on ne sait le nombre exact de PMF présents en Irak, on ne connaît les chiffres précis des pertes enregistrées dans leurs rangs.
Des soldats privés PMF (private military firms)
Les sociétés militaires privées (private military firms, PMF) assurent un large éventail de tâches en Irak, des tâches jusqu’ici réservées aux militaires et qui peuvent même inclure le combat. Elles peuvent aussi bien fournir des commandos, que gérer les approvisionnements, la restauration des troupes, participer à des opérations de surveillance .... et même au gardiennage des détenus. Elles ont un rôle d’entraînement militaire et de conseil. Il leur est confié l’entretien des équipements de combat tels que le bombardier invisible B-2, le chasseur F-117, les avions de reconnaissance U-2 et Global Hawk, les chars M-1, les hélicoptères Apache et les systèmes de défense antiaérienne sur les navires. Il leur est confié aussi la protection des hautes personnalités américaines, l’escorte des convois, la défense des installations. En gros : un militaire sur 10 serait privé.
Parmi ces sociétés privées : la firme Halliburton qui fait de grosses dépenses en lobbying et alimente les partis politiques. On dit par exemple qu’elle a donné plus de 700 000 dollars entre 1999 et 2002, dont 95 % au parti républicain (le parti de Georges Bush). De même DynCorp aurait donné plus de 500 000 dollars, dont 72 % aux républicains. Curieusement, les dépenses de lobbying d’Halliburton ont baissé de moitié après l’accession de son ancien PDG, Dick Cheney, à la vice-présidence des Etats-Unis - obtenant un bien meilleur retour sur investissement, puisque ses contrats ont triplé sous l’administration Bush. Une autre société telle que Erinys est chargée de recruter et former des gardiens pour les sites pétrolifères. La société Blackwater aurait recruté d’anciens soldats chiliens, à 4000 dollars par mois, pour surveiller les installations pétrolières.
Selon Le Monde, « l’Irak, actuellement, est une mine d’or. La marge bénéficiaire est incroyablement élevée, bien plus que le facteur risque », d’après ce que dit Duncan Bullivant, chef de la société britannique Henderson Risks. (la marge bénéficiaire est pour les sociétés, le risque est pour leurs salariés !). Les soldats des PMF gagnent deux à dix fois plus que leurs collègues des forces régulières, ce qui, d’une part, crée des tensions entre militaires de l’armée régulière et militaires privés, et d’autre part, risque de priver l’armée régulière de ses meilleurs éléments qui préfèrent aller travailler dans le privé pour des salaires beaucoup plus avantageux.
Ne rien respecter
Le plus grave c’est que les PMF font partie des forces armées, sans en faire partie, ce qui entraîne des dysfonctionnements, parfois graves, en termes de partage des renseignements, ainsi qu’une certaine confusion sur les droits et les responsabilités dans le cadre du combat : alors que les militaires sont censés respecter « les lois de la guerre », les soldats privés, eux, sont payés pour ne rien respecter, surtout pas ceux qui se retrouvent entre leurs pattes !
La présence d’une armée privée
(même si elle ne porte pas le nom d’armée)
risque surtout d’entraîner une nation
dans des choix militaires dictés, non pas par un gouvernement,
mais par des intérêts privés.
« De même que le business civil a ses sous-traitants destinés à écraser les coûts de production, l’armée américaine a ses sous-maltraitants destinés à balancer des coups de poing (et plus si affinités financières) » écrit Marianne du 17 mai 2004
(réflexions en partie inspirées par un article de Peter W. Singer dans Le Monde du 26 mai 2004, et un article signé JD dans Marianne du 17 mai 2004)
Ecrit le 3 juin 2004 :
Les grandes dames de Diên Biên Phu,
La bataille de Diên Biên Phu, du 13 mars au 7 mai 1954, a fait, côté français, 16 000 morts, blessés et prisonniers, et marqué la fin de la guerre d’Indochine et le retrait de la puissance coloniale française. Jacques Chirac a rendu hommage aux vétérans et aux « gueules cassées » et à Geneviève de Galard, infirmière-chef du camp retranché qui resta jusqu’au bout pour s’occuper des blessés et des agonisants, tandis que le colonel de Castries était retranché dans son QG souterrain et ne prit pas la peine de rendre visite aux blessés.
Geneviève de Galard était-elle seule ? L’hommage rendu aux combattants a pudiquement passé sous silence celles qui l’aidèrent : les pensionnaires des BMC (bordels militaires de campagne) installés par une armée soucieuse du moral des troupes. Françaises, Maghrébines ou Annamites, ces très grandes dames furent, aux dires des survivants, admirables de courage, bravant le feu et la mitraille pour venir au secours des soldats. Aucune n’a survécu. Prisonnières du Vietminh, les unes, d’origine vietnamienne, ont été exécutées. Les autres ont été victimes des mauvais traitements de leurs geôliers. Aujourd’hui encore, aux yeux de certains, elles ne sont pas présentables. La morale est sauve .
(d’après Patrick Girard,
Marianne du 17 mai 2004)