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Ecrit en 2003
Maroc : le poids de la religion
Nous sommes allés en voyage organisé au Maroc. A l’arrivée à l’aéroport de Marrakech, l’accueil est simple et courtois. On nous demande de remplir une fiche. Il en sera de même par la suite dans les hôtels. Après les formalités d’usage, nous prenons le car pour l’hôtel en compagnie de notre guide. A cette heure il y a beaucoup de monde sur la route. C’est la première semaine du ramadan. Il est environ 15 h, l’heure où les gens quittent le travail et attendent tranquillement le coucher du soleil pour la rupture du jeûne, un souper composé de dattes et d’un verre de lait, suivis d’une soupe aux pois chiches ou aux haricots. Le repas sera consommé à la suite, ou plus tard, au choix de chacun.
La route est remplie de vélos sans lumière, de cyclomoteurs dont les utilisateurs n’ont pas de casque. La circulation est confuse, les règles ne sont pas bien respectées, le parc automobile est vieux, même si quelques voitures neuves d’une bourgeoisie discrète stationnent dans les quartiers riches, alors que les rues des quartiers périphériques ne sont pas goudronnées.
Le voyage est enrichissant. le Maroc est un pays riche d’art hispano-mauresque, motifs géométriques, entrelacs végétaux, arabesques et calligraphie composent un décor raffiné. C’est un art qu’on retrouve en Andalousie : les dynasties successives ont vécu au sud de la péninsule ibérique jusqu’au 15e siècle. La mosquée Hassan II, à Casablanca, construite par des centaines d’artisans, de 1983 à 1994, a gardé le style traditionnel.
Tristesse et pauvreté
Ce qui me frappe, c’est la tristesse des femmes, la pauvreté visible, et la misère diffuse, les enfants mal habillés, chaussés de sandalettes pour aller à l’école, alors qu’il ne fait pas chaud, qu’il pleut même. Les jeunes gars et filles ne rêvent pas de vêtement de marque !
Dans les médinas (quartiers fortifiés), se trouvent les petites rues des artisans-com-merçants. Les enfants y travaillent dans de mauvaises conditions, comme cet enfant qui soude avec de simples lunettes de soleil.
C’est un univers ruisselant de couleurs et de parfum, un mouvement incessant des gens, le va-et-vient des porteurs, chargés à la main, ou à dos d’âne, ou à charrettes. Nous ne pouvons y aller seuls au risque de nous perdre.
En ce mois de ramadan, les rues s’animent le soir venu, on mange, on boit du thé à la menthe, c’est agréable de voir tant de monde dans les rues, jusque tard le soir. Mais passé une certaine heure, seuls les hommes sont dehors, les femmes sont rentrées, même celles qui mendient avec leurs gamins.
Le souk
Dans les souks (marchés), les artisans sont classés par corporations, les plus prestigieux au centre (antiquaires, bijoutiers), les plus polluants à la périphérie (tanneurs, forgerons). Les vanniers ont leur quartier, les dinandiers en ont un autre. Au souk des tanneurs les ouvriers foulent aux pieds les peaux qui trempent dans les foulons. Le souk des teinturiers accroche le regard avec les grands écheveaux pourpres, bleu sombre, jaune d’or et noirs. Au souk des épices se mêlent tous les parfums d’Orient..
Les droits de la personne
Dans les conversations, au hasard de rencontres , j’ai demandé : « qu’attendez-vous du nouveau roi ? » - « qu’il nous donne le droit de la personne » - « C’est quoi, le droit de la personne ? » - « Le droit contre la police, contre la justice, contre l’administration ». C’est par ces mots que se traduisent les rêves des personnes avec qui j’ai parlé. A aucun moment le roi n’a été mis en cause. Mais on se félicite du renvoi de l’ancien ministre de l’intérieur, ministre d’Etat connu pour sa dictature : on l’accuse de tous les maux dont souffre le pays.
Le Maroc n’est pas un pays désertique. Au nord du Moyen Atlas, les terres sont fertiles. Alors pourquoi tant de pauvreté ? Mauvais choix économiques, manque d’investissements industriels, un peu de tout cela explique la situation du pays, qui compte 58 % d’analphabètes.
Mais un autre mal plus important que tous les autres est à signaler : c’est la mentalité due à la religion qui empêche le développement. S’il n’y a pas volonté de séparer l’Etat et la Religion, le Maroc, comme les autres nations musulmanes, ne pourra pas connaître le développement qui, seul, pourra lui permettre de sortir de sa pauvreté.
Fernando Riesenberger
(écrit le 3 juillet 2002)
Offense à Chef d’Etat
Le 3 novembre 1995, le journal Le Monde, rendant compte d’un rapport officiel, titrait : « Le Maroc, premier exportateur mondial de haschich » — « Un rapport confidentiel met en cause l’entourage du roi Hassan II ». Trois semaines plus tard, le ministre de l’époque, Hervé de Charrette, sur pression du roi Hassan II, portait plainte contre Le Monde pour ’« offense à chef d’Etat », ce qui est une accusation plus grave que le délit de « diffamation », puisqu’elle ne permet pas aux journalistes de se défendre en apportant la preuve de ce qu’ils écrivent .
Le Monde a été relaxé en juillet 1996 par le tribunal correctionnel de Paris mais le roi du Maroc et le ministère public ont fait appel et la Cour d’appel de Paris leur a donné raison en mars 1997. Une décision confirmée par la Cour de cassation qui a rejeté le recours formé par le journal, en raison de « la malveillante insistance à vouloir attirer l’attention du lecteur sur la personne du roi ».
Liberté d’expression
Mardi 25 juin 2002, la Cour européenne des Droits de l’homme en a décidé autrement. Elle a rappelé le droit à la liberté d’expression sans qu’il puisse y avoir ingérence des autorités publiques. Les juges (hongrois, français, islandais, tchèque, ukrainien, néerlandais et géorgien) à l’unanimité ont estimé que « le public français avait un intérêt légitime de s’informer » sur la production et le trafic de drogue d’un pays prétendant entrer dans l’Union Européenne.
Selon eux, la France accorde un privilège « exorbitant » aux Chefs d’Etat étrangers en maintenant l’existence du « délit d’offense à chef d’Etat étranger ». Les juges ont affirmé que la presse, qui contribue au débat public, doit pouvoir s’appuyer sur des rapports officiels sans avoir à entreprendre des recherches indépendantes
Ainsi la Cour européenne ramène le chef d’Etat, au rang de simple citoyen. Même le chef de l’Etat Français ?
Ecrit le 11 mai 2004 :
Maroc : Les petites bonnes
Pour satisfaire la demande croissante de « petites bonnes », les familles aisées de Casablanca, Marrakech, Rabat ou Tanger se tournent vers la campagne où, selon La nouvelle République (journal algérien) des familles pauvres n’hésitent pas à vendre leurs filles pour moins de 200 dirhams (19 €). Le sociologue Chakib Guessous, dans son livre « Exploitation de l’innocence » montre que ces petites filles âgées de 7 à 10 ans, apprennent très tôt les vicissitudes de la vie, elles sont souvent maltraitées, mal nourries, fatiguées par la surcharge de travail, à la limite de l’esclavage. En 2001 on dénombrait 23 000 domestiques à Cacablanca dont 59 % de moins de 15 ans.
Selon le Haut Commissariat Marocain au plan, 82 % de ces jeunes filles sont analphabètes, 77 % d’entre elles reconnaissent avoir trois tâches à la fois, les travaux ménagers, les courses et la garde des enfants. 22 % n’ont ni jour de congé ni congé annuel. 5 % d’entre elles sont victimes d’abus sexuels. 35 % des fillettes ainsi placées ou vendues n’ont plus de contact avec leur famille, selon le journal Aujourd’hui le Maroc.
Dans les familles bourgeoises citadines, « Avoir une ou plusieurs petites filles domestiques qui deviendront avec l’âge une femme de ménage fidèle à la famille » est dans l’air du temps . Pour Chakib Guessous, le travail des enfants, en faisant obstacle à leur croissance harmonieuse, est un frein au progrès économique du pays.
(d’après le Courrier International)