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Ecrit le 3 juin 2003
Retraites et grève : Petit calcul
En cette période d’incertitude de la Bourse, il existe un moyen sûrde ne pas perdre bêtement son argent.
Voyons un peu.
Vous prenez votre retraite à 60 ans.
Mettons que vous mouriez à 75 ans.
Cela fait donc 15 ans de retraite. Soit 180 mois. Mettons que vous ayez 1000 € de retraite par mois.
Mettons que le projet Fillon, en matière de retraites, passe. _ Il ampute votre retraite disons en gros de 200 euros par mois.
Vous perdriez alors 180 x 200 = 36 000 euros (236 145 F)
Mais vous n’êtes pas un de ces pigeons qui se laissent plumer. Il y a un bien meilleur plan.
Vous faites grève.
Cela vous coûte 50 euros par jour.
Probablement moins.
Avant d’atteindre 36 000 euros de retenue sur votre salaire, vous pouvez donc vous permettre de faire 720 jours de grève !
Une année de travail comporte environ 47 semaines. A 5 jours par semaine cela fait 235 jours.
Pour perdre plus en faisant grève qu’en acceptant la réforme Fillon / Raffarin, il faudrait que vous fassiez 3 ans et 15 jours de grève continue !!!!!
Or il suffit d’observer un peu pour comprendre rapidement que Fillon et Raffarin ne sont que des fusibles, qui ne tiendraient que peu de temps, pourvu qu’en face il y ait un mouvement déterminé.
Alors pas d’hésitation : Investissez dans la grève : même 3 ans et 15 jours de grève vous coûteront moins que la réforme Fillon-Raffarin.
(écrit le 3 juin 2003) :
De Bastille-Nation-République sous la signature de Bernard FRIOT, professeur de sociologie à l’Université Paris X Nanterre, chercheur à Travail et Mobilités (UMR Paris X CNRS) : " La défense des retraites fait l’objet d’une mobilisation considérable en France (mais aussi en Autriche, où des centaines de milliers de salariés ont manifesté, également le 13 mai). Or le financement des pensions de demain n’est nullement menacé. Depuis 1991, les gouvernements, feignant d’oublier la croissance du PIB (produit intérieur brut) et de la productivité, poursuivent en réalité un objectif : substituer la rente financière ou l’allocation étatique, à la cotisation sociale . Le principe de cette dernière pourrait bien, en effet, s’avérer subversif pour le système lui-même. Le tableau ci-dessous est, à cet égard, éloquent :
Écrit le 18 juin 2003
(texte en partie emprunté à
Bernard Friot, professeur de sociologie
à l’Université Paris X Nanterre,
auteur de Puissances du salariat (1998)
et de La cotisation sociale créera l’emploi (1999) aux éditions La Dispute)
Balivernes
Pendant que se multiplient les manifestations à propos du projet Fillon sur les retraites, pendant que le gouvernement s’obstine à le maintenir, une idée s’ancre profondément dans l’esprit des Français : le financement des retraites est compromis à très court terme. On parle de 2040, ou 2020, on dit même de 2006 ! On oublie de nous dire que les projets de modification des retraites résultent des décisions de Bruxelles qui veulent ouvrir la voie aux fonds de pension européens, et non pas d’une situation difficile. Voici comment, et pourquoi
°°°
On nous dit : la part du PIB (produit intérieur brut) à consacrer aux retraites va augmenter sans cesse, passant de 5 % à 20 %, ce qui sera insupportable.
Mais on oublie de nous dire que « 5 % » cela ne veut rien dire en soi. Ce qu’il faut savoir c’est 5 % de quoi. Et c’est là que tout change.
Le PIB, produit intérieur brut, c’est la richesse d’un pays. Dans un pays comme la France, la richesse n’a cessé et ne cesse de s’accroître (même s’il y a des individus très pauvres).
On le voit, il est plus facile de dépenser 20 % de 3000 milliards que 5 % de 750 milliards.
Cachez ce PIB que
je ne saurais voir
Cela, la classe dirigeante le sait parfaitement. Pourquoi alors son acharnement à « sauver » une institution en parfaite santé ? C’est parce que cette santé l’affole.
Hier, le salaire était fait de 85 % de salaire direct et de 15 % de cotisations sociales, et ça ne prêtait pas à conséquence. Aujourd’hui, nous sommes à 60/40 : la classe dirigeante ne tolère pas que 40% du salaire nous paie à ne rien faire, c’est-Ã -dire à travailler librement, à produire de la richesse et non pas à mettre en valeur du capital. Demain, continuer à financer les retraites par cotisations sociales supposerait que plus de la moitié du salaire finance non pas le travail subordonné mais le travail libre.
De plus, financer les retraites sans épargne financière montrerait le caractère parasitaire de celle-ci ... et donc qu’il est serait possible aussi de financer l’investissement productif sans accumulation financière. LÃ , c’est le droit de propriété lucrative qui est en jeu, et avec lui le fondement même du capitalisme.
On le voit, c’est une bataille politique majeure qu’engage la classe dirigeante contre le financement de la retraite par la hausse des cotisations sociales patronales, et elle est prête, cette fois encore, à ce que saute le fusible Raffarin plutôt qu’Ã renoncer à engager une bataille où elle joue, à long terme, sa survie.
La société de longue vie
La société de longue vie est une bonne nouvelle, pas un problème. Il ne faut pas parler de « vieillissement de la société » car cela fait penser à un individu qui irait vers la mort, alors qu’en réalité on assiste à un phénomène très positif : le fait d’être jeune de plus en plus longtemps dans des sociétés développées et d’y mener une vie autonome jusqu’Ã un âge de plus en plus avancé.
L’espérance de vie à 60 ans augmente d’un mois et demi par an, nous dit-on : la durée de la retraite va donc augmenter de 6 ans d’ici 2040, passant de 18 à 24 ans pour les hommes et de 23 à 29 ans pour les femmes. Cette évolution n’est pas nouvelle, et on y a fait face jusqu’ici en augmentant significativement la part des dépenses de pensions dans le produit national : de 5 % en 1960 à 12 % aujourd’hui.
Compte tenu, par ailleurs, de la natalité, de l’immigration, du taux d’activité, du chômage et de la productivité du travail, le Conseil d’orientation des retraites (COR) prévoit que, pour garder les conditions actuelles, il faudrait consacrer aux pensions 20 % au moins du PIB en 2040. Etant entendu que celui-ci aura doublé dans l’intervalle, une hausse sensible des dépenses de retraite ne pose aucun problème de financement. (voir le tableau ci-dessus).
8 retraités pour 10 actifs ?
_Pas de problème !
Mais on s’inquiète, on nous dit qu’il y a actuellement 4 retraités pour 10 actifs et qu’il y aura bientôt 8 retraités pour 10 actifs. Et alors ? Comme le PIB aura doublé, tout ira bien. Voici le calcul :
4 retraités + 10 actifs, pour une production de 100, cela fait 7 en moyenne (100 : 14)
8 retraités + 10 actifs, pour une production de 200, cela fait 11 en moyenne (200 :18)
Non seulement c’est possible, mais c’est bénéfique pour tout le monde.
Seulement, est-ce bien raisonnable de parier sur un doublement du PIB en 20 ans ? Faîtes le calcul : le PIB augmente en moyenne de 1,6 % par an (il y a des années où la croissance atteint 2 % ou davantage) :
100 + 1,6 % = 101,6 (1re année)
101,6 + 1,6 % = 103,23 (2e année)
103,23 + 1,6 % = 104,88 (3e année)
104,88 + 1,6 % = 106,56 (4e année)
(en multipliant ainsi par 1,016 chaque année, on arrive à un doublement du PIB en 45 ans). (avec une croissance de 2 % par an, le PIB double en 39 ans)
8 retraités pour 10 actifs ?
Pas de problème !
Tous les calculs montrent bien qu’il n’y a pas de problème. Et pourtant on nous rabâche qu’il va y avoir un problème. Dans quel but ? C’est que le projet Fillon cherche à entraîner un recul du taux de remplacement et un recul de l’âge d’entrée en retraite : le taux de remplacement qui est de 80 % aujourd’hui (Ã carrière complète) tombera à 66 % seulement en 2040, tout en reculant l’âge du départ en retraite. Cela veut dire que les retraités, en 2040, ne percevront plus que 66 % de leur salaire d’activité.
Pour que cette baisse ne soit pas insupportable, deux types de mesures sont proposées :
– le taux de remplacement des bas revenus serait garanti par l’Etat à hauteur par exemple de 85% du SMIC (mais pas avant 2008)
– des incitations fiscales encourageraient l’épargne de ceux qui ont des revenus moyens et élevés, en utilisant en particulier les dispositifs d’épargne salariale.
Ainsi, c’est un double déplacement qui est recherché : le financement des pensions assuré jusqu’ici par le salaire serait assuré de plus en plus par l’impôt (allocation fiscale) ou par la rente tirée de placements financiers.
1) La cotisation est pourtant préférable aux deux autres modalités. Voici pourquoi :
Faire appel à la « solidarité nationale » c’est mettre le droit des pauvres à la place du droit des salariés
Mettre sous la puissance de l’Etat des personnes ou des groupes sociaux posés comme victimes ou défavorisés, empêche de reconnaître leurs droits en tant que salariés. On sait la fragilité de droits ainsi financés.
2) Pour les salariés qui ont des revenus plus élevés, la porte serait ouverte à une « retraite par capitalisation » (chacun pensant qu’il crée un capital pour sa retraite), offrant au privé un marché juteux que celui-ci se désespérait de voir lui échapper.
Après Enron, après Worldcom, après les lourdes pertes subies par les fonds de pension anglo-saxons, quelles catastrophes financières faudra-t-il encore pour qu’on renonce enfin à jouer les retraites des Français à la roulette ?
Une alouette de répartition.
Un cheval de Capitalisation.
On nous dit que la capitalisation ne devrait avoir qu’un rôle de complément par rapport à la répartition existante, affirmant qu’on ajoutera ainsi les avantages d’un système à ceux de l’autre. Dans la réalité, les deux systèmes travaillent l’un contre l’autre : la capitalisation exige des revenus du capital élevés, ce qui implique un tassement de la masse salariale
La capitalisation encourage l’égoïsme personnel (= je travaille pour ma retraite). La répartition est plus proche d’une réalité solidaire : une génération a droit à sa retraite parce que, par son activité, elle a jeté les bases du niveau de vie des générations suivantes. Chaque génération monte sur les épaules de la génération précédente. Dirons-nous aux plus vieux que nous sommes prêts à leur assurer une retraite décente, à condition qu’ils ne vivent pas trop longtemps ?
Les retraités ont droit
à une retraite plus longue
parce que l’allongement
de l’espérance de vie
est en grande partie
le résultat de leurs efforts passés,
quand ils étaient en activité.
Finalement, le plan Fillon renvoie aux solutions individuelles et fait le lit de la capitalisation... et des « fonds de pension » européens, du moins pour ceux qui auront les moyens de confier aux hasards boursiers une part de leur épargne.
C’est un choix de société. Un choix de vie aussi : car entre 60 et 65 ans, c’est un choix entre « les plus belles années de retraite » ou « les plus dures années de travail »