Ecrit le 12 juin 2019
D’une année sur l’autre, et a fortiori d’une décennie à l’autre, on s’était habitué, comme pour la croissance, à ce que tous les indicateurs soient au vert et à la hausse : plus d’associations, plus de bénévoles, plus d’engagement, etc. Le monde associatif apparaissait presque comme un îlot de prospérité, tout au moins de dynamisme, dans un monde en crise. L’essor des associations tenait même du lieu commun.
Sans parler de crise, cette dernière décennie est marquée par des inflexions et des incertitudes. Du positif certes, mais aussi des nuages.
Les jeunes
Commençons par les bonnes nouvelles, On avait pressenti la tendance à l’augmentation de l’engagement des jeunes de moins de 35 ans. Elle se confirme avec une hausse de 10 points de plus de participation au cours de la décennie, soit 37% de bénévoles dans cette classe d’âge aujourd’hui, contre 27% en 2010. Ce qui les situe très exactement dans la moyenne de la participation, alors qu’ils étaient traditionnellement assez loin de leurs aînés.
Il y a certes des raisons objectives comme l’allongement des études, la valorisation de l’engagement bénévole, les nouvelles formes d’engagement comme le service civique, la reconnaissance et la certification de ces engagements par les universités ou par des livrets de compétences et autres passeports, la prise en compte du bénévolat dans le monde de l’entreprise, parfois même comme primo expérience professionnelle... Elles viennent conforter les motivations plus générales de l’engagement comme socialisation, comme utilité sociale, comme sens donné à la vie et bien sûrcomme possibilité d’acquérir de nouvelles compétences, motivation plus récente mais qui ne cesse de gagner en importance. Quand on sait que la tradition familiale et l’engagement précoce sont les deux grands facteurs prédictifs d’un engagement pérenne tout au long de la vie, il y a là un vrai motif d’espoir. D’autant plus que l’engagement dans le bénévolat évolue quasi mécaniquement avec le niveau de diplôme qui continue de s’élever.
Les femmes
La participation des femmes est un autre grand sujet de satisfaction, puisqu’elles font désormais jeu égal avec les hommes au niveau de l’engagement et donnent pratiquement autant de temps en moyenne que les hommes à une association. Restent à conquérir les postes de responsabilité au sein des associations, lesquels comme on le sait, sont encore très inégalement distribués selon le genre.
La focalisation sur la parité dans les discours comme dans les organisations a fini par porter ses fruits qui profitent également aux associations, lesquelles sans être encore exemplaires, ouvrent le chemin à la non-discrimination.
Remarquons que la progression des jeunes et des femmes tient aussi à des politiques publiques incitatives qui sont venues soutenir et amplifier des évolutions assez lentes jusqu’Ã présent. La conquête de nouveaux publics passe et passera par de nouvelles formes de reconnaissance et de valorisation, à proportion de la place croissante des associations dans les politiques publiques élargies aux biens communs.
Les aînés
L’inquiétude vient plutôt des aînés et tout particulièrement des plus de 65 ans. Si 51% d’entre eux se disaient engagés dans le bénévolat en 2010, ils ne sont plus que 44% en 2019. Or, ce sont les piliers du bénévolat, notamment auprès des associations dont ils constituent souvent le « cadre » fixe et régulier, compte tenu de leur disponibilité supposée. L’enquête 2019 le confirme à nouveau : ils sont presque 20% à donner du temps chaque semaine à l’association de leur choix. Ce sont eux également qui donnent le plus souvent dans la pluriactivité associative, étant plus nombreux à participer à plusieurs associations. Nos aînés ne sauraient, ici comme ailleurs, être négligés quand on en connaît les bienfaits pour les associations comme pour eux-mêmes, leur santé et leur propre longévité.
Sans s’inquiéter outre mesure puisque l’engagement des plus anciens retrouve simplement le niveau déjà atteint en 2010, il y a lieu de s’interroger. Bien des raisons peuvent être avancées à ce qui peut être qualifié de pause ou de recul, mais sans certitudes, et sans qu’une explication paraisse vraiment déterminante. Le lecteur, selon son expérience et au vu des résultats détaillés, se fera sa propre idée. Mais sans oublier que trop souvent, en matière de bénévolat associatif, cet engagement ne résulte pas seulement du « ’bon vouloir », de la « bonne volonté » individuelle, mais aussi d’une politique de l’offre.
Or, de très nombreuses associations ont souffert de la réduction drastique des emplois aidés, de la suppression des dons venant de l’ISF ou de la diminution parfois dramatique des aides publiques. Certaines ont fermé leur porte, d’autres ont dû ralentir leur activité, n’offrant plus les mêmes facilités ou conditions d’engagement. Le manque de moyens financiers ou matériels arrive d’ailleurs largement en tête des principales déceptions éprouvées par les bénévoles (34%).
Ces difficultés en tout genre qui pèsent sur les associations, ne sont pas compensées par des actions publiques ou politiques incitatives en direction des plus âgés, à la différence des publics précédemment cités. On sait par ailleurs que les seniors sont aujourd’hui plus inquiets de l’avenir de leur retraite et de leurs conditions de vie, incitant ces derniers à conserver un volet professionnel ou à réserver leurs moyens et leur disponibilité à l’usage de leurs proches. Les plus « actifs » faisant office de génération « pivot », entre des parents nécessitant leur soutien et des enfants qui ne peuvent parfois pas s’en passer.
S’ils disposent de plus de temps libéré, les sollicitations de toutes sortes se font également plus nombreuses, surtout pour des catégories qui disposent en général d’un certain capital culturel et souvent d’un capital tout court.
Engagement et reconnaissance
On remarquera enfin que le bénévolat associatif est maintenant principalement défini comme un véritable engagement citoyen, compte tenu de l’importance des actions menées, notamment dans le domaine social, et de l’expertise, voire de la professionnalité demandée aux bénévoles. A fortiori auprès de ceux qui jouent un rôle important, voire d’encadrement. Il s’agit pour les aînés d’un serious leisure comme disent les anglo-saxons qui ne saurait être pris à la légère et qui réclame du temps, dont il est difficile de se dégager quand on occupe un poste à responsabilité. D’où le développement, même s’il reste encore limité, d’un bénévolat plus informel ou plus ponctuel. D’où les hésitations ou les reports d’engagement, vraisemblablement plus importants qu’ils n’étaient.
D’une manière générale, plus il sera demandé en compétences, en temps et parfois en argent à ceux qui s’engagent, plus il faudra trouver les formes de reconnaissance, de soutien, d’incitations, d’aides, voire de statuts pour engager un bénévolat qui ressemble de plus en plus à un volontariat par ses implications, sans en recevoir pour l’instant les gratifications. C’est pourquoi, quand on demande aux bénévoles « Quelles seraient leurs attentes pour bien vivre leur activité bénévole ? », leurs deux premières réponses vont à leur besoin de formation et à la prise en charge des frais occasionnés par leur activité.
Si les associations ont un grand besoin d’être réassurées dans leurs actions, les bénévoles ont, de leur côté, un même besoin d’être confortés dans leurs missions. Les unes n’iront pas sans les autres.
Roger SUE,
Sociologue, professeur à l’université Paris Descartes et chercheur au Centre d’Etude et de Recherche sur les Liens Sociaux (laboratoire CERLIS - CNRS).
La fracture associative
L’enquête sur le bénévolat peut être consultée ici : https://frama.link/benevol
Environ 45 % des Français adhèrent à une association, mais la proportion varie du simple au double selon que l’on ne possède aucun diplôme (30 %) ou que l’on est titulaire d’un diplôme d’enseignement supérieur (60 %). Cette « fracture associative », se prolonge dans le bénévolat, et s’aggrave : 18 % des moins diplômés étaient bénévoles en 2016 ; ils ne sont plus que 15 % en 2019. Dans le même temps, la proportion des plus diplômés est restée stable à 31 %.
En dépit de leurs efforts, les associations ne possèdent pas encore les moyens de jouer pleinement leur rôle en faveur des plus modestes, qui ne peuvent ainsi bénéficier de ce que l’on pourrait dénommer « l’ascenseur citoyen ». Les témoignages des bénévoles en attestent : leurs motivations sont de plus en plus empreintes de citoyenneté, et, s’en trouvent ainsi privés celles et ceux qui n’osent pas franchir le pas vers une association.
Cette fracture est préjudiciable aux associations, les privant de nombreux adhérents en mesure de renforcer leur vitalité et leurs actions, mais aussi et surtout préjudiciable aux personnes concernées, ainsi privées de ce plaisir de partager des activités avec les autres.
Cette fracture est d’autant plus regrettable que les bénévoles interrogés ce printemps, expriment ressentir de réelles améliorations. La plupart des sources de satisfaction sont en augmentation, l’épanouissement personnel en tête, cité par 40% des bénévoles en 2019, alors qu’ils étaient 34% en 2016. Inversement, les déceptions sont moins nombreuses.
Ce mieux-être des bénévoles est le fruit des efforts réalisés dans les associations pour animer leurs équipes, pour accompagner les uns et les autres, qu’ils soient intervenants occasionnels ou réguliers, dans un parcours constructif et valorisant pour chacun et pour l’association. Elles ont pu notamment s’appuyer sur les conseils, les recommandations et les outils mis en place par des organisations spécialisées, sur l’accompagnement des services déconcentrés en charge de la vie associative et sur de nouvelles mesures en faveur de la formation des bénévoles et de la reconnaissance du bénévolat.
A grands traits, les moins de 35 ans sont significativement plus nombreux, en proportion, dans les domaines de la jeunesse-éducation populaire, de la santé, de l’environnement et de la solidarité internationale, et moins présents dans le secteur social. Les 35-49 ans se distinguent essentiellement dans le domaine du sport, et sont moins présents dans les associations culturelles. De leur côté, les plus de 65 ans sont significativement bien plus présents dans le secteur social, plus nombreux dans celui de la culture, et moins souvent engagés dans les associations sportives.