Ecrit le 21 mars 2007
Ce livre est le résultat d’une enquête journalistique sur toute l’année 2005 de la France du « sous-sol », celle des foyers d’hébergement d’urgence, des caves, des squatts, des parkings souterrains, des meublés vétustes de 8 m2 ou moins, des cages d’escaliers, des laveries automatiques, des bains douches, la France où survivent 7 millions de travailleurs gagnant moins de 722 euros de revenu mensuel (1).
Jacques Cotta montre comment les personnes à faible revenu sont depuis longtemps et méthodiquement éjectées des grandes villes. « On est passé de la lutte des classes à la lutte des places » témoigne une personne touchée par la précarité, situation sociale qui a explosé : dans les années 90, l’intérim a augmenté en dix ans de 130%, le nombre de CDD de 60%, et les CDI de seulement 2% (chiffres de l’INSEE).
Ce livre montre comment des êtres humains ont « dévalé la pente à toute allure », notamment une majorité de femmes, ce bataillon « invisible » qui occupe 82% des emplois à temps partiel. Jacques Cotta est allé enquêter, parfois dénicher ces pauvres « là où les grandes organisations politiques et syndicales brillent par leur absence », où on ne retrouve plus que des associations caritatives comme les Restos du Cœur, que l’Etat a fini plus ou moins par acheter à coup de subventions, pour avoir la paix sociale.
Les travailleurs pauvres, les voici : Faty, employée d’une société de nettoyage et meneuse de grève ; laïfa, ce boulanger qui préfère abandonner son boulot par amour du travail bien fait ; Constant, agent
hospitalier qui ne peut vivre qu’en foyer ; et puis ces intermittents du spectacle réduits à la mendicité, surexploités à coups de casting de pieds, de seins, de fesses ou de cheveux (2) ; ces élèves sacrifiés des ZEP, zones d’éducation ....« péjoratives », promis à un avenir précaire.
L’auteur évoque aussi le monde rural avec ces milliers de travailleurs saisonniers payés moins de 8 euros par heure (moins du SMIC), et le contexte délétère dans lequel a eu lieu le meurtre des deux inspecteurs du travail le 2 septembre 2004 en Dordogne (3) : pratiques illégales de travail qui ont pignon sur rue, règles élémentaires de droit bafouées, poussée de l’extrême droite dans le monde syndical agricole, solidarité affichée avec les assassins (4).
Et pourtant la France est riche.
Mais une minorité tire profit de la pauvreté devenue massive. Les marchands de sommeil possèdent des hôtels très lucratifs, l’Etat servant de vache à lait. Le prix au mètre carré et la spéculation explosent, les municipalités préférant laisser des logements sur le marché, vides, ou pratiquer de la pseudo « rénovation urbaine » pour classes sociales solvables.
Jacques Cotta s’invite dans les hautes sphères du pouvoir politique et économique (Ministères, firmes nationales) où les collusions règnent et où les salaires, actions, indemnités de départ (golden parachute, golden hello) pour les patrons, explosent. La loi de réquisition peut bien exister, les décideurs s’en tapent (5).
En fin d’ouvrage, face à « cette précarité voulue », l’auteur questionne « ceux qui nous gouvernent ou qui en ont la volonté »,
Il pose la question des services publics, du droit de tous à vivre dignement, mais aussi de la durée de vie d’une société qui fait l’éloge de l’auto-destruction. Jusqu’Ã quand ? Quelle sera l’issue d’un tel monde ? Jacques Cotta n’écarte aucun scénario. Ce livre est cinglant et touche son but : nous ouvrir les yeux.
P. Dubreil
(1) 12 millions de travailleurs gagnent moins de 843 euros de revenu mensuel.
(2) Authentique !
(3) Assassinat jamais survenu auparavant depuis la création de l’Inspection du Travail en...1892.
(4) La déclaration quelques mois avant ce meurtre, d’André Daguin, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), à l’université du Medef à Jouy-en-Josas, magnifiant la violence sociale et physique lors des licenciements, est significative de ce climat social pour le moins tendu et montre que ce meurtre n’est pas à classer dans la rubrique banale des faits divers.
(5) La loi de réquisition des logements vides a été créée par le Conseil National de la Résistance en 1945, réactualisée en 1998.
Jacques Cotta, 7 millions de travailleurs pauvres : la face cachée des temps modernes, Fayard, janvier 2007.