Ecrit le 4 juin 2008
Un bateau d’eau pour les riches, un dé à coudre pour les pauvres
Barcelone manque d’eau. Une sécheresse historique menace 5,3 millions d’habitants. Des usines de désalinisation de l’eau de mer seront opérationnelles l’hiver prochain. Mais en attendant il faut trouver de l’eau. Appel a été fait à la Société des Eaux de Marseille. Le premier bateau est parti le 20 mai 2008.
Les questions d’Ecoforum
l’association Ecoforum (Marseille) tient à faire partager quelques interrogations graves [1] qui valent pour tout le monde.
« A Marseille, en 1934, nous utilisions 1 litre d’eau potable par personne et par jour, pour satisfaire nos besoins vitaux. Aujourd’hui : 150 litres d’eau par personne et par jour. Dans ce monde de surconsommation qui nous invite à être énergivores, sommes-nous devenus » hydro-vores « , inconscients de la gravité du problème mondial de l’eau ? Chaque jour 20 à 30.000 personnes meurent à cause du manque d’eau saine, dont un enfant toutes les 8 secondes. L’Europe, l’amérique du Nord et le Japon ont une consommation de 150 à 600 litres/personne/jour contre 10 à 40 litres en Afrique, sachant que la quantité vitale d’eau potable est de 30 à 50 litres/jour. Peut-on comparer le besoin en eau d’un individu pour vivre et le besoin en eau de quelqu’un qui va l’utiliser pour ses loisirs, sans compter et sans penser au gaspillage ? »
Barcelone sera approvisionnée par six navires, qui effectueront 63 voyages par mois pour livrer 1 660 000 m3 d’eau potable chaque mois. Ces navires consomment en 24 heures de traversée entre 30 et 50 tonnes de carburant. La livraison d’eau potable par bateau, pose des questions sur la manière dont nous, pays riches, gérons la ressource eau.
Peut-on parler de solidarité quand, dans cette province d’Espagne, de nombreux terrains de golf, des piscines en bordure de mer, des espaces verts pour les touristes gaspillent l’eau sans compter ? Par exemple, les 6 principaux terrains de golf autour de Barcelone totalisent 235 trous ce qui représente une consommation mensuelle minimum de 355 000 m3. Le gaspillage présente une autre caractéristique : 25 % de déperdition d’eau liée à la vétusté et au manque d’entretien des réseaux d’adduction barcelonais
Il est possible de faire des économies. Par exemple l’installation dans chaque foyer d’une chasse d’eau économe permettrait d’économiser 1 600 000 m3 d’eau par mois, soit l’équivalent de la quantité d’eau livrée à Barcelone chaque mois [2]
Mais les usagers domestiques utilisent moins de 8 % de la ressource en eau, les agriculteurs 80 %, le reste de la consommation revenant à l’industrie. Il ne faut donc pas se tromper d’interlocuteur : si la contribution des usagers est souhaitable, il n’est pas de leur ressort exclusif d’économiser une eau potable qu’ils payent par ailleurs assez cher. L’eau qui va partir de Marseille à 1 euro le m3, arrivera à Barcelone, taxes et transport compris, à 9 euros le m3. (Les Marseillais, quant à eux, payent l’eau de leur robinet 3 euros le m3.)
Saumâtre
La désalinisation de l’eau de mer, présentée comme la solution miracle face à la pénurie d’eau, implique deux inconvénients majeurs : désaliniser provoque le rejet dans la mer de saumures qui à terme acidifieront l’eau et dont les effets sur l’écosystème sont à ce jour inconnus. Sans compter l’énergie nécessaire pour ce procédé. Ne serait-il donc pas plus judicieux de respecter le cycle de l’eau et de mieux gérer la ressource en qualité et en quantité ?
« L’eau est un bien commun, et pour nous, ces livraisons d’eau à Barcelone représentent un danger et une porte ouverte à la marchandisation de l’eau. Les sociétés des eaux ne sont pas propriétaires de la ressource, leur rôle est essentiellement de l’exploiter et de la distribuer. De quel droit la Société des Eaux de Marseille commercialise-t-elle l’eau ? » dit Ecoforum en ajoutant :
« Au-delà de notre opposition éthique, il n’y a aucune raison que cette vente bénéficie aux sociétés privées. Ces bénéfices ne devraient-ils pas revenir, sous une forme ou une autre, aux contribuables de l’agglomération marseillaise ? »
Plus généralement, le manque d’eau est un problème mondial. Même sur le continent européen, la pénurie existe : près de 40 enfants meurent chaque jour de problèmes liés à l’eau, selon l’OMS. « c’est pourquoi nous militons pour un minimum gratuit de 20 litres/jour par personne en France. » dit Ecoforum.
« Celui qui a la main sur le robinet est celui qui a le pouvoir d’un point de vue géopolitique ». Des solutions de « sagesse », tenant compte de la mortalité due à la pénurie d’eau, sont possibles. Il suffirait que l’homme décide de traiter cette ressource comme un « bien commun » en garantissant le minimum vital à tous les êtres humains. Cela doit passer par une sobriété et une meilleure gestion des ressources d’eau. Nous pourrions remplacer le pétrole, mais l’eau est irremplaçable !
Nous préfèrerions que le prochain bateau parte pour sauver les personnes qui meurent de soif dans l’indifférence mondiale !
Source : les écrits de V. H. ESPINOSA, président d’Ecoforum
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