Ecrit le 13 mai 2015
« Breaking the silence » (Briser le silence) est une organisation israélienne créée par Yehuda Shaul. Elle vient de publier le témoignage d’une soixantaine de militaires israéliens ayant participé à l’opération « Bordure protectrice » à Gaza à l’été 2014.
Bande de Gaza, été 2014. Le jour se lève sur le village de Juhor al-Dik, pris la veille par l’armée israélienne. Les soldats somnolent encore quand soudain une radio grésille. « Les gars, tous les chars en rang en position de tir vers Bureij. Nous commençons l’engagement. » « Sur quoi allons-nous tirer ? » demande un soldat. « Choisis comme tu le sens », répond le commandant, qui lancera un dernier « Bonjour Bureij ! » avant d’intimer l’ordre de tirer. Tous les chars visent en même temps le camp de réfugiés de Bureij, de manière aléatoire. Pourtant, personne n’avait tiré sur l’armée israélienne, « ni avant, ni après, ni pendant ».
Cette histoire, une parmi d’autres, est racontée par un sergent de l’armée israélienne dans un témoignage anonyme publié le 4 mai parmi des dizaines d’autres.
« Les règles d’engagement étaient : ouvrez le feu, ouvrez le feu partout (...) L’hypothèse étant que dès le moment où nous entrions [dans la bande de Gaza], quiconque osait sortir la tête était un terroriste », raconte un soldat expliquant que les autorisations pour pouvoir ouvrir le feu étaient de plus en plus faciles à obtenir au fur et à mesure que les jours passaient. « Nous pouvions tirer partout, pratiquement librement », explique pour sa part un sergent déployé dans la région de Deir al-Balah. « Parfois, nous nous disions : tirons là -bas, au pire ils nous demanderont ce que nous visions, et nous expliquerons que c’était un endroit sur lequel nous avions des doutes »
Lacunes béantes
L’offensive à Gaza, qui a entraîné la mort de près de 2 100 Palestiniens entre le 8 juillet et le 26 août 2014, avait soulevé une vague d’indignation internationale sur la condition des civils pris en étau entre l’armée israélienne, accusée de tirs indiscriminés, et le Hamas, soupçonné d’utiliser la population comme un « bouclier humain ».
Mais alors que plusieurs enquêtes internationales ont été lancées sur cette guerre, jamais rapports aussi accablants n’avaient été publiés. Si la Convention de Genève indique qu’un soin constant doit être pris pour épargner les populations civiles et leurs biens, les témoignages démontrent que le principe militaire du « risque minimum pour nos forces, même au risque de nuire à des civils innocents » s’appliquait à chaque instant.
« L’idée c’était : si tu vois quelque chose, tire », explique un sergent. « Si vous tuez quelqu’un à Gaza, c’est cool, ce n’est pas grave. Premièrement, parce que c’est Gaza. Deuxièmement, parce que c’est la guerre. »
Et les témoignages sur la « stérilisation » des zones d’opérations se succèdent. Il y a par exemple ce vieil homme de « 60 ou 70 ans », soupçonné d’être une menace, et qui, « se tordant de douleur », sera achevé avec un bulldozer qui le recouvrira de décombres pour « mettre un terme à ses souffrances ». Il y a aussi ces deux femmes, abattues parce que l’une était au téléphone, et qui, après vérification, n’étaient pas armées. Ce qui n’empêcha pas de les répertorier comme terroristes. « Nous leur avons tiré dessus, c’était donc forcement des terroristes », raconte un soldat.
Les rapports remettent également en cause la fameuse politique du « On les a prévenus » : les tirs d’avertissement de l’armée israélienne précédaient parfois de quelques dizaines de secondes seulement le bombardement d’un bâtiment. « Si quelqu’un reste sur zone après ces avertissements, explique Asa Kasher, il se transforme de lui-même en bouclier humain : un non-combattant protégeant les combattants. Du point de vue de la proportionnalité, c’est un combattant. » ou comment devenir bouclier humain sans le savoir ! Le même Asa Kasher, professeur de philosophie, raconte : La question de la proportionnalité a fait l’objet de longs débats entre les experts. « On avait eu une discussion animée à ce sujet dans le comité en 2003. Trois Palestiniens tués pour un Israélien, ça allait. Quatre, non. Certains ont dit un pour un, d’autres 10 pour un. J’ai refusé de participer à cette discussion amorale. »
Les destructions durant la guerre à Gaza ont aussi marqué les soldats israéliens. « Il y avait un sentiment de folie par rapport au nombre de bombardements », raconte un militaire. « 900 obus ont été tirés en une nuit à Chajaya », affirme un autre. Le but n’étant pas seulement de détruire des infrastructures du Hamas, mais de porter un coup au moral de la population, suggèrent plusieurs témoi-gnages.
En publiant ces témoignages de militaires, tous anonymes, l’ONG Breaking The Silence, espère faire bouger les consciences des Israéliens qui, pendant la guerre, ont été surtout informés des pertes israéliennes, 73 morts dont six civils, et pratiquement pas du drame qui se déroulait côté palestinien, à Gaza, où 2 200 personnes ont été tuées, dont 1 500 civils.
Si cette organisation n’utilise jamais l’expression « crimes de guerre », elle estime néanmoins que ces témoignages jettent « de graves doutes sur l’éthique de l’armée israélienne », et appelle à une enquête honnête et indépendante sur la façon dont les forces de l’armée israélienne ont été utilisées lors de l’opération « Bordure protectrice ».
Ethiopiens
Les juifs éthiopiens ont été amenés en Israë l par deux opérations de sauvetage, l’Opération Moïse (1984) et l’Opération Salomon (1991). Mais leur intégration a été compliquée par des attitudes racistes de la part de certains éléments de la société israélienne et de la part des rabbins contestant leur judaïsme. Un scandale en 2009 avait choqué l’opinion lorsque des enfants d’ascendance éthiopienne s’étaient vus refuser l’admission dans trois écoles religieuses semi-privées dans la ville de Petah Tikva, banlieue de Tel-Aviv. Des erreurs ont par ailleurs été commises par l’administration, comme celle d’interdire les dons de sang de cette communauté sous prétexte de risques sanitaires. Un scandale avait éclaté en 2010 lorsqu’Israë l avait été accusé d’une politique de stérilisation visant les femmes juives d’origine éthiopienne à partir de prescription de médicaments contraceptifs. Les autorités avaient d’abord nié cette allégation, puis l’avaient admise plus tard. En avril 2015, un soldat israélien d’origine éthiopienne, Damas Pakedeh, a été arrêté et accusé d’avoir attaqué un policier alors qu’une vidéo de contrôle atteste du contraire ! Cet incident n’est pas le premier concernant le comportement de la police à l’égard des Israéliens éthiopiens. Ceux-ci ont manifesté dans les rues de Jérusalem, le 20 avril 2015, pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme ’’un racisme rampant’’.
En Israë l, quelque 50 000 habitations palestiniennes, sont menacées de destruction. Une imposante manifestation a eu lieu à ce sujet le 28 avril, protestant contre la discrimination dont sont victimes les Palestinens. En 2014, l’Administration de la terre d’Israë l a accordé 38 261 offres d’unités d’habitation aux municipalités juives contre seulement 1 844 aux villes arabes.
Yehuda Shaul
Religieux idéaliste, Yehuda Shaul a cru longtemps qu’il serait celui qui fait son service pour « changer l’armée de l’intérieur », éviter le pire. Et puis un jour, il y a quelques années, alors qu’il patrouille à Hébron, où les soldats sont là pour protéger 850 colons extrémistes installés en plein cœur de cette ville de 180 000 habitants palestiniens, Shaul remarque des portes grandes ouvertes. Il entre. « Ce que j’ai vu m’a changé. C’était un hôpital palestinien. L’unité qui nous avait précédé à Hébron avait tout cassé. Les soldats avaient écrit des graffitis racistes sur les murs. Ils avaient chié partout. Alors, j’ai pris mon appareil photo. Ensuite, j’ai ouvert ma première adresse mail et j’ai envoyé toutes les photos aux journalistes que je connaissais pour que les gens sachent ce qui se fait en leur nom. J’ai mis mes coordonnées, mon téléphone. Personne n’a rien publié. » (source : Rue89)