Ecrit le 9 novembre 2005 :
Conférence débat sur l’agressivité en classes primaire et maternelle
Le mois dernier la FCPE (parents d’élèves) avec L’Ecole des Parents (Nantes), a provoqué une réunion sur l’agressivité de l’enfant de moins de 12 ans, « parce qu’il y a des petits faits, classiques, récurrents qui nous sont communiqués le plus souvent par les parents, mais également par les enseignants. » dit Françoise Guinchard pour qui « la réussite de l’enfant n’est pas seulement l’affaire de l’école, ni seulement l’affaire des parents : c’est la coéducation qui doit aider chaque enfant à trouver la voie de son propre épanouissement ».
La coéducation se définit comme une démarche d’éducation partagée entre les familles et l’école, elle envisage l’enfant comme un être global et recherche la complémentarité et la cohérence des attitudes éducatives à son égard : en ce sens, l’enfant se situe bien au centre du système éducatif.
Mais quel lien peut on faire entre agressivité et réussite ? L’agressivité est l’énergie, la force de vie indispensable pour la survie. Un enfant, un adulte, un malade qui ne se battent pas, sont vite perdus.
L’agressivité conduit à aller vers l’autre, On la baptise « réussite » quand elle obtient des résultats positifs. On cherche à la sanctionner lorsqu’elle s’exprime de façon négative, destructrice. Tout le problème est bien de guider l’enfant dans l’usage de sa pulsion de vie.
Souvent, et par déformation du langage, l’agressivité est associée à la violence.
Lors de la réunion, Mme Juhel, psychologue au centre médico psychia-trique pour enfants et adolescents, a fait d’abord un exposé à contenu psy-chanalytique, qui manquait un peu d’exemples concrets. Elle a expliqué que l’agressivité existe dès le plus jeune âge et contribue à accepter d’être différent de sa mère. La mordre par exemple revient à essayer de se la réapproprier.
Mordre
L’enfant mordeur : pour le petit enfant (18 mois-deux ans), mordre est une manifestation d’amour, aimer= dévorer. La réponse qui consiste à mordre l’enfant pour lui montrer que cela fait mal est inadaptée : l’adulte manifeste alors envers l’enfant la même pulsion « cannibalique », et exerce un rapport de force : « Moi j’ai le droit de mordre, pas toi ». Parler à l’enfant pour qu’il modifie progressivement son comportement, pour qu’il sache que son comportement n’est pas acceptable, qu’il peut s’en dégager, en adoptant une pratique qui a la même signification dans le désir de faire de sa mère une partie de lui-même, c’est à dire en l’embrassant.
A la naissance, l’enfant ne se différencie pas de son entourage : le sein maternel (ou le biberon) fait partie de lui-même. Ses pulsions agressives visent à la satisfaction immédiate de ses besoins : colères du nourrisson qui a faim.
Le nourrisson ne se vit pas distinct de sa Mère, il n’a pas conscience de son propre corps. Le petit enfant explore son corps, avec ses mains, avec sa bouche et ses yeux, il enregistre les mains et les pieds qui passent devant son visage. Il reconnaît les visages de ses proches. Mais il ne se reconnaît pas. Il réagit à son image reflétée par un miroir, mais il y voit UN enfant sans savoir que c’est lui. Il sait par contre reconnaître sa Mère et la reconnaît dans le miroir, mais n’a pas encore réalisé qu’il s’agit d’une image.
séparer
La Mère qui tient l’enfant dans ses bras (ou qui est placée derrière lui) va nommer cette image et lui dire « c’est l’image de ton corps, c’est toi que l’on voit dans le miroir ». Cette parole de la Mère va lui faire prendre conscience de leur existence distincte, à elle et à lui. Il va chercher confirmation en se retournant pour voir sa Mère derrière (ou à côté de) lui.
Des mères trop possessives, trop dévorantes empêchent les enfants de trouver leur place, de se construire. La mère ne doit pas être tout pour l’enfant. Il faut que celui-ci ait de la place, qu’il trouve sa place dans la société. Un rapport très fort, « fusionnel », entre la mère et l’enfant peut entraîner un comportement agressif, angoissé.
Aussi la fonction du père (ou de quelqu’un autre) est importante car elle permet à l’enfant de se séparer de la mère, de pouvoir aller voir ailleurs et de ne pas en avoir peur.
Violence
L’agressivité d’un enfant, ou plutôt une réaction de violence, peut cacher un problème, une anxiété trop importante, par exemple le refus, par l’enfant, des règles, des limites. Inconsciemment, des parents peuvent être responsables du comportement agressif de leurs enfants, en transmettant leur anxiété, leur angoisse.
L’agressivité, a priori, n’est pas pathologique. Elle est normale, mais il faut apprendre à la gérer pour qu’elle ne devienne pas violence. |
La violence peut se révéler sous différentes formes : physique, verbale, mais aussi psychologique. Il est bon de savoir accompagner un enfant trop agressif (agressivité qui sort de la norme, permanente) vers des gens compétents qui peuvent l’aider à comprendre pourquoi il est comme ça. Il faut parler, dialoguer..
Mais ceci est également vrai pour des enfants victimes de violence : leur faire comprendre que ce n’est pas normal, qu’il faut le révéler à quelqu’un, par exemple aux enseignants, au directeur si cette situation se passe dans un établissement scolaire afin que d’autres enfants ne subissent pas la même chose.
Dans tous les cas, enfant agressé ou agressif, le dialogue est primordial. Pour l’enfant agressif, lui faire comprendre qu’il y a des limites, des règles et qu’il faut les respecter.
désespérance
Pour l’un des participants, la situation de violence tient à la désespérance des gens (leur enfant en est le miroir) dans une société très dure, chômage, exploitation dans le travail. Avec un peu plus de justice sociale, avec moins d’angoisse dans la gestion du quotidien, on règlerait beaucoup de choses.
Phénomène de groupe
La violence psychologique peut se rencontrer à l’école primaire comme ailleurs. Phénomène de groupe, un leader peut user de son influence pour écarter, isoler un ou plusieurs enfants. Plus sournoise, moins visible, cette violence est moins facile à déceler. Pourtant, répétée dans le temps, elle peut être dévastatrice. Certes, il appartient d’aider l’enfant agressé à trouver ses propres solutions mais il convient de ne pas oublier d’en avertir l’institution pour dénoncer ce type de comportement pour que cela n’arrive pas à d’autres.
Au sein de la classe, il est nécessaire de faire réfléchir les enfants sur leur propre attitude vis-Ã -vis des autres.
Frustration
D’un point de vue psychanalytique, l’agressivité résulte de la frustration qui naît chez l’enfant dès qu’il se rend compte que les autres, et particulièrement sa mère, ne sont pas à sa disposition.
Cette frustration est bénéfique pour sa construction car elle lui permet de trouver un cadre nécessaire pour vivre en société. répondre sans arrêt aux désirs de l’enfant serait l’élever comme un enfant-roi. Cela engendrerait une agressivité plus prononcée encore chez cet enfant vis-Ã -vis de lui-même et des autres. Il faut lui apprendre à canaliser ses pulsions, à différer la satisfaction de ses désirs. L’enfant qui, pour diverses raisons, n’a pas pu se structurer de cette façon, est dans l’illusion, dans le désir de toute-puissance, ce qui ne peut engendrer que de la souffrance.
Les causes de la violenceUn sondage d’opinion effectué auprès d’un échantillon représentatif de la population canadienne et portant sur les perceptions de la violence a montré que les répondants étaient plus préoccupés par la violence chez les jeunes (32 %) et par la pauvreté des familles (32 %) que par le suicide des jeunes (12 %), l’échec scolaire (11 %) et la santé des jeunes (8 %). Pour les personnes interrogées, les 12-17 ans sont ceux qui ont le plus souvent recours à la violence physique. Elles réclament donc des mesures éducatives destinées en priorité aux enfants de 5 à 11 ans. Les résultats de ce sondage révèlent deux croyances majeures en matière d’agressivité physique.
Or, des recherches récentes ont remis ces deux croyances en question. Le développement de l’agressivité pendant l’enfance est associé à des facteurs multiples comme des pratiques parentales inappropriées et un faible statut socioéconomique. De plus, plusieurs facteurs d’origine neurologique, physiologique et génétique, présents dès la petite enfance et même avant, sont liés au développement de la violence |
Par exemple, le stress maternel, la consommation de tabac, alcool ou drogues pendant la grossesse ainsi que les complications à la naissance sont associés à un risque élevé de comportements plus violents que la moyenne.
De plus, d’autres études ont montré que la fréquence des agressions physiques diminue avec le temps. Par exemple, une étude sur le développement de l’agres-sivité physique auprès d’un échantillon représentatif d’enfants canadiens âgés entre 2 et 11 ans a montré que l’agression physique atteint un niveau maximum entre 2 et 3 ans, que la plupart des enfants apprennent à contrôler leur agressivité physique vers le milieu de l’enfance.
La période de la petite enfance (incluant celle des nourrissons et des trottineurs) semble donc être la meilleure période pour apprendre des alternatives à la violence physique.
C’est l’agressivité anormale, destructrice - induite le plus souvent par un manque de communication - qui pose problème. Ses manifestations ? Des actes de violence envers les autres ou envers soi-même : anorexie, comportement suicidaire... Pour lutter contre les excès d’agressivité, il convient donc de permettre à l’enfant d’exprimer cette dernière : par le dialogue, la pratique d’une activité sportive, ludique ou artistique... A éviter à tout prix : l’usage, à son égard, d’étiquettes -au caractère définitif- telles que « enfant agressif » ou « enfant méchant »... la voie royale vers la violence !
Car un enfant n’est jamais agressif, il a, à un moment donné,
un comportement agressif. Et la distinction est de taille.
L’agressivité fait partie de la vie des enfants et est nécessaire à leur développement. Les adultes qui les entourent et la société sont là pour les guider dans ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, de façon à les rendre socialisables. Pour cela les solutions sont multiples et variées, mais difficiles à mettre en œuvre car elles dépendent de la particularité de chaque enfant.
La réunion initiée par la FCPE a donc permis de poser des questions, sans trouver de réponses toutes faites. Finalement, ce qui manque dans nos sociétés modernes, n’est-ce pas des lieux et des occasions de dialogue, pour confronter les expériences des uns et des autres. A quand des réunions régulières d’une « école des parents » ?