Ecrit le 7 mars 2014.
Une lettre de Françoise Verchère
Après la manifestation pacifique des opposants à l’aéroport de Notre-Dame des Landes le 22 février 2014, après les actes regrettables de casseurs, Françoise Verchère, Conseillère Générale, écrit à Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur :
Monsieur le Ministre
Je vous ai entendu commenter dès samedi soir les événements en marge de la manifestation contre l’aéroport de Notre Dame des Landes et vos propos appellent de ma part quelques réactions et aussi plusieurs questions.
Mille ?
Sur les chiffres d’abord : vous avez parlé de 1000 casseurs et de 20 000 manifestants dont vous avez dit qu’il fallait les différencier des premiers. Je crois décidément que vos services ont un problème avec le calcul car nous étions beaucoup plus de manifestants et il y avait beaucoup moins de casseurs : disons qu’on pourrait diviser le premier chiffre et multiplier le second par deux au moins pour approcher de la vérité. Mais dans cette affaire d’aéroport, la vérité est décidément malmenée depuis longtemps
Sur les fameux casseurs : je vous avoue que j’ai été très surprise de comprendre que vos services les connaissaient visiblement bien (vous avez donné des précisions sur leur origine, leur positionnement politique) et même qu’ils savaient ce qui allait se passer.
Depuis deux jours, les bruits couraient sur des incidents à venir ; les avocats savaient qu’ils risquaient d’être réquisitionnés pour de nombreuses gardes à vue. Samedi matin, au moment où nous étions avec les tracteurs à l’aéroport de Nantes-Atlantique, les policiers présents nous ont spontanément parlé des ’’blacks blocs’’ en nous disant ’’qu’ils allaient gâcher notre manifestation’’.
Je m’étonne donc que « les forces de l’ordre » n’aient pas été au fond plus efficaces puisque cela aurait dû être leur mission, n’est-ce pas ? Puisque l’on sait désormais interdire un spectacle avant même qu’il n’ait lieu, et puisque nous n’avons pas sur la ZAD 1000 casseurs ni blacks blocs, pourquoi ne les avez-vous pas fait arrêter avant leur arrivée ? J’imagine que s’ils sont si dangereux, vous avez certainement des preuves et même des faits graves à leur reprocher ?
Vinci non protégé ?
Mais peut-être préfériez-vous les arrêter en flagrant délit ? Est-ce pour cela que vous n’avez pas fait protéger l’agence Vinci, située au tout début du parcours de la manifestation, pas plus que des engins de chantier Vinci aussi (car Vinci est partout vous le savez, immobilier, parkings, aéroports) dont vous saviez qu’ils seraient forcément des cibles ? Est-ce pour cela que la préfecture n’a autorisé qu’un parcours ridiculement petit, jamais vu jusque là ? Est-ce pour cela que les échauffourées localisées dans un périmètre pourtant restreint ont duré plusieurs heures ? Et au bout du compte combien y a-t-il eu d’interpellations ? Une douzaine seulement c’est assez curieux et à vrai dire difficilement compréhensible alors que les moyens déployés étaient impressionnants, en hommes et en matériel anti-émeute, alors que la fermeture du centre ville était inédite, alors qu’il y avait vraisemblablement des hommes à vous des deux côtés.
Évidemment les images de « la guérilla urbaine » dont vous avez parlé seront reprises à l’envi plus que celles du char-triton, des 520 tracteurs présents ou des nombreuses familles manifestant paisiblement. Évidemment, cela permettra d’occulter une fois encore le fond du dossier, évidemment le chœur des partisans de l’aéroport poussera des cris horrifiés en rejetant la responsabilité sur les organisateurs de la manifestation.
Organisateurs qui ont pourtant tenté d’éviter l’affrontement en interposant des tracteurs entre l’imposant mur de fer érigé et ceux qui voulaient effectivement en découdre.
Organisateurs dont le métier n’est pas d’assurer l’ordre, vous en conviendrez et à qui il serait malvenu de demander de faire mieux que vous Organisateurs particulièrement choqués, en tout cas, par les propos du préfet de Loire-Atlantique qui n’a pas hésité à affirmer que nous « opposants historiques » devions cesser « d’être la vitrine légale d’un mouvement armé ». Je me suis pincée pour y croireencore un peu de temps et nous finirons nous-mêmes par être tenus pour de dangereux terroristes alors que nous avons participé loyalement au débat public, et à toutes les commissions mises en place. débat déloyal puisqu’il y a une « vérité officielle » intangible même quand elle est contraire aux faits, aux chiffres et à la réalité. Le Premier Ministre ne reconnaît la validité que de la commission du dialogue à qui il avait donné mission de valider à nouveau le projet, mais refuse de regarder les conclusions accablantes de la commission des experts scientifiques au regard de la loi sur l’eau. Comment croire encore à la parole de l’État ?
Jouer sur la peur
En réalité, Monsieur le Ministre, tout cela est très lisible et vieux comme le pouvoir.
Pour discréditer notre combat, et tenter de retourner l’opinion publique qui nous est aujourd’hui favorable, on fera appel à la peur du désordre, on utilisera l’image, déplorable je vous l’accorde, des dégradations commises par les méchants casseurs et on justifiera ainsi une nouvelle opération policière pour aller enfin nettoyer la ZAD de ses « délinquants dangereux », en même temps que de ses tritons et de ses paysans. Il faudra mettre les moyens (ils sont mille, ne l’oublions pas, et les tritons innombrables) mais vous y êtes peut-être prêts pour que « force reste à la loi » ? Permettez-moi de vous le déconseiller car pour que nous, citoyens, acceptions désormais cette clef de voûte théorique de la société, (« la seule violence légitime est celle de l’État »), il faudrait que l’État soit irréprochable, que la loi soit juste et que ses représentants soient dignes du mandat que nous leur avons confié. Vous avez compris, je pense, que ce n’est pas le cas depuis longtemps.
Depuis deux jours, j’ai lu et entendu que le centre ville de Nantes était « saccagé », qu’un commissariat avait été « dévasté », qu’il faudrait du temps pour « panser les plaies de la ville », que les dégâts ne pouvaient pas encore être chiffrés, autant dire que c’était l’apocalypse. Les mots eux-mêmes sont visiblement sens dessus dessous... Puis-je vous suggérer de venir à Nantes pour juger de la situation ? Aujourd’hui dimanche, flottait certes une petite odeur de gaz lacrymogène, mais le tramway roulait et les Nantais flânaient. Je ne nie pas les poubelles brûlées, les pavés arrachés, les vitrines brisées et les murs maculés dans le secteur des affrontements. Je déplore ce vandalisme d’autant plus que nous dénonçons par ailleurs le gaspillage d’argent public qu’induirait le transfert de l’aéroport !
Mais je voudrais aussi vous rappeler que samedi des personnes âgées, des enfants ont été noyés sous les lacrymogènes. Et qu’un jeune manifestant a perdu un oeil à cause d’un éclat de grenade assourdissante. Ce n’était pas un casseur. Et cela nous rappelle le même malheur survenu déjà à Nantes, à cause d’un tir tendu de flashball lors d’une manifestation sans violence devant le Rectorat. Les aubettes seront reconstruites, cela fera même monter le P.I.B mais ce jeune restera, lui, marqué à jamais. Cela m’interroge sur la manière dont les forces de l’ordre utilisent leurs armes et me scandalise davantage que la casse matérielle. Et demain, si le gouvernement persistait dans son projet d’aéroport, la destruction du bocage de Notre Dame des Landes et de la vie qu’il abrite serait elle aussi irréversible.
Il faut arrêter un projet désormais dans l’impasse et régler le problème en prenant la seule décision raisonnable : respecter la loi sur l’eau, améliorer l’aéroport de Nantes-Atlantique et rendre sa sérénité à Notre Dame des Landes pour que la ZAD redevienne une campagne où vivre et travailler. Vous pourrez ainsi, Monsieur le Ministre, vous consacrer aux blacks blocs si vous le jugez indispensable.
Dans l’espoir de votre réponse, je vous assure de mes salutations les plus distinguées,
Françoise Verchère,
Conseillère générale de Loire-Atlantique
(les intertitres sont de la
rédaction de La Mée)
Ecrit le 7 mars 2014.
Les communiqués :
Une lutte pacifique mais déterminée
ADECA
L’ADECA (Association de défense des Exploitants Concernés par l’Aéroport) remercie les agriculteurs et les CUMA venus en tracteur, et évidemment, les marcheurs venus eux aussi en masse pour refuser ce projet de déplacement d’aéroport. 520 tracteurs, c’est un niveau que nous n’avons jamais connu dans aucune action (...)
Cet immense refus du gaspillage des terres n’a pas été relayé par la presse qui a donné la priorité aux violences ; pas un chiffre, pas une évocation, pas une photo. Et pourtant, cette mobilisation agricole est un immense camouflet pour le premier ministre. Camouflet aussi l’ampleur de la mobilisation populaire (...)
Vu l’ampleur annoncée de la mobilisation, vu la catastrophe écologique que constituerait ce projet et l’impossibilité de mettre en œuvre, les compensations, ce projet est en train de mourir. La seule issue pour les porteurs du projet est de discréditer le mouvement par la violence, en particulier auprès des Nantais. Comme par hasard, la violence a été au rendez vous et n’a été maîtrisée que tard après de nombreux dégâts. Nous avons eu peur pour les militants et pour notre matériel. Nous comprenons donc, et partageons le désarroi des Nantais devant les dégâts. La violence ne fait pas partie de nos modes d’action.
Mais cette journée ressemble trop à un plan bien préparé : samedi violences, dimanche attaques contre les opposants et les écologistes, lundi, mardi : communication sur les dégâts et on pourra ainsi continuer à essayer d’imposer ce projet. Nous avons le sentiment d’avoir été pris en otage par d’un côté cent ou deux cent casseurs qui ont fait ce que le pouvoir attendait, et de l’autre par la police dont l’inefficacité était surprenante. Ainsi, ont étés tuées, l’ampleur et la visibilité de cette manifestation.
(communiqué de l’ADECA)
céDpa
Ce 24 février, les élus du céDpa (Comité d’élus doutant de la pertinence de l’aéroport) réitèrent leur demande de rendez-vous au préfet, en attente depuis fin novembre. Pour évoquer le fond du dossier et lui faire part de leur mécontentement sur la manière dont le débat avec la Direction Générale de la Direction civile a été biaisé, mais aussi pour lui demander confirmation des propos qu’il semble avoir tenus en conférence de presse à la suite de la manifestation du samedi 22 février.
En effet, dire que les opposants dont nous sommes doivent « cesser d’être la vitrine légale d’un mouvement armé » est non seulement ridicule mais aussi insultant. Nous avons appelé à la manifestation populaire du 22 février et nous ne le regrettons pas. Nous ne sommes pas responsables des échauffourées qui ont eu lieu, car nous ne sommes pas, jusqu’Ã preuve du contraire, chargés du maintien de l’ordre. Nous condamnons les actes de vandalisme mais, dans le même temps, nous avons de nombreuses interrogations sur la manière dont la préfecture a observé et laissé faire ces débordements.
Opposés à la construction de cet aéroport pour des raisons économiques et écologiques, nous avons toujours travaillé avec le souci de la transparence et dans la recherche de la vérité. Nous sommes bien obligés de constater aujourd’hui que ce n’est pas ce qui préside au pseudo dialogue mis en place par le Premier Ministre et le Ministre des Transports. Nous entendons aujourd’hui que les partisans de l’aéroport voudraient justifier le début des travaux par les débordements de samedi ! Les dégâts - réels et choquants - ne peuvent valoir justification pour faire disparaître irrémédiablement une zone humide remarquable pour réaliser un équipement inutile. Nous ne nous laisserons pas enfermer dans ce piège et continuerons à faire toute la vérité sur les mensonges et les faux arguments qui fondent aujourd’hui la « vérité officielle » du projet d’aéroport.
(communiqué du céDpa )
Confédération Paysanne
La Confédération Paysanne de Loire-Atlantique condamne fermement les violences survenues en marge de la manifestation contre le projet de transfert de l’aéroport. La présence des Black Bloc a largement contribué à ces débordements et nous nous interrogeons sur l’action des forces de maintien de l’ordre par rapport à des groupuscules apparemment fort bien connus du Ministère de l’intérieur.
La Confédération Paysanne s’étonne que la très forte mobilisation pacifique des paysans de COPAIN avec ses 520 tracteurs soit passée sous silence. Nous remercions chacun de son implication qui a permis de faire rentrer et sortir des tracteurs de Nantes sans aucun incident.
Nous rappelons notre détermination à lutter contre le gaspillage des terres agricoles et nos actions pour installer un maximum d’agriculteurs afin de répondre au défi alimentaire de l’Europe pour les 50 ans à venir.
Nantes dispose d’un équipement aérien d’une grande qualité reconnue de tous, répondant aux attentes. Nous sommes et resterons très vigilants car l’État n’a toujours pas pris en compte les recommandations des différentes commissions qu’il a lui-même mises en place et notamment celle des experts scientifiques. La modification de la composition de la commission sur l’eau n’est pas gage de transparence, de dialogue et de confiance.
C’est pour toutes ces raisons que nous continuerons
COPAIN
Les paysannes et paysans du Copain44 (Collectif des Organisations Professionnelles Agricoles INdignées par le projet d’aéroport) et de tout le grand Ouest saluent la mobilisation sans précédent, à Nantes samedi, 22 février 2014, pour exiger massivement l’abandon immédiat du projet de transfert d’aéroport. Mobilisation réussie grâce à l’organisation forte et unitaire de l’ensemble des composantes de la lutte.
Samedi les tracteurs vigilants posaient le rapport de force dans le calme et la détermination. Il n’y a pas eu de violence due aux paysans, donc la majorité des médias a ignoré la présence pourtant historique de 520 tracteurs dans Nantes. L’entrée, le stationnement et la sortie de la ville sans incident, grâce à une organisation millimétrée, quoi qu’en dise le préfet, souhaitaient garantir la
sécurité des paysannes et paysans souvent venus en famille.
(...) Nous déplorons que samedi, le ministère de l’intérieur, le préfet, avec l’accord de pouvoirs politiques, aient sciemment joué avec la sécurité de 50 000 citoyens venus manifester joyeusement en famille, en laissant se développer les affrontements, entraînant des dégâts inadmissibles et révoltants, pour servir la communication des pro-aéroport acculés, prêts à tout pour sauver leur projet d’un autre temps.
(communiqué du Copain44)
Discrédit
En laissant faire les fauteurs de trouble (voire en les provoquant), le pouvoir a tenté de jeter le discrédit sur le mouvement des opposants à l’aéroport de Notre-Dame des Landes. Les médias, activés par les pro-aéroports, ont relayé les exactions mais pas la puissance de la manifestation. Ils n’ont pas la même attitude vis-Ã -vis des Bonnets Rouges dont les destructions de portiques Eco-taxes sont tout aussi onéreuses. On a assisté à une convergence d’appels des pro-aéroports, Conseil Régional, Conseil Général, Des Ailes pour l’Ouest, etc. Mais les municipales approchent, Jean-Marc Ayrault calme le jeu ... provisoirement sans doute !
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