Ecrit le 16 mars 2016
Dans son ouvrage « Les cavaliers du Gâvre », paru en 1992, Claude Pedron relate le déroulement d’une chasse à courre du XIXe siècle et particulièrement l’un des derniers épisodes de la guerre menée contre les loups à Derval, à partir de la propriété du ’’Fond-des-Bois’’
Le Loup et la Ligue
Le loup, dont l’origine remonterait à la préhistoire, ressemble au Berger allemand, en plus fort. Certaines bêtes peuvent atteindre les cent kilos. Les récits de leurs actions d’éclat sont innombrables. La vox-populi les a sans doute un peu grossis. Leurs méfaits sont cependant nombreux et terrifiants.
Le chanoine Moreau, de Quimper, témoin des calamités que subit la Bretagne au temps des guerres de la Ligue, relate dans ses écrits à quel point les loups s’étaient enhardis. " Après sept ans de guerre, l’année 1597 fut terrible, la peste, la famine, les bêtes farouches dévorant les hommes, savoir est des loups, chose assez difficile croire à qui ne l’a vue, toutefois très véritable.
Les pauvres gens mouraient dedans les parcs et fossés, où les loups les trouvant morts s’accoutumèrent si bien à la chair humaine que, dans la suite, pendant l’espace de 7 à 8 ans, ils attaquèrent les hommes étant même armés. Personne n’osait plus aller seul.
Quant aux femmes et enfants, il les fallait enfermer dedans les maisons, car, si quelqu’un ouvrait les portes, il était le plus souvent happé jusque dans la maison ; et s’est trouvé plusieurs femmes, au sortir auprès de leurs portes pour faire de l’eau, avoir eu la gorge coupée sans pouvoir crier à leurs maris, qui n’étaient qu’Ã trois pas d’elles ".
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Pour combattre ce fléau, la vènerie eut besoin de chiens de meute, aguerris et ardents. Certains obtinrent une remarquable sélection après un entraînement sévère. La dynastie des Rohan acquit une parfaite connaissance de l’art de la chasse à courre.
A Derval, Guillaume Lemaistre de la Garrelaye, un fidèle de Henri IV, obtient du Roi, par lettre manuscrite, l’autorisation de chasser sur ses terres les bêtes féroces, dont le loup.
La sécurité de tous était en jeu : humains et animaux domestiques. Les cultivateurs subissaient les dégâts causés par les prédateurs, la plupart du temps sans indemnisation.
Entre 1850 et 1914, écrit Claude pédron, c’est l’âge d’or de la chasse à courre, ’’ Ã cor et à cris’’, autour de la grande forêt du Gâvre où existaient au moins quatre équipages dits ’’de grande vènerie’’, chassant le cerf, le sanglier et accessoirement le loup.
Au Fond-des-Bois
A Derval, en 1860, Louis de la Haye Jousselin du Fond-des-Bois, est âgé de 24 ans lorsqu’il sort de l’Ecole Impériale Forestière de Nancy.
La chasse à courre le passionne et il monte un équipage nommé ’’Vautrait du Fond-des-Bois’’.
Le nom de ’’Vautrait’’ est spécifique d’une meute de chiens courants spécialisés dans la chasse du sanglier et du loup. Le jeune homme est nommé lieutenant de louveterie pour l’arrondissement de Châteaubriant, ce qui lui permet de chasser ailleurs que sur son domaine, partout on l’on fait appel à lui.
Château du Fond-des-Bois, Derval
Le piqueux de cet équipage s’appelait Robin. Un homme très important, personnage pivot sur lequel reposent les multiples tâches, notamment celle de soigner les chiens.
Deux fois la semaine il se lève à 5-6 heures du matin pour ’’faire le bois’’ : repérant les traces d’un animal afin de pouvoir l’attaquer à coup sûr.
Vers 10h il part en chasse : mettre sa tenue, faire son rapport au ’’patron’’, monter à cheval et appuyer les chiens jusqu’Ã l’hallali. Il fait parfois 50 km à cheval, par tous les temps.
Entre son patron et lui s’est établie une sorte de complicité, tempérée, certes, par la distance sociale.
En 1872 la meute compte 120 chiens, dont la moitié de race anglais pur-sang, chiens très rapides pour le loup et le sanglier.
La tenue de l’équipage est : une redingote rouge avec des parements blancs, gilet bleu, culotte blanche et boites noires. Sur les boutons, en métal doré, figure un loup passant en argent avec la devise « Breiz ».
Les chasses étaient l’occasion de recevoir des relations, notamment parisiennes. Le superbe château qui fut construit à cette époque offrait l’hospitalité et bien des plaisirs.
La mort du loup
Louis de la Haye Jousselin était un excellent cavalier et c’est sans doute avec sa jument ’’Belle de Jour" qu’il fit une chasse fameuse, sans doute la dernière prise d’un loup dans la région. C’était le 20 novembre 1881. Un matin brumeux et sans vent quand la meute fut lancée sur un loup tout près du château entre le Breil et le Don.
Poursuite homérique car un loup adulte est quasi-infatigable et il faut des chiens très perçants, qui poussent l’animal de façon à le sortir de son train et à ne pas le laisser souffler.
La chasse tourna pendant une heure dans les bois du domaine, puis le loup prit son parti, débucha et passa la route de Rennes aux Pavillons.
Il traversa ensuite la forêt de Domnèche, reprit les champs, contourna l’étang de Chahun et pénétra en forét de Teillay, sortit à nouveau en plaine et remonta vers le Nord.
déjà six heures de poursuite. La nuit arrivait quand, aux abords de la forêt de Rennes, iil ralentit l’allure et la meute le rattrapa. En tête des chiens se trouvait Bengali, un chien magnifique que L. de la Haye Jousselin avait acheté pour le prix considérable de 1.000 francs-or.
Le loup se retourna, saisit Bengali à la gorge et l’étrangla avant d’être couvert par le reste de la meute et servi à la dague par les veneurs.
Quelle chevauchée ! d’après la carte, au moins 70 sinon 80 km par les chemins puisqu’il y a plus de 50 km à vol d’oiseau - entre le départ et l’arrivée.
En souvenir de cette chasse extraordinaire, M. de la Haye Jousselin fit naturaliser le chien et le loup dans l’attitude de leur combat final. Ultime hommage de l’homme à deux animaux exceptionnels, chacun dans leur rôle.
Il y eut des chiens jusqu’en 1885 au Fond-des Bois, année où la meute fut vendue à d’autres veneurs, dont le comte de la Rochefoucauld à Plessé
A la mort du piqueux, quelques années plus tard, Louis de la Haye Jousselin fit ériger une croix en schiste dite « Croix Robin » sur ses terres en bordure de la route allant de Derval à Marsac.
Bengali et le loup : photo Y.Caillaud
Si les loups ont ’’disparu’’ de notre environnement, ils ont en revanche laissé des traces : des lieux-dits attestent encore de leur passage : Chasseloup, Chanteloup, Tuloup, Gué au loup.
Source : Julien Bretonnière et le livre de Claude Pedron.
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Tripes et cœur de loup, je voudrais avoir.
Jamais collier je n’aurais porté,
Jamais, au grand cirque de la vie, je n’aurais fait le beau,
Jamais devant un os je n’aurais fait de lard.
Jamais, sans avoir faim, je n’aurais tué.
Et je ne suis pas certain, qu’au jour et à l’heure, je serai assez « grand » pour mourir « sans jeter un cri »
Mais je porte le « grand nom d’homme »,
J’ai donc trop mal vu, trop mal écouté,
Trop mal cherché et sans doute trop mal aimé.
Si au fond des bois, toi le Loup, tu m’observes, prends en miséricorde mon âme qui se tourmente.
Roland Guillaudeux